Mon medecin m'a recommande de changer d'air: “Sortez des grandes metropoles americaines et promenez vous dans de petits patelins francais, monsieur Dandine”. Ce n'etait qu'un conseil, mais moi, faible nature, je l'ai pris comme un ordre que je me suis empresse d'executer. J'ai donc prestement abandonne le hard boiled californien que j'affectionnais pour respirer un peu de noir psychologique gaulois, et je me suis pose au domaine
Boileau-Narcejac, un domaine qui n'est plus mais a reussi en ses meilleures annees a produire un cru diabolique, dont on peut savourer une bonne bouteille encore de nos jours. Une bouteille de 1952 au juste, celle qui n'etait plus.
Voyons. Qu'est ce qui caracterise ce cru (et pratiquement toute la production du domaine)? Il est noir de noir, developpant un suspense grandissant au fil des pages, base presque uniquement sur la psychologie des personnages. Autres caracteristiques: son milieu, provincial et/ou banlieusard, et ses personnages, anodins, habitues a grise vie et chetifs plaisirs, qui s'embarquent dans une machination criminelle complexe qui les depasse. Et ca donne quoi? Un bouquet incomparable, puissant et fin en meme temps.
Il faut que j'arrete de boire ce livre, il s'agit de le lire, et un peu le caracteriser. Mais ses auteurs l'ont fait, dans une preface, mieux que tout ce que je pourrais elucubrer: “Les auteurs du livre ont imaginé un roman policier classique mais, au lieu de partir du crime, ils sont partis de la machination qui conduit au crime. le récit est entièrement écrit du point de vue de la victime, ce qui est la condition même du suspense. L'angoisse naît de la solitude hantée d'un être depuis longtemps condamné, et c'est précisément cette solitude que le roman cherche à rendre sensible, par une technique complexe dans ses effets mais simple par nature, puisqu'elle n'utilise que des mots.”
Mais c'est a moi qu'il revient de decrire l'intrigue. Un representant de commerce se plie au plan trace par son amante, plus cerebrale, plus audacieuse et plus determinee que lui, pour assassiner sa femme et empocher son assurance- vie. le plan reussit mais tres vite soulevera des difficultes qui engendreront chez l'homme une descente psychologique aux enfers. Et je vais spoiler la fin: elle est ebahissante.
C'est une histoire de triangle amoureux? Oui et non, parce que le crime, en verite, n'est pas commis par amour ou passion sexuelle mais tout simplement pour changer d'air (les criminels avaient vu mon medecin?), pour pouvoir passer de la grisaille nordique a la mediterranee ensoleillee. Un meurtre pour payer du soleil.
La grande reussite du livre est la description du changement qui se fait en l'homme, un etre faible, plus bete que mechant, qui se laisse entrainer (trainer serait peut-etre plus appropprie). Ses espoirs, ses doutes, puis ses peurs, puis ses angoisses, sa deterioration psychologique. Un assassin qui est une victime. En fait c'est de ca que traite ce livre, de la tete de gens simples, gris, a la fois bourreaux et victimes, victimes se voulant bourreaux.
Ce cru est donc un polar psychologique tres reussi. Sans fusillades a chaque coin de rue. Ca change de la Californie, et ca donne autant sinon plus de plaisir.
P.S. A mon avis le livre a mieux vieilli que le film qu'en a tire
Henri-Georges Clouzot, qui l'avait un moment eclipse, mais qui reste quand meme un film a revoir.