L'exercice était difficile , relater un épisode peu glorieux du " transfert " dans les départements français en "mal d' équilibre démographique " d'enfants de la Réunion....Le " terrain " était "ciblé " , les familles en grandes difficultés pour qui la métropole représentait pour l'avenir de leurs enfants un incroyable Eldorado , une planche de salut salvatrice pour des milliers d'enfants ...Sauf que le véritable dessein était bien loin de cet élan de générosité de la " mère nation " , en témoigne le peu de documents relatant cette " déportation " , et surtout , cette omerta , cette chappe de plomb qui "couvrait " l'événement.." Dans les années dont on parle , j'allais au lycée de garçons de Guéret et jamais je n'ai entendu parler d'un quelconque trafic d'enfants , et si nous avions dans les classes de jeunes à la peau plus mate que l'ensemble des autochtones , ils étaient nos copains , on partageait avec eux les avantages et inconvénients de la vie lycéenne, on draguait , on jouait au foot , sans exiger de savoir , de vérifier, de contrôler.....C'était les copains , les copines , on se marrait, on s'engueulait parfois , on se prenait un coup pour avoir trop longtemps lorgné sur la petite amie d'un plus grand ....C'était ça la vie avec , parmi nous , des jeunes dont la" différence " n'était qu'un mystère de plus dans la longue liste des parcours souvent chaotiques des jeunes insouciants que nous étions....
Par contre , l'âge aidant , les blessures se rouvrent , au hasard de la découverte d'un document mal caché, d'une remarque , d'une interrogation , d'une information qui éclate comme une bombe et vient détruire " un ordre " finalement bien établi ....La naïveté, l'insouciance , la résignation s'estompent face au besoin de savoir ...On ne peut vivre indéfiniment sans comprendre qui on est , d'où on vient ....Souvent , on puise sa force dans l'obstination de " suivants " les enfants de la seconde génération qui , avec le recul , veulent , avec raison , je crois , retirer tous les liens de leur passé .
C'est par le " biais " de ce profond désir de vérité qu' Ariane Bois nous fait partager le quotidien de Pauline Isabelle et l'entêtement de Caroline ....C'est alors l'humain qui s'exprime , qui se prend en charge pour reconstituer le labyrinthe de l'existence , qui pallie l'hypocrisie d'une administration bien silencieuse et d'une population bien ignorante .
Grâce à Ariane Bois , j'ai pu remonter" un peu" , un tout petit peu à cette époque où....Un roman plein de sensibilité, de peur , d'effroi , d'incompréhensions , d'interrogations , de "beaux" personnages qui , à un moment de ma propre histoire , se sont trouvés là, près de moi ....Ceux et celles que j'ai côtoyés portaient sur eux l'envie de vivre , mais quelles interrogations peuplaient leurs pensées , peuplaient leurs rêves....Quant à nous , potaches creusois , la seule excuse me vient de Daniel Guichard , " Mais quand on a juste quinze ans , on n'a pas le coeur assez grand , pour y loger toutes ces choses - là, tu vois , c'est con...".
Un sujet difficile traité avec tact . Un roman qui mérite l'attention du plus grand nombre d'entre nous .
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Non mais vraiment... Aucun lecteur ne demande à un auteur, quel qu'il soit, d'écrire le livre du siècle. Je suis moi-même de ceux qui pensent qu'en matière de littérature, les coups de coeur se font rares, que la lecture d'un livre, très souvent, ne fait que procurer un moment de plaisir, ce qui n'est déjà pas si mal. Mais quand-même...
Voilà un thème qui pourtant ne manque pas d'intérêt, puisqu'il est question de ces milliers d'enfants Réunionnais qui, de 1963 à 1982, ont été arrachés à leur famille, et "transplantés" sans autre forme de procès en France métropolitaine, dans le département de la Creuse. Opération qui, officiellement, avait pour but de palier la désertification de certaines régions, et de désengorger l'île où la démographie explosait et le chômage sévissait...
Je me demande ce qui est passé par la tête d'Ariane Bois pour qu'elle se permette de servir pareille salade à son lectorat.
Outre l'écriture qui est on ne peut plus ordinaire, et ponctuée de platitudes là où l'auteure a sans doute vu des figures de style, j'en veux pour preuve : "La Creuse nous a creusés", "cette créature fatale, fatalement étrangère", et encore un jeu de mot pas très fin entre "Réunion" et "désunion", Ariane Bois n'a eu de cesse d'asséner au lecteur une batterie d'invraisemblances.
Comment se peut-il qu'on soit noir ou foncé de peau, peu importe, qu'on ait deux parents de type Caucasien, et qu'on tombe des nues et pique sa crise lorsque, à l'âge de
dix-sept ans !!!, on apprend qu'on est un enfant adopté ?
D'autant qu'à l'époque, les habitants de ces régions savaient pertinemment ce qui se tramait chez eux, et rien n'a filtré...
Alors de deux choses l'une : Ou l'auteure me prend pour une fieffée imbécile, ou la nature humaine a sacrément changé sans que je m'en aperçoive.
Est-il plausible qu'on soit plusieurs à table et que, contre mon gré ! Ni vu ni connu un homme glisse sa main sous la table et me pénètre avec son doigt ? Quelle énormité...
Je veux bien que cette auteure, visiblement en mal d'inspiration, tente en désespoir de cause de me faire avaler deux ou trois pilules, mais là, elles sont tout de même un peu indigestes.
Il tombe dans ce livre une telle averse d'incohérences, que je pourrais en citer d'autres, comme le cas de cette protagoniste qui, suite à une encéphalite limbique perd la mémoire, mais qui, page 182, dit avoir été rongée toute sa vie par la culpabilité. "J'étais ta grande soeur, je devais te protéger, j'ai échoué". Un peu étrange quand-même ; Je croyais qu'elle avait perdu la mémoire...
Pour terminer, je préfère penser que ce ramassis d'invraisemblances a échappé à Ariane Bois, même si celà ne se devrait pas, bien évidemment. Mais de mon point de vue, le contraire serait un manque de respect pour son lecteur, une façon on ne pourrait plus explicite de lui dénier toute capacité d'analyse.
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INCIPIT
3 novembre 1963
— Ah non ! À mon tour de jouer avec la toupie, proteste Clémence.
La petite tend une main impérieuse vers le jouet que sa sœur a fabriqué avec une graine de litchi et une allumette.
— Avance, plutôt : cette fois, je ne te porterai pas, répond celle-ci d’un air faussement sévère.
Pauline ne peut rien refuser à Clémence, c’est ainsi depuis sa naissance.
Comme chaque jour, les fillettes cheminent vers la rivière du Mât avec leurs seaux vides. Aller chercher l’eau, la rapporter sans renverser une goutte, voilà leur tâche. À la case, tout le monde travaille. Leur père coupe la canne à sucre à grands coups de sabre partout dans l’île, ne revenant que le dimanche, et en pleine saison seulement une fois par mois. À chacun de ses retours, ses mains calleuses chatouillent les filles en guise de bonjour ; et le soir, à la lueur de la lampe à pétrole, leur mère veille tard à ôter les échardes et les dards qui s’y sont nichés. Papa parle fort, aime son « rhum arrangé» et dévore son assiette avant d’en réclamer une autre. C’est en tout cas l’impression des filles, qui adorent jouer sur ses genoux ou grimper sur son dos en le suppliant de « faire le cheval ».
Leur mère s’emploie comme blanchisseuse chez les riches, quand sa santé le lui permet. « Monmon », comme on l’appelle, respire mal, reste souvent couchée dans le noir, si frêle que son corps bosselle à peine la nasse lui servant de lit. Même ici, dans les Hauts, où l’air est plus frais, plus sain, elle cherche l’oxygène tel un poisson échoué au bord de la rivière. Elle se trouve à l’hôpital depuis deux semaines. Quand elle s’était plainte de maux de ventre, Pauline et Clémence avaient espéré qu’elle reviendrait avec un bébé, comme les voisines, mais le médecin avait tordu le nez, prononcé un drôle de mot, « péritonite », avant d’aller chercher une ambulance. Depuis, les filles attendent leur mère.
Par chance, il y a Gramoune, leur grand-mère, avec son visage altier raviné de rides, sa tête auréolée d’une opale noueuse qu’elle relève sur son cou, et l’odeur de beignets dont elle semble se parfumer. En cette heure, elle doit trier le riz, composer les marmites du repas du soir dans la cour, le cœur de la maison. Ce cœur s’étend au potager, où des poules et des chèvres vivent en gentils serviteurs. Aux rares moments où leur Gramoune ne s’affaire pas, elle emmène les gamines prier saint Expédit. La Réunion fourmille de petits oratoires rouges édifiés en son honneur, garnis de fleurs artificielles et d’ex-voto. On vient demander au saint un mari, un travail, un bébé ou qu’une mère époumonée retrouve la santé et revienne à la maison.
Aujourd’hui, Pauline et Clémence vont veiller à rapporter assez d’eau. Hier soir, quand la nuit s’est abattue avec sa rapidité d’ici, la famille Rivière s’est rendue à un bal-mariage. Une invitation attendue par tous. On avait dansé en rond, même Mémé Gramoune au son du sega et du maloya. Les adultes avaient beaucoup bu, s’étaient frottés les uns aux autres avec ce qui ressemblait à de la férocité. Les enfants n’en perdaient pas une miette de beignets de banane. On fêtait la fin de la pluie, un prétexte, mais c’est un fait, il avait plu une semaine d’affilée et, même en ces premiers jours de novembre, c’est-à-dire en plein été, c’était inhabituel. Au début, les averses diluviennes étaient les bienvenues, les enfants couraient joyeusement, se lavaient sous les gouttières, jouaient avec les grosses gouttes d’argent, mais quand les nuages explosaient dans le ciel, un déluge s’abattait sur les maisons, s’infiltrait sous les toits, inondait les pièces, et la malédiction commençait. La pluie formait un mur, une masse qui cognait inlassablement contre le toit de la case. La terre entière semblait hurler de terreur. La famille se retranchait à l’intérieur, épouvantée par ce fracas ruisselant, à l’affût du moindre craquement suspect. Quand la case tremblait, on craignait un phénomène pareil aux coulées de lave : on avait vu des maisons s’effondrer d’un coup. Et pourtant, tout cela n’était rien comparé aux cyclones. Ceux-ci étaient chez eux sur l’île et, quand ils s’invitaient, il fallait se cacher, s’agripper au lit et affronter l’ogre. Sous le choc, les arbres s’arrachaient à la terre dans un vacarme atroce. Chaque cyclone, disait-on par ici, cachait un esprit malveillant envoyé pour punir les hommes.
La dernière fois, la case avait tenu par miracle au milieu des citronniers et des bananiers. Quand ils étaient sortis, le sol fumait à cause de l’humidité. Le manguier dans la cour paraissait nu, déshabillé de ses feuilles, de ses fruits, qui la veille encore semblaient supplier qu’on les cueille pour soulager les branches qui pliaient sous leur poids.
— Dis, on la voit quand, Monmon ?
— Bientôt, ne t’inquiète pas.
En réalité, Pauline n’en sait rien, c’est une affaire de grands. Mais elle rassure sa cadette et la distrait comme elle peut. À la rivière, la plus large de l’île, où d’autres enfants s’éclaboussent dans l’eau si claire, c’est facile. On pêche avec un clou en guise d’hameçon, on s’amuse à faire des ricochets ou à titiller les sensitives, ces plantes timides, d’un rose pâle, qui poussent au bord des routes et se rétractent sous les doigts. Quand la faim les tenaille, les filles se jettent sur les litchis. Leur chair tendre et doucereuse dégouline alors sur le menton, délice à renouveler jusqu’à ce que le ventre crie grâce. Aujourd’hui, Pauline en a avalé une trentaine, son record. Elle l’ignore, mais il lui faudra attendre des décennies avant de sentir à nouveau la pulpe de ce fruit tapisser son palais. Car de ce 3 novembre 1963 date leur dernier moment d’innocence, le « temps d’avant ».
— Allez, on doit vraiment y aller, s’énerve Pauline. Soulève ton seau et fais bien attention !
Le retour est toujours plus pénible, avec l’anse en fer qui blesse les paumes et le soleil blanc qui brûle les épaules. Dans l’après-midi phosphorescent, les cheveux de Pauline semblent crépiter. On la remarque de loin, cette cafrine, noire d’origine, mais héritière d’une peau pain d’épice ambrée léguée par quelque ancêtre blanc, avec son sourire en étendard, ses yeux à l’iris vert mousse moiré et d’invraisemblables cheveux crépus aux boucles couleur maïs tressautant à chaque mouvement. « La fille Rivière, elle ira loin », murmurait-on sur son passage. Clémence, à la peau cuivrée, au visage rond et poupin, à la chevelure semblable à de la laine emmêlée, laissait plus indifférent.
Soudain, sur la route bordée d’hibiscus rouges, Pauline perçoit un bruit de moteur caractéristique qui se rapproche. Elle crie à sa sœur de se cacher, mais devant elle Clémence poursuit sa route, chantonne sans l’entendre. Dissimulée derrière un arbre, pétrifiée, Pauline se met alors à trembler. Cette voiture, c’est la 2 CV camionnette rouge, dite loto rouz, celle dont tout le monde dans l’île sait qu’il ne faut pas s’approcher, comme si elle était hantée.
— Clémence !
La camionnette ralentit à hauteur de la petite, une portière s’ouvre, un bras musclé l’arrache à la terre, en faisant valser son seau dans une gerbe d’eau. Un homme sort de l’habitacle et jette sa proie à l’arrière du véhicule.
Effrayée mais prête à tout pour sauver sa sœur, Pauline quitte son abri. Une femme, une zoreille à en juger par ses habits impeccables, l’interpelle :
— Bonjour, toi, koman i lé?
Tiens, l’inconnue sait le créole, mais les sonorités paraissent différentes, les lettres roulent dans la gorge de façon bizarre.
Elle fait un pas, puis deux, et le garde-chasse – c’est lui, elle le reconnaît – la saisit aux épaules, la pousse à l’intérieur, en refermant presque la portière sur elle. Piégée comme libellule dans un bocal. En pleurs, Clémence s’accroche à sa sœur, effrayée par la brutalité du type et les rugissements poussifs de la camionnette – c’est leur premier voyage en voiture. Derrière la vitre latérale, Pauline voit des cases défiler, mais aussi des maisons blanches ou pastel, aussi élégantes que leurs varangues. Elle crierait si sa gorge n’était pas si sèche. À un moment, l’automobile ralentit, stoppe, sa portière arrière s’ouvre, et l’homme enfourne à l’intérieur un autre enfant tenant un cerf-volant en feuille de coco. Tétanisé, le petit malbar se blottit contre elles. Bientôt, une odeur de pipi émane de lui. Écœurée par ce remugle, chahutée par les virages de la route, Pauline sent la nausée l’envahir. À côté d’elle, le petit corps de Clémence vibre et son haleine tiède lui souffle au visage.
Où les emmène-t-on ?
Jamais, paraît-il, on ne revoit les enfants capturés par la voiture rouge…
D'une blancheur étincelante, les tombes croulent sous les fleurs naturelles, les bouquets artificiels, les ex-voto. Rien de funèbre, contrairement à l'usage ne métropole, ici, la vie insiste, se faufile entre les centaines de sépultures. Les Réunionnais vouent un culte fervent à leurs ancêtres. Nous cheminons en silence sur un sentier bordé de frangipaniers, penchés vers le sol comme par une main invisible qui nous rappellerait au recueillement, à l'humilité. Des monuments hindous parés de rouge vif ou de rose, des sacrifices, des offrandes chinoises cohabitent harmonieusement. Ce cimetière réunionnais est un voyage à lui tout seul : les religions s'y côtoient, partagent la même mémoire, patientent dans la même espérance. Nous voilà dans la partie la plus modeste du cimetière, celle où les pirates, m'apprend-on, sont inhumés au voisinage des naufragés de catastrophes maritimes.
- Pourquoi cette histoire ne sort-elle que maintenant ? s'enquiert une femme en pleurs à l'antenne.
- Tout a été prévu pour dissimuler la vérité, tonne l'élu communiste. En 1963, elle n'intéressait personne. Seuls le PC et son journal, -Témoignages, sont montés au front. Les élites, l'Eglise, l'armée, les maires, les assistantes sociales sont coupables de fait, de complicité ou de silence. Tout le monde a eu honte d'avoir peu ou prou participé à cette histoire. D'où la violence d'un refoulement collectif dont on sort à peine. (p. 156)