Medieval Superheroes

C’est alors qu’un rai de lumière fusa, touchant Lord England de plein fouet sous les yeux médusés des rares spectateurs. Le champion anglais tituba, glapit, des insultes que l’on aurait cru issues d’un album de gangsta rap estampillé Parental Advisory – Explicit Lyrics, puis d’effondra dans la boue, vaincu pour de bon – du moins, vaincu pour cet après-midi, jusqu’à une future revanche. En sortant de sa retraite, il espérait secrètement que son éternel adversaire fasse de même, et il ne s’était pas trompé. Il avait retrouvé sa Némésis.

On avait bâti la Nouvelle-Courbevoie sur les ruines du Nord-Ouest Parisien, ravagé une dizaine d’années plus tôt par l’explosion d’une usine pétrochimique à la Garenne-Colombes. Bilan : plusieurs milliers de morts sur la conscience du service de la CoPéMa, un paysage apocalyptique à un jet de pierre des Champs-Elysées et l’annulation des Jeux Olympiques programmés dans la capitale.
Les élus les plus cyniques avaient fait remarquer que ce cataclysme tombait à point nommé, certaines villes de banlieue nécessitant un grand nettoyage de printemps, pour ne pas dire un bon coup de Kärcher.

- "Il fait un peu frisquet pour un mois de juin, vous ne trouvez-pas ?
[...]
- Tours sera bientôt la proie des flammes, comme Marseille et Clermont l'ont été. Des brasiers seront allumés sur la grand-place et tous y entasseront leurs fils et leurs filles, leurs pères et leurs mères, leurs maris et leurs épouses, tous, les indigents comme les bourgeois. Pour l'instant il fait un froid de canard, mais une bonne purification par le feu fera remonter en flèche la température extérieure. Et puis on n'en est pas encore à risquer la pneumonie !"

- […] Comme si brûler les cadavres de milliers de pestiférés ne suffisait pas, il paraît que l’on est en train de faire de même avec les Juifs, les lépreux, les cagots, les sodomites, et globalement tous les parias que l’on soupçonne de transmettre la maladie.
- Le coup classique du bouc émissaire. Chaque époque y a droit, même si l’identité des réprouvés change avec le temps. Si une telle catastrophe avait dû s’abattre sur le XXIe siècle, la société aurait trouvé le moyen d’accuser les Maghrébins, les chômeurs ou les rôlistes. J’imagine la populace déchaînée clouer au pilori le petit Karim, l’un de mes clients réguliers quand je travaillais à la Nouvelle-Courbevoie…
- Un homme dangereux ?
- Non. Il se contente de noyer son chagrin dans la mozzarella à chaque fois que midi sonne, et passe ses nuits à jouer le rôle d’orcs sanguinaires dotés d’épées vorpales +4 pour oublier qu’aucune entreprise ne veut le recruter avec un Bac +8.

« Quelle décision stupide ! s’exclama Tristan après que l’engin de mort eut disparu parmi les éclaboussures d’eau souillée et les gaz d’échappement. Orlando est fou ! Pourquoi s’entêter à rester ici ? Cette époque est cent fois pire que la nôtre, vous ne trouvez pas, les gars ?
- Personnellement je préfère le XXIe siècle au XXIIIe », confessa la forme humaine de Captain Insensible. Leurs armures en titane, leurs armes en je ne sais pas quel métal indestructible, ce n’était pas très fair-play…
- Ce ne sera, rectifia Tristan. Tu as dit « ce n’était » alors que l’on parle du XXIIIe siècle, le futur donc. Ce ne sera pas très fair-play. »
Georges en convint à contrecœur. Ceci étant, si son compagnon avait raison d’un point de vue grammatical, ils avaient effectivement dû remplir une courte mission au XXIIIe siècle avant d’effectuer ce voyage au XXIe et avant, mettons, de connaître l’année 1360. Dans ces conditions, on admettra que les règles de conjugaison puissent subir de légères distorsions temporelles.

Charlotte pénétra dans la chambre qu’occupaient Rodrigue d’Aragon, Nicholas von Eschenbach et Bohémond Machecoul, aussi connus sous les noms de Cid Vicioso, Teuto-Nich et Supersquire. C’était une chambre d’étudiant typique, désordonnée, avec des murs couverts d’enluminures à la gloire des idoles ayant inoculé à ces jeunes gens le virus du superhéroïsme. Le Flûtiste Vengeur y côtoyait Seigneur Justice ; Bat Moine faisait face à 4khi11eu5, le Péléide bionique. Dans les appartements des filles, l’extralucide Lady Cassandra ou Giovanna Papessa, la maîtresse des illusions, avaient la cote. Quant à RainBow, étrangement, il faisait recette chez les étudiants des deux sexes.

C'est l'une des constantes de toutes les époques, de tous les univers : la mémé qui gave une colonie de pigeons assise sur un banc public finit immanquablement par se faire agresser par une bande de voyous, à se demander pourquoi elles poursuivent cette activité, qui en plus de nuire à l'environnement urbain, les condamne à être rouées de coups et dévalisées. Peut-être aspirent-elles secrètement à être tirées d'affaire par des héros...

Ces blondes peroxydées à l’œil charbonneux et au hâle artificiel, d’apparence aussi humaines que des poupées Barbie, auraient été taillées pour des podiums si elles n’avaient eu si mauvais goût en matière de vêtements : leur large décolleté plongeant sur une poitrine scientifiquement retravaillée, le string dépassant de leur pantalon taille basse ou leurs immondes chaussures roses à talons compensées n’étaient là que pour appâter le chaland naïf qui croit que tout ce qui scintille est d’or. Venue au monde plus d’un siècle plus tôt que Christophe Colomb et Amerigo Vespucci, Princesse Microbe n’avait aucun moyen de savoir s’il s’agissait là de touristes new-yorkaises ayant fait six mille kilomètres uniquement pour goûter au french kiss sur place – car, même si la mondialisation permet de trouver de tout, partout, on apprécie d’autant mieux un verre de Château Margaux à Bordeaux, une coupe de champagne à Epernay ou une bêtise à Cambrai.

S’il se gardait dorénavant de sauver les damoiselles en détresse perchées en haut d’une tour inaccessible, il ne pouvait se soustraire à ce que Sammy nommait, avec une pointe d’ironie, ses devoirs conjugaux. Orlando n’avait pourtant jamais été marié, pas plus qu’il n’avait connu de relation sentimentale suivie… Du moins, jusqu’à ce qu’il rencontre Diana. Aujourd’hui, il était forcé de se plier à la règle tacite qui veut que tout homme allergique à la drague en boîte de nuit se doit d’entretenir un semblant de vie sociale avec au moins une de ses congénères, pour ne pas être contraint au visionnage frénétique du film du samedi soir.