Merci à Babelio de m'avoir proposée l'envoi de ce livre, la découverte de cette auteure. J'aime me rappeler de mes lectures en laissant quelques mots mais présentement c'est difficile pour moi de rédiger cet avis.
Eteindre le soleil me semble être une biographie plus qu'un récit fictif.
Les faits chronologiques, l'écriture linéaire qui a des accents de journal intime, les dialogues rapportés : c'est une lecture facile.
Les barrières à franchir pour se dévoiler et se rendre publique ne sont pas à la portée de tous. Toutes ces années ont assurément été une épreuve douloureuse pour ceux qui les ont ressenties. Les morts prématurées et violentes, l'emprise psychologique, la maladie, l'accompagnement de la fin de vie. Je lis une force d'engagement chez l'auteure.
C'est le fond qui pour moi est plus périlleux à commenter. Un fond dérangeant. Je me suis sentie prise à parti, si bien que ça n'a pas été plaisant à lire. Je ne me suis pas sentie concernée par ces histoires de famille. Et pourtant c'est comme si tout était fait dans le récit pour m'obliger à écouter, à juger, et à dire… les méchants c'est pas nous! J'ai l'impression d'avoir lu un règlement de compte. Une nécessité de dire haut et fort combien la vie a été injuste dans cette famille. Que cette fille et son père ne méritaient pas ce destin. Qu'ils méritaient mieux. Mais moi lectrice du moment, je ne suis personne pour juger ça, ça n'a pas été confortable de se sentir ainsi coincée dans un camp.
Qu'en aurait il été de ma lecture si j' avais pu avoir un autre éclairage sur les faits? le point de vue de la belle mère? Ça m'a manqué pour donner à ce récit intime davantage de hauteur et d'ouverture au monde bienveillant.
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Coup de coeur !
Un grand merci à Babelio et aux éditions Plon pour cette découverte.
Je ne connaissais pas cette autrice qui a pourtant déjà écrit plusieurs romans.
C'est un véritable coup de coeur pour cette déclaration d'amour d'une fille à son père.
Récit intimiste, émouvant et d'une profonde sincérité.
Ariane Bois nous raconte son enfance et le lien si fort entre elle et ses parents. Son frère trop tôt disparu et sa mère quelques années plus tard qui disparaîtra dans un accident.
Ne reste qu'elle et son père et leur lien déjà très fort va se resserrer.
Jusqu'à l'arrivée d'une belle-mère envahissante, déplaisante et progressivement méchante.
Cette belle-mère n'aura de cesse de créer de la distance entre le père et la fille. La jalousie la consume et elle va augmenter son emprise sur un homme qui n'a jamais aimé les conflits. Il ne saura pas s'imposer et s'opposer.
Petit à petit cet homme sera isolé, car cette femme fera le vide autour de lui. Eloignant la famille et les amis, seule Ariane, persistera et fera face à cet être destructeur qui vit avec son père.
Ariane Bois nous livre avec beaucoup de talent et de finesse, des anecdotes de sa vie, de son lien avec son père. On s'attache à cet homme, qui n'arrive pas à sortir de l'emprise. Même lorsqu'il tombera malade, cette femme sera incapable de gentillesse. Sa jalousie va même s'exacerber avec l'âge jusqu'à devenir incontrôlable.
Mais il est trop tard pour le professeur Bois, il n'a plus la force d'agir et subira jusqu'à son dernier soupir la méchanceté de cette femme.
Lu en quelques heures, impossible de lâcher cette histoire tellement on se sent en empathie avec Ariane et son père.
Bouleversant !
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Eteindre le soleil est un livre agréable et touchant de part un des sujets abordés en l'occurrence une relation fille-père .
Probablement s'agit il d'un récit autobiographique.
D'une famille de 4 à l'origine, suite au fils qui s'est donné la mort et à la mère, décédée dans un accident d'hélicoptère, ne restent plus que le père et la fille, Ariane Bois.
Présentons les.
Le père, médecin bien sous tous rapports, dans les 65 ans au début du récit, adulé par sa fille, amoureux de sa femme, un exemple social. Portrait trop beau pour se suffire à lui même, les failles ne seront pas loin.
Son épouse, portrait équivalent à celui de son mari, amoureuse de lui autant qu'il l'est d'elle, grand reporter d'où l'accident d'hélicoptère, des failles non explorées dans le livre.
Le fils, l'oublié du livre, éteindre le soleil c'est à dire le père, le mot lune me vient à l'esprit pour le fils, on ne se suicide pas comme cela c'est à dire sans raisons.
La fille, la narratrice, mariée trois enfants plus deux à venir, sans plus de recul que celui d'une fille qui idolâtre son père, ce que l'on comprend ( le manque de recul ).
Le père, jamais complètement remis du décès de sa femme, quelques aventures puis il rencontre Edith.
Portrait d'Edith.
La méchante de service. A moitié psychopathologique si ce n'est plus, Ariane est presqu'exclusivement dans le descriptif, comment la définir avec le peu d'éléments dont on dispose.
Parano assurément, elle assène des certitudes, aucune discussion possible, aucune remise en cause, le coupable c'est forcément l'autre.
Abandonnique d'où sa recherche d'amour sans partage et son intolérance agressive aux frustrations.
Et pour compliquer le tout, le père, médecin quand même, évoque des bouffées délirantes, parlons plutôt de crises de délire, des bouffées délirantes ne disparaissent pas comme cela en quelques heures ou quelques jours.
L'histoire.
C'est donc une histoire d'emprise au féminin, Edith phagocytant sa proie, le père, l'isolant de toute relation importante à commencer par sa fille, qui se défend.
Quelques commentaires.
Ecriture limpide mais quelques légèretés. Il dégaine un sourire à la Chirac, l'amour filial fait chavirer mon coeur et pour couronner le tout, il en avait des étoiles plein les yeux. Désolé ; je suis allergique aux étoiles et n'ai pu m'empêcher de le souligner.. Mais, pas grave.
Son de cloches.
Nous avons celui de la fille et de son recul.
Celui d'Edith eut été intéressant. J'imagine : la fille qui ne veut pas lâcher, son père et l'empêche de vivre etc.
Celui du père, mais n'y comptons pas, sa spécialité étant de fuir quand il ne le faut pas, ses responsabilités.
Conseil, un livre, comment gérer les personnalités difficiles. Avec Edith, entrer dans un conflit était le perdre d'avance.
Eteindre le soleil.
Beau livre malgré tout.
Mais nous ne sommes pas en Egypte, le dieu Râ n'existe plus.
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(Les premières pages du livre)
C’est un vendredi, un vendredi de pluie continue. Nous sommes arrivés en retard au restaurant – j’avais hésité dans le choix de la robe, car je voulais faire honneur à mon père, qui, tout comme mon mari, aimait les tenues féminines, et me montrer sous mon meilleur jour, l’occasion étant, je le pressentais, d’importance. De l’autre côté de la vitre, je les ai vite repérés. Sanglé dans son habituel imperméable beige, mon père ressemblait toujours plus à Montand, période Z. Même carrure, gestes identiques, mains virevoltantes comme son acteur préféré. De la rue, on se serait cru dans un film de Claude Sautet. Des convives parlant fort, riant, un ballet de serveuses. Seules les fumées de cigarettes manquaient au tableau, santé publique oblige.
À côté de lui, très droite, celle que je vais enfin rencontrer en bonne et due forme : Édith.
Prenant une grande inspiration, je pénètre avec mon mari dans la salle surchauffée. M’apercevant, mon père cherche à s’extraire de la table, l’air ravi. Les présentations sont vite effectuées, chacun sait pourquoi il est là : faire connaissance avec « l’autre » femme de notre hôte. Celui-ci parle beaucoup, ressert à chacun un vin qui semble disparaître à une vitesse alarmante, réclame du pain, une entrée, puis deux. Une véritable pile électrique. Je souris au numéro paternel d’une manière indulgente. Il doit se sentir un peu sur la sellette, pour se donner ainsi en spectacle. Mon père aime discuter, certes, mais plus pour mettre les autres à l’aise que pour se faire mousser. Il se sent à sa place partout, d’habitude, avec un ministre comme avec un SDF. Chez lui, tout est sympathie instinctive, générosité, écoute de l’autre. Je la regarde, elle, chevelure courte, yeux vifs et acérés qui vont de mon mari à moi, sans se mêler à la conversation. Son silence m’étonne, tout comme ses gestes de tendresse incessants : sa main virevolte des genoux paternels à ses épaules, s’aventure dans ses cheveux, sur sa nuque. C’est comme dîner avec un gosse qui bouderait le repas des adultes et trouverait à s’amuser avec ses bras, tandis que les convives s’efforceraient de ne rien remarquer. Mon père rit, d’un rire qui sonne faux, et tente de calmer les effusions d’Édith dont le manège me rend nerveuse, sans que je parvienne à en analyser la raison. Peut-être parce que sous ses grands airs je le sais pudique et que ces marques publiques d’affection doivent le gêner atrocement. Édith semble signifier ainsi : « Il est à moi. » Il me regarde, moi, sa fille, et me sourit comme pour dire : « Ce n’est rien. » Une image de pieuvre me vient à l’esprit et je chasse cette vision dérangeante : il s’agit, pour moi aussi, de faire bonne impression. Mon père tient tant à ce dîner, et à notre bonne entente future. Je pose donc une foule de questions à Édith, sans me forcer – après tout, je suis journaliste –, et elle me répond d’un oui ou d’un non laconique. Le silence se fait malgré nous.
Et puis, à la fin du repas, après le dessert que mon père a tenu à commander, même si plus personne n’a vraiment faim, une assiette de profiteroles au chocolat à l’odeur entêtante et trop sucrée, Édith se tourne vers moi, soudain exultante. Je me penche, soulagée. C’est le moment où cette femme va me glisser un mot gentil, où un début de complicité naîtra entre nous, où elle me confiera quelque chose d’elle. Ce n’est pas ma meilleure amie ni une complète étrangère, mais la nouvelle amoureuse de Papa. Elle possède donc une place dans notre famille et, par ses mots à venir, nous rejoindra enfin. Je suis tout ouïe.
Elle articule alors, triomphante :
— Tu sais que je connais ton père depuis plus longtemps que toi ?
Je recule, l’impression subite d’avoir reçu un coup de griffes. Mais mon cerveau travaille à plein régime et la réponse fuse :
— J’ignorais qu’il s’agissait d’une compétition.
À notre table, les hommes semblent disparaître, s’évanouir dans l’ombre. Il n’y a plus que nous, la fille et la belle-mère. Et j’ai été prévenue. À la fin de cette soirée, je ne le saurai que plus tard, la guerre a été déclarée.
Première partie
Mon père a perdu presque tous ceux qu’il aimait. Son propre père d’abord, Paul, malade pendant des années et confiné au lit après une attaque, soigné plus de deux ans par ma grand-mère. Quand il est parti, comme il avait vécu, discrètement, Papa avait trente-deux ans. Voir souffrir un proche a-t-il influé sur sa décision de devenir médecin ? Il ne supporte en effet pas la souffrance chez les autres ; une colère, une rage même le prend qu’il met à profit pour secourir adultes et enfants. Il fut un temps pédiatre avant de bifurquer vers la génétique et la recherche, surtout dans l’outre-mer. Et puis, notre monde s’est écroulé. Mon frère est mort à vingt ans. Volontairement. Sept ans plus tard, un accident et un sale brouillard nous privaient de ma mère. Le destin bégayait et nos larmes semblaient impossibles à arrêter. De classique, à quatre, notre famille se retrouvait à deux, et, même avec mon mari, le compte n’y était plus. Mon père virait donc au veuf, un drôle de mot, un vocable qui fleure son Balzac et ne lui convenait pas du tout.
Après des mois, des années tristes, entrouvrir sa porte et laisser passer un peu d’espoir fut vital. Alors il y eut des sorties, des week-ends, des dîners, des filles. De son humour pince-sans-rire, mon père nous prévint un jour : « La chasse aux veufs est ouverte. » Je ne posais aucune question, et l’on vit ainsi passer une médecin généraliste, longue silhouette drapée dans sa dépression, une mère de famille à l’enfant « difficile », une étrangère dont la nationalité changeait toutes les semaines, une podologue qui proposa de s’occuper des pieds de toute la famille, une célibataire obsédée par la pâtisserie, la préhistoire et le basket au féminin. Oui, dans cet ordre. Elles disparurent du paysage aussi rapidement qu’elles avaient fait irruption dans nos existences.
Et puis, un jour, coup de téléphone du paternel :
— Viens chercher un papier, chérie.
J’obtempère. Après tout, je n’ai qu’un couloir à traverser. Nous habitons sur le même palier depuis quelques mois et la frontière entre nos deux appartements se révèle ténue. Il passe chercher une tasse, une casserole, partager un article du Monde auquel il voue un véritable culte et lit avec assiduité depuis ses dix-sept ans, mes fils filent sauter sur son lit ou chiper les bonbons au miel dont il bourre ses poches. Mélangée à son parfum puissant, voilà l’odeur de mon enfance, une senteur de sucre qui me rassure et m’apaise. Je pénètre dans l’appartement, du jazz résonne comme à l’accoutumée, Ella Fitzgerald et Miles Davis, et, sur la gauche, dans la cuisine étroite, je capte du coin de l’œil une forme féminine. Coup au cœur : de dos, on dirait ma mère. Petite, des jambes très minces moulées dans un jean bordeaux, comme elle. Pendant quelques secondes, je perds pied. Ma mère a disparu alors qu’elle était au bout du monde, il y a cinq ans. Elle n’a jamais vu ce nouvel appartement. Cela ne peut donc être elle. La personne qui me tourne le dos et égoutte une salade m’est inconnue et pourtant quelque chose de familier dans l’allure s’en dégage. Je reste interdite pendant que mon père se dépêche d’effectuer les présentations :
— Voilà Édith, dont je t’ai déjà parlé.
Un visage harmonieux, une coupe nette derrière les oreilles, un air décidé. Une silhouette presque juvénile, en baskets malgré ses soixante-cinq ans. S’il y a bien quelque chose de ma mère – cette même minceur, presque de la maigreur –, les yeux très maquillés, une ombre à paupières curieusement turquoise, diffèrent totalement. Ces rétines-là me fixent, dures et immobiles. Le sourire, à peine esquissé, ne découvre pas les dents. On dirait un oiseau, avec un nez court comme un bec et des mains semblables à des serres. Quelque chose de désagréable, de froid, s’immisce en moi, que je m’efforce de chasser.
Après tout, ma curiosité est attisée : c’est grâce à moi qu’ils se sont revus. Un soir, je tombe en effet sur l’avis de décès d’un artiste de théâtre dont je sais l’œuvre importante. À Bordeaux, à une époque, mon père connaissait celle qui deviendrait sa femme. Je lui signale ce décès, il téléphone à Édith et se rend à l’enterrement de son mari. Et c’est ainsi que tout a commencé entre eux, par mon entrefait, en quelque sorte. Mais leur histoire a en fait débuté bien avant, dans leurs tendres années, chez les scouts protestants. Moniteur déjà, mon père impressionnait les petites comme elle. Il faut dire qu’il avait fière allure, le Bordelais, avec sa masse de cheveux noirs, une virilité assumée, les épaules larges, tout en jambes, dans un polo blanc. Les filles en étaient folles, et malgré ses douze ans, Édith ne dérogeait pas à la règle. Leurs familles, en plus, se connaissaient, la bonne société protestante de la ville, fière de sa religion, ne manquant aucun culte dominical. Édith avait cherché à attirer l’attention de l’adolescent un rien dégingandé, les bras trop longs et étrangement laxes, la cigarette clouée à la bouche. En vain. Celui-ci virevoltait au gré de ses envies, et Édith, désemparée, observait son manège. Jamais il ne s’intéresserait à elle. Copain avec le frère de celle-ci, mon père lui rendait souvent visite. Tous les deux jouaient du saxophone, imitant John Coltrane, leur idole, à en faire trembler les murs et rêvaient d’une Amérique plus juste. « Je me souviens d’une gamine à l’air énamouré, racontera mon père, mais je ne crois pas lui avoir adressé la parole trois fois dans l’année… »
Entrée dans notre vie il y a dix ans, cette femme voulait mon père pour elle toute seule, refusait de le partager avec sa famille, ses petits-enfants, et surtout sa propre fille dont les liens privilégiés avec l'homme qu'elle aimait la dérangeaient et la rendaient même folle, la dernière année. Une affaire de jalousie féminine, mais aussi de grignotage progressif, d'isolement de la victime, de prise de territoire. D'emprise, donc, et de terreur. L'image d'une araignée et de son piège cadenassé s’impose. Édith à l’âme saumâtre a mis à mal ma relation avec mon père, piétiné celle qu'il entretenait avec les siens, a gâché les mois ultimes de sa vie par ses colères, a ruiné sa mort en interdisant les visites de ses frères, le laissant seul dans la solitude et l'effroi. p. 173
Il lit aussi beaucoup, des livres sur le deuil, forcément, sur la perte, la Bible. Essayer de donner un sens à la tragédie qui l’a frappé par deux fois, se réconforter aux mots des autres. Je lui offre Martin cet été de Bernard Chambaz, le plus beau texte à mon avis publié sur la mort d’un fils, un bijou de tact et de sensibilité. Il le lit en trois heures et, bouleversé, me confiera :
— C'est ça que j'aurais voulu écrire!
Peut-être par ces mots me donne-t-il l’autorisation de me lancer, moi aussi. En tout cas, je veux le croire. La parution de mon premier roman, consacré à mon frère, vingt-trois ans après sa mort, le rendra immensément fier, malgré sa douleur infinie à le lire. Et la mienne à le regarder se décomposer en tournant les pages. On craint toujours plus le désespoir de ceux qu’on aime que le sien. J'ai écrit ce texte pour nous deux, et je crois, j'espère que sa parution a apaisé un peu sa peine.
Mon mari et moi déménageons, et bientôt, sur le palier, l’appartement d’en face se libère. À mon grand soulagement, mon père accepte de nous suivre et de le louer. Quitter le domicile conjugal est pour lui un crève-cœur, l’impression de se séparer une nouvelle fois de ma mère. p. 41-42