Elle est d’une beauté incroyable quand son visage est détendu. Elle semble si loin des contrariétés qui ont crispé ses traits ces derniers jours. Ses cheveux en corolle pour seul ornement, on dirait un ange au repos. Son buste monte et redescend paisiblement. De ses lèvres entrouvertes, un léger filet d’air régulier s’échappe. Et pour une raison qui me dépasse, la vision de Rose endormie me trouble. L’innocence qui émane de son visage me bouleverse. La pauvre a déjà tellement enduré ... Quelque part sa souffrance fait écho en moi. Mais à la différence de la mienne, j’ai au moins eu la chance de connaitre l’amour … Celui d’une enfance heureuse dans une famille chaleureuse, puis celui d’une femme et d’une enfant. Surtout mon enfant … Un temps bien trop court mais qui m’a quand même permis de savoir à quoi ressemblait le bonheur. Tandis que Rose, elle, semble n’avoir connu qu’une succession de malheurs. Une existence douloureuse depuis le tout début ...
On ne sait jamais. Les sens se gourent parfois ... Mais ce sont surtout ses yeux qui me passionnent. Bien malgré moi, ils m’attirent comme un aimant à chacune de mes œillades. Des prunelles incroyables, à mi-chemin entre le vert, le bleu et le jaune qui tiennent plus du regard du loup qu’à celui de l’homme. Je les trouve fascinants, presque surnaturels et si je le pouvais, je les étudierais davantage … mais bien évidemment, là encore, ce n’est pas le moment. Alors j’attends qu’il soit prêt. Et manifestement ce qu’il a à dire doit bigrement l’embarrasser vu le temps qu’il y met ! Il réfléchit, fait quelques tentatives pour commencer des phrases mais s’arrête à chaque fois ... N’en pouvant plus, c’est finalement moi qui décide d’abréger le malaise en le rassurant. Qui sait ? Peut-être n’ose-t-il tout simplement pas me dire que ma présence devient non-grata puisque je me porte bien ?
Quelle idée ! Comme une adolescente, je me laisse distraire par des puérilités. Je clos le chapitre, mais reste particulièrement touchée par son attention. Chose amusante si l’on y regarde de plus près car je ne n’ai jamais ressenti le dixième de cette émotion quand Fred enflait ma garde-robe. Ceux de Vallen sont bien moins luxueux, moins tape-à-l’œil et assurément de moindre qualité, pourtant, à mes yeux, ce sont les plus beaux qu’on ne m’ait jamais offerts. Ces vêtements me ressemblent. Et surtout, ils n’ont pour utilité d’en mettre plein la vue à quiconque. Non, ils sont juste là pour moi. Pour me permettre de me changer.Je m’arrache à son regard troublant.— Je te rembourserai, cela va de soi.— Il n’en est pas question, bougonne Vallen. Ils n’ont aucune valeur, c’est juste du dépannage.
Cette fois-ci, c’est mon cœur qui parle. Sans barrière, ni aucun garde-fou. Je m’exprime en pensant chacun de mes mots. Car oui, c’est vrai, je n’ai pas envie de quitter cet homme… J’aime être avec lui. J’aime sa chaleur, celle qu’il m’offre et qui contraste curieusement avec son caractère taiseux. J’aime me perdre dans l’océan de ses yeux, y lire toute l’affection qu’il me porte. Mais pas à n’importe quel prix. Et rien ne me serait plus douloureux que de voir que Fred s’en prendre à lui. Et pour ça, je l’en crois réellement capable. Fred pourrait le blesser, le laminer voire même l’écraser en découvrant qu’il se dresse en travers de son chemin. Cet homme ne laisse jamais personne lui faire d’ombre. Jamais.
Je ne me reconnais plus depuis son arrivée. Moi qui m’étais soustrait volontairement à toute émotion et sentiment, je me retrouve projeté en moins de vingt-quatre heures, dans un univers si différent de celui dans lequel je vivais depuis cinq ans que je peine à suivre. Et même si je comprends que mes réactions soient principalement dues à la compassion que j’éprouve pour cette pauvre jeune femme, je pressens également que, quelque part mes émotions vont au-delà de simple sentiment. Dans ma tête, tout est confus. Pourtant, je suis certain de ressentir pour elle quelque chose qui va par-delà l’apitoiement ou la bienveillance.