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Encore une histoire de fonctionnaire qui s'ennuie, qui n'a rien à faire, qui doit tuer le temps ? Albert Cohen n'a-t-il pas déjà tout dit en nous décrivant la vie d'Adrien Deume dans Belle du seigneur ? Oui, mais là, on n'est pas dans la catégorie d'Adrien Deume, mais dans celle de Solal. Dans celle d'un Solal qui aurait, comme l'original, tous les attributs de la noblesse d'État (et si l'expression n'est pas employée, il y a bien une référence explicite à Bourdieu), mais avec ses journées à remplir, comme Adrien Deume. Autant dire que ce roman est très plaisant. Il se lit facilement, il fait sourire, il se termine d'une manière qui donne un certain style au titre. On se dit qu'en effet, il n'y a pas qu'une seule façon d'incarner l'État, et que celle qu'a trouvée le héros a son charme jubilatoire. En outre, l'auteure connaît son sujet. Elle le situe dans une véritable sous-préfecture dont elle le donne le nom (Ussel), on sait sous quel quinquennat l'intrigue se passe (celui de François Hollande, qui rend visite à la Corrèze pendant que Duplanquier y officie). Elle dénonce les comités Théodule, les emplois fictifs à coups de missions bidon, les carrières qui se font parce qu'on a un dossier sur ses ennemis... bon, rien de tout cela n'est nouveau, mais c'est très crédible. Plus finement, l'auteure évoque aussi le jeu des castes à l'intérieur même des grands corps de l'État, dont tous les représentants connaissent les frontières invisibles mais puissantes, tracées en fonction du concours dont on est issu. Ou encore la signification implicite des promotions, qui peuvent correspondre à d'éclatantes réussites ou de cuisantes brimades, selon la trajectoire dans laquelle elles s'inscrivent ou encore le moment où elles interviennent dans une carrière. Bien sûr, il n'y a pas que l'administration qui emploie un double langage, mais on a le sentiment que l'auteure sait décoder celui qui est propre à la haute administration. Tout cela fournit un décor très séduisant pour un roman : il y a les ors de la République, il y a la noblesse d'État, et puis il y a le fonctionnement en coulisses, évidemment moins reluisant, et le tout fournit un arrière-plan vraiment intéressant. Je sens bien que la manière dont je m'exprime appelle un "mais"... eh bien il concerne la position d'où s'exprime l'auteure : elle connaît tout cela de l'intérieur, mais le peu d'information qu'on a sur elle ne permet pas de comprendre si son but est de divertir ou de dénoncer, ni de savoir où s'arrête la réalité et où commence la fiction. Cela m'a un peu gênée. Mais dans le fond, sans doute faut-il lire l'histoire d'Antoine Duplanquier au premier degré, prendre plaisir à une manière renouvelée de dénoncer les turpitudes de la haute administration, et ne pas s'empêcher de rire aux déboires d'un Parisien parachuté dans un coin de province qui n'a pas été choisi au hasard. Bref, je suis certaine que ce livre peut trouver son public ! Merci aux éditions de la Rémanence et à Babelio pour l'envoi de cette Masse critique. + Lire la suite |