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Critique de Zebra


« Quoi de neuf sur la guerre ? » est un roman de Robert Bober. Écrit et primé en 1994, publié par son ami éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens, cet ouvrage porte les signes indiscutables de l'histoire familiale de son auteur, une histoire ô combien tragique. Hanté par la Shoah, Robert Bober surmonte pour nous des nuits cousues d'insomnies pour mettre en scène -dans « Quoi de neuf sur la guerre ? »- des personnages ordinaires, de modestes artisans, pour la plupart tailleurs ou finisseuses, mais tous ou presque Juifs, ou suspectés de l'être, et rescapés de la barbarie nazie. Ces hommes et ces femmes ont survécu. La guerre étant finie, pourquoi faudrait-il remuer des vieux souvenirs ? Près de cinquante après, il ne leur reste plus qu'un stock de larmes, inépuisable. Alors Robert Bober a décidé de défier l'oubli et l'effacement des faits : il nous livre, sur le tard, à 60 ans, « Quoi de neuf sur la guerre ? », un ouvrage qui force le respect.

Faisant preuve d'une grande acuité, c'est avec une facilité déconcertante que l'auteur assemble ou rassemble des images, invente des situations, imagine et reconstruit des dialogues plus vrais que nature, dans le but de faire naitre le sens, de forcer notre écoute, de nous conduire à nous souvenir ou à nous imaginer des millions d'êtres humains, des adultes comme des enfants, des femmes comme des hommes, des jeunes comme des vieillards, tous innocents mais sacrifiés à cause de leur judéité, réelle ou suspectée. L'auteur sait de quoi il parle ; il a connu son arrière-grand-père, un patriarche à la longue barbe blanche et au charisme sévère, un aïeul issu d'un shtetl polonais dont était originaire la famille Bober, une famille décimée dans les camps.

Dans « Quoi de neuf sur la guerre ? », Robert Bober ne dénonce pas, ne fustige pas, n'incrimine personne : son ton volontairement intime s'attache aux faits et gestes de la vie ordinaire, sur fond d'introspection et de méditation sur la question de l'Holocauste. Dans « Quoi de neuf sur la guerre ? », l'auteur nous mène dans une sorte d'enquête, levant le voile sur les histoires personnelles de ces tailleurs ou finisseuses dont le quotidien d'après-guerre se déroule sous nos yeux, une enquête qui ressemble à s'y méprendre à une quête identitaire. Comment décrire, comment raconter ce qui fut, parler de ce qui n'existe plus ? C'est avec pudeur que Robert Bober présente et met en scène Albert et sa femme Léa, leurs enfants, Raphaël et Betty, Léon, le presseur, Maurice, rescapé d'Auschwitz, Charles dont la femme et les deux filles ne sont pas revenues, puis Paulette, Andrée et Jacqueline. Tous, qu'ils soient réels ou fictifs, continuent à vivre, hantés par leurs cauchemars mais décidés à s'accrocher à leur existence, une existence simple où entre rire et larmes l'équilibre reste précaire, surtout si une enfant se met à chanter (cf. ma citation) dans la langue de leur enfance. Car chanter, c'est tout ce qu'il reste à faire quand les mots sont malheureusement devenus inutiles.

Attentif aux relations humaines, soucieux de décrire avec précision les activités des artisans dans leurs ateliers, l'auteur -qui dans son travail d'écriture a gardé cette idée du travail bien fait, du vêtement sur mesure dont on ne voit pas les coutures même si on le retourne- ne nous tient pas la main pour nous faire découvrir des objets poussiéreux derrière les vitrines d'un musée ennuyeux. Non, il nous laisse nous imprégner à notre rythme des souvenirs de chacun des protagonistes, nous les présentant sous un dehors tout à la fois vivant et émotionnellement chargé. Il y a chez Robert Bober une intention manifeste de transmettre un message aux jeunes générations, dans un souci bien légitime de faire en sorte que soit conservée une trace de ce qui fut -mais pas seulement de l'horreur- et qui ne sera plus. Dans ce récit personnel mais fictif (?), il n'y a pas de volonté délibérée de forcer l'apitoiement mais de montrer des images d'un passé dont les survivants savent ne jamais pouvoir guérir. « Plonger dans le passé des autres pour être accepté par les autres et avoir ensuite accès à son propre passé », voilà sa démarche : accrochant sa propre mémoire à la mémoire collective, il nous livre avec sensibilité, pudeur et sens du partage un ouvrage délicat, poignant, simple, précis et bouleversant. Je mets cinq étoiles et recommande la lecture aux jeunes de 7 à 77 ans.
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