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sur 426 notes
Un des commentaires sur Amazon ( 1 étoile ) :
« Près de 1000 pages de tripotage intellectuel vaseux et stérile, un vide abyssal, un ennui profond. 30 euros et je ne sais pas encore si je conserverais "l'ouvrage" même pour caler un pied d'armoire, tant il m'a semblé calamiteux!!! A MOI Césaire, sauve moi de "ça". »
Réponse d'un lecteur à ce commentaire :
« Pas étonnant qu'un admirateur de Césaire (l'improbable), ne comprenne rien à Bolaño, la quête d'utilitarisme conduit, elle à l'abysse. »

Si ces commentaires m'ont interpellée c'est que je crois bien, moi aussi, n'avoir rien « compris » à Bolaño. On m'avait « vendu » 2666 comme un chef d'oeuvre et les qualificatifs élogieux ne manquent pas lorsqu'on lit la plupart des avis : roman-monde, roman total, roman fou etc etc…
Vous l'avez compris, je ne partage pas l'enthousiasme et l'extase générale suscités par ce roman. J'en attendais probablement trop, autre chose en tout cas c'est certain. Non, en fait le problème c'est que j'en attendais tout simplement quelque chose, rien de précis mais au moins quelque chose et que, finalement, il ne s'est rien passé, je n'ai rien retiré de ma lecture.
C'est pourquoi j'ai voulu vous faire part des deux commentaires amazon ci-dessus.
« La quête d'utilitarisme conduit, elle à l'abysse. »
Ayant lu ces mots, je me suis dit que j'étais une lectrice « utilitariste », j'attends obligatoirement quelque chose de mes lectures, j'ai besoin qu'elles me soient « utiles », que j'en retire un enseignement, une réflexion, des informations, la beauté des mots voire même simplement un beau moment de rêve et de détente. Mais je ne conçois vraiment pas la lecture comme une activité stérile, lire pour lire, sans rien attendre en retour.

2666 ne m'a rien apporté, vraiment rien. le style n'a rien d'exceptionnel, la construction est on ne peut plus frustrante ( peut-être dû au fait que le roman est inachevé …), je n'ai rien appris, je n'ai pas été invitée à la réflexion ( ou alors je n'ai pas vu l'invitation car d'autres apparemment l'ont vue). L'auteur multiplie les genres au sein d'un même roman, c'est bien mais ça n'a rien d'inédit, bref je ne comprends pas l'engouement général …

2666 se compose de 5 parties destinées d'abord à être publiées séparément, cette décision initiale de l'auteur, qui se savait malade, visait à assurer l'avenir économique de sa famille. Après sa mort, par souci de respecter l'oeuvre dans sa globalité, les éditeurs ont choisi de passer outre la volonté de l'auteur et de publier ainsi les cinq parties ensemble.

La première partie m'a franchement déroutée, je me suis même demandée si mon exemplaire n'avait pas été victime d'une erreur d'impression. L'action se déroule en Europe, on suit les péripéties amoureuses d'un quatuor d'universitaires tous fascinés par l'oeuvre d'un mystérieux écrivain allemand. Leur quête les conduit jusqu'au Mexique, à Santa Teresa, où les meurtres en série de jeunes femmes terrorisent la population.
Les deux parties suivantes s'attachent chacune à un personnage précis. D'abord, un mexicain dont l'auteur nous retrace la vie, père célibataire vivant dans la crainte que sa fille ne soit victime du tueur en série. Ensuite, un jeune journaliste américain est chargé de couvrir un match de boxe au Mexique. Il entend parler des meurtres, un sujet en or pour un journaliste comme lui.
La quatrième partie retrace dans le détail toutes les circonstances de chaque meurtre perpétré à Santa Teresa. Ce sont des dizaines et des dizaines de meurtres qui s'enchaînent sans interruption. Cette partie m'a beaucoup impressionnée car on aurait pu craindre la lassitude à force de répétition mais pas du tout. On est littéralement plongé en plein roman noir. La partie précédente avait commencé à éveiller ma curiosité et mon intérêt, je dois avouer que cette partie-ci n'a fait que les accroître considérablement.
Je pensais donc apprendre enfin le fin mot de l'histoire ( au bout de 1000 pages !) dans la dernière partie, celle consacrée à ce mystérieux écrivain. Après donc le roman noir, on se retrouve en plein récit de guerre. J'ai bien aimé cette partie où le tableau commence à s'éclaircir.

Finalement, je me suis quand même plutôt ennuyée durant les ¾ du livre. J'en suis ressortie frustrée car bien qu'il y ait un fin fil conducteur entre les parties, on ne retrouve plus du tout les personnages d'une partie à l'autre, je m'attendais à ce qu'il y ait un lien, des explications mais je suis restée avec mes questions. A la fin, on a bien une idée de l'identité du coupable mais rien n'est affirmé et le fait que le roman soit inachevé se fait bien sentir.

Concernant la série d'assassinats, elle est inspirée de faits réels. Pour connaître l'histoire, je vous conseille le film « Les oubliées de Juarez » avec Antonio Banderas et Jenifer Lopez. Ayant déjà vu le film avant cette lecture, vous comprenez que le sujet du roman de Bolaño n'avait rien d'original pour moi.

Je crois que c'est Joachim qui avait souligné l'influence de Gabriel Garcia Marquez chez Bolaño et c'est vrai, je l'ai remarquée de temps à autre. La dernière partie m'a aussi beaucoup rappelé Kaputt de Malaparte dont il faudra que je vous parle prochainement alors que la toute première partie nous plonge plutôt dans une ambiance digne des auteurs européens tels Zweig, Musil, Marai … Je reconnais donc le talent de Bolaño d'avoir su aussi habilement manier les genres.

C'est terrible, c'est limite si je ne m'excuse pas de ne pas avoir aimé. Alors certains diront que je n'y connais rien en littérature ( et dans ce cas qu'on m'explique ce que signifie « s'y connaître en littérature » ), que je suis une inculte et que je suis dénuée de toute intelligence etc … ( j'y ai eu droit lors de l'affaire « plug anal de MacCarthy »). Mais voilà, c'est comme ça, je me suis ennuyée, je n'ai rien appris, je suis très déçue et je ne dois pas avoir la même définition du « chef d'oeuvre » que la plupart des gens. J'ai mentionné Kaputt tout à l'heure, eh bien Kaputt pour moi EST un chef d'oeuvre.




Addendum :

Je me suis rendue compte que je reprochais aux avis élogieux de ne pas être précis concernant les raisons de leur "orgasme littéraire" mais que mon avis tombait dans le même travers.
Je vais donc essayer d'être plus explicite.
Je dis dans le corps de mon article que les différentes parties du roman sont finalement très peu liées entre elles. A vrai dire, j'ai même carrément eu l'impression qu'on sautait parfois du coq à l'âne. Je n'ai vraiment pas compris pourquoi Bolaño avait procédé ainsi et ce qu'il cherchait à montrer. J'ai cru comprendre, en lisant d'autres articles, que 2666 est dans son ensemble un roman sur le Mal, je veux bien mais je ne vois en quoi c'est le cas concernant notamment les trois premières parties. A moins de considérer le Mal sous son acceptation religieuse et d'y inclure donc les plans à trois, les sports de combat etc ...
Ce que je reproche également à ce roman c'est de vouloir apparemment toucher à plein de choses sans les approfondir. Je fais partie des lecteurs qui aiment lorsqu'un auteur décortique et analyse à fond son sujet. Ce n'est pas du tout le cas ici et j'ai d'ailleurs du mal à déterminer quel est le sujet, l'objectif, la raison d'être de ce roman. J'ai une sensation de superficialité, de survol alors que j'aime plutôt la profondeur.
Enfin dernier point, j'ai une grande prédilection pour les romans coups de poing et les romans surprises. C'est d'ailleurs le critère principal de ma propre définition du chef d'oeuvre. Et ici, j'ai attendu et attendu en vain la "surprise", ce moment où tu te dis " Waouh !". Ce roman a pour moi manqué de force, de panache, je l'ai trouvé terne et sans relief. Je suis restée en dehors. Je n'ai pas ressenti d'atmosphère particulière.
Voilà donc essentiellement pourquoi 2666 n'est, selon moi, pas un chef d'oeuvre.
Lien : http://cherrylivres.blogspot..
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Vous avez déjà dû voir, un jour sur une plage, à marée basse, les contours d un courant imprimé dans le sable, où le lit d une rivière, seulement visible lorsque la mer se retire.
2666, c est un peu ça.
Sur 1162 pages superbement bien écrites, Roberto Bolano nous parle de violences, l air de rien, au travers de plusieurs histoires qui se rejoignent. Violence visible, celle des femmes décédées à Ciudad Juares (Santa Theresa) au nord du Mexique, violence larvée d intellos à la recherche d un mystérieux personnage...
Les cinq livres contenus dans ce volume, et qui devaient être édités en autant de livres, pour assurer une tranquillité financière à la famille de Roberto Bolano qui se savait en sursis, en attente d une greffe de foie, ont été publiés dans le même ouvrage, avec l accord des héritiers et de l éditeur.
Riche idée à mon avis, c est un monde total, global, une immersion dans ce que j appellerais la grande littérature, le roman poussé à son climax.
Sous couvert de plusieurs histoires et de très nombreuses digressions, jamais ennuyeuses, Bolano nous prend dans ses filets, la lecture en devient addictive, sans toujours savoir où l on va..
C est pour moi la quintessence du roman, un formidable travail, parfois proche du journalisme, du reportage, comme ce long passage sur les enquêtes des policiers dans le désert mexicain, tout en gardant ce souffle admirable dans la narration.
C est puissant, le texte forme une sorte de puzzle, apparemment sans rapport, avant qu une phrase vienne subitement vous éclairer, dessiner les ramifications.
Un pavé d intelligence et de Littérature,avec un très grand "L".
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Roberto Bolaño n'est pas de ces auteurs qui vous vampirisent, de ceux qui vous assènent avec violence leurs idées ou idéologies sur le monde, de ceux qui vous imposent leurs conceptions morales...
Il montre plus qu'il ne démontre, sans volonté affichée de délivrer un message, laissant le champ libre à la réflexion de son lecteur.

Il n'est pas de ceux qui veulent vous en mettre plein la vue, de ceux qui prennent pour de la consistance ce qui n'est que du remplissage...
Il sait donner du sens aux détails, révéler la portée universelle d'événements ordinaires.

A l'inverse des "chirurgiens" de la littérature, qui décortiquent jusqu'à l'écoeurement l'objet de leur attention, triturent leur sujet jusqu'à lui ôter tout mystère et priver le lecteur de sa marge d'interprétation, Roberto Bolaño agit en généraliste à la fois sensible et curieux, son esprit restant ouvert à tous les possibles.
Il ausculte le monde, l'observe, le palpe, explore les différentes manifestations de son mal-être, ne néglige aucune piste quant à l'origine de ses maux. Il s'intéresse à son patient dans son ensemble, s'attardant parfois sur un détail qui peut sembler insignifiant mais qui acquiert son importance comme élément constitutif de cet ensemble.

Ainsi "2666", qui se compose de cinq parties dont chacune pourrait se suffire à elle-même, mais que certaines corrélations, parfois subtiles, lient, leur permettant de former un tout finalement cohérent.
L'un de leurs points communs est une ville frontalière du Mexique, Santa Teresa. Les différents protagonistes mis en scène dans ces cinq parties vont, à divers moments, s'y trouver, pour des durées plus ou moins longues.

Au début du récit, quatre universitaires européens se trouvent réunis par leur fascination commune pour les écrits d'un obscur écrivain allemand, qui a pour improbable pseudonyme Benno von Archimboldi. de colloques en conférences, le français Pelletier, l'espagnol Espinoza, l'italien Morini et l'anglaise Norton vont nouer des relations singulières, parfois pseudo amoureuses, chacun gardant pour les autres une part de mystère qui s'ajoute à leurs antagonismes et à leurs pulsions parfois violentes pour doter leurs rapports d'une tension sous-jacente.
C'est leur volonté de retrouver la piste d'Archimboldi, insaisissable écrivain fantôme, qui les amène à envisager un voyage au Mexique.

Les trois parties suivantes se déroulent presque exclusivement à Santa Teresa, ville moyenne, sans charme, dont les maquiladoras (1) attirent les miséreux en quête de n'importe quel travail, ville de cauchemar, où d'innombrables meurtres de femmes sont commis depuis des années sans que les quelques arrestations censées mettre à l'ombre les coupables n'y mettent un terme.
Nous y croisons Amalfitano. Ce professeur de philosophie (qui accueille nos universitaires européens lors de leur venue au Mexique sur les traces d'Archimboldi), a élevé seul sa fille Rosa, avec laquelle il est arrivé de Barcelone alors qu'elle n'était qu'une enfant ; sa femme les avait alors quittés pour tenter de vivre un impossible amour avec un poète espagnol interné en asile psychiatrique. Amalfitano est constamment terrorisé à l'idée que sa fille subisse le même sort que les centaines de victimes que compte Santa Teresa.
Nous y faisons aussi la connaissance de Fate, journaliste noir américain qui échoue par hasard à Santa Teresa, afin de remplacer son collègue du service des sports qui vient d'être assassiné, et qui devait y couvrir un match de boxe.

Toute une partie est ensuite consacrée uniquement aux meurtres de femmes. En une macabre litanie, Roberto Bolaño énumère le nom des victimes, livre parfois un détail qui les personnalise, mais à peine, comme si son but était de banaliser les faits -et démontrer la banalité du mal ?- : l'énormité de ces crimes, dont le nombre est à peine croyable, finit par déshumaniser les victimes, chacune n'étant plus que l'élément d'une longue série...
Parmi les enquêteurs, dont la plupart sont au mieux effarants d'indifférence, au pire complices de ces atrocités, de rares individus se distinguent par leur humanité, leur compassion, dont le poids semble d'autant plus lourd qu'ils sont complètement isolés.

La dernière partie revient sur Archimboldi, nous conte son enfance, sa participation à la deuxième guerre mondiale dans l'infanterie allemande, ses débuts d'écrivain... il conserve cependant son aura de mystère. Enfant mutique, d'une taille exceptionnelle, plus à l'aise en compagnie de la faune sous-marine que de ses semblables, il semble éprouver un détachement permanent qui l'isole du monde, qui l'en protège aussi, sans doute, et lui permettra de survivre et de rester égal à lui-même, en dépit de la violence et de la barbarie qui l'entoure.

Pour autant, la boucle n'est pas bouclée... tout comme le roman n'a pas vraiment de fin. Non pas parce qu'il est resté inachevé en raison du décès prématuré de l'auteur (seules quelques dernières corrections devaient y être apportées), mais parce qu'il ne pouvait en être autrement ! "2666" est comme une photographie du monde qu'aurait prise l'auteur, fixant un moment, mais s'attachant à ce que l'image rendue soit représentative de la condition humaine en général. Ce qui nous est montré aurait pu arriver hier ou demain, et de toutes façons arrive tous les jours, depuis toujours, et il n'y a pas de raison que cela cesse : la violence semble inhérente à l'homme (ainsi que nous le démontrent aussi bien L Histoire que les plus banals faits divers), et elle est par conséquent infinie...

Il faut du temps pour lire "2666", et pas seulement en raison de son grand nombre de pages. Il faut le temps de suivre le rythme de Roberto Bolaño, qui, une anecdote en amenant une autre, semble parfois s'écarter de l'itinéraire initialement emprunté, jusqu'à ce que l'on se rende compte que les chemins de traverse ont pour lui autant d'importance que la route principale, qu'ils composent à eux tous cette vaste fresque qu'est la vie, avec ses vicissitudes, ses grandes catastrophes et ses petits malheurs, et -mais dans une moindre mesure- ses joies et ses bonheurs... Malgré tout, comme il nous lance sur des pistes souvent sans suite, nous promet parfois l'imminence de drames qui ne surviennent pas, alors qu'à d'autres moments il nous surprend par une horreur que l'on n'a pas senti venir, notre attention est maintenue en alerte tout au long du récit.

"2666" est, pour conclure, à la hauteur de ce que j'avais imaginé : colossal, magistral, et porteur d'une mélancolie dont vous restez imprégné de longues heures après l'avoir refermé.
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Roman monstre, issu d'autres romans et engendrant d'autres romans, roman de roman, à la fois ouvert et fermé, sorte de haïku tentaculaire et labyrinthique de plus de mille pages où tout est permis et envisageable, entre digressions et mises en abyme, 2666 est une épopée inquiétante, hantée par un trou noir intellectuel qui interroge les liens entre création, littérature, Histoire et réalité, inspiré en partie du livre Les os dans le désert de Sergio González Rodríguez.
Tenter de saisir le réel pour le perdre, lutter pour accéder au livre absolu, littérature presque quantique et multiverselle, ce livre est une énigme sans solution, à la recherche de la théorie unificatrice de tous les univers écrits : dans un monde qui s'épuise de travailler à sa survie, on frôle la révélation, mais athée, la cause perdue d'avance, celle qui nomme tout et n'y croit pourtant pas. Car Roberto Bolaño ne croit pas en l'art, y compris littéraire, pas plus qu'en ses critiques ou dans les prétentions de ses auteurs, et l'ironie à ce sujet dans 2666 est aussi jubilatoire que dévastatrice, sorte d'ultime effort de l'auteur pour sublimer le silence.
Quatre professeurs de littérature ont en commun la fascination pour l'oeuvre de Benno von Archimboldi, un énigmatique écrivain allemand de renommée internationale, exilé au Mexique. Sur ses traces, ils se rendent en pèlerinage à Santa Teresa, incarnation fictionnelle de Ciudad Juarez, la ville des femmes assassinées en série… 2666 est une enquête philosophique qui avance sur les cadavres de notre civilisation, sa perte et sa déliquescence, en un immense travelling le long des ruines d'une culture qu'invoque la trahison d'une bavarde littérature contemporaine et de son terrible et vain simulacre de salut.
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2666 est un livre très étrange. J'ai mis quatre mois à le lire, et on ne sort pas indemne de la fréquentation aussi longue d'une littérature aussi rude. La meilleure façon de décrire le style et le parti pris littéraire est de citer ce que l'auteur dit de l'écriture d'Archimboldi, l'écrivain qui parcourt toute cette oeuvre.
Edition livre de poche page 1271
et elle pensa aussi combien leurs deux vies étaient différentes, celle de Moravia et celle d'Archimboldi, le premier bourgeois, raisonnable, qui allait l'amble avec son temps et ne se privait pas, cependant, d'encourager (non pour lui mais pour ses spectateurs) certaines plaisanteries délicates et intemporelles, le second, surtout si on le comparait au premier, essentiellement un lumpen, un barbare germanique, un artiste en incandescence constante, comme disait Bubis, quelqu'un qui ne verrait jamais les ruines enveloppées d'étoles de lumière qu'on admirait depuis la terrasse de Moravia, n'écouterait jamais les disques de Moravia, ne sortirait jamais la nuit pour se promener dans Rome avec ses amis, poètes, cinéastes, traducteurs et étudiants, aristocrates et marxistes, comme le faisait Moravia avec ses amis, toujours un mot aimable, une remarque intelligente, un commentaire opportun, tandis qu'Archimboldi entretenait de longs soliloques avec lui-même, pensa la baronne, alors qu'elle suivait Lista de Spagna jusqu'au Campo San Geremia, puis traversait le pont delle Guglie et descendait quelques marches jusqu'à la Fondamenta Pescaria, d'inintelligibles soliloques d'enfant employé de maison ou de soldat nu-pieds en terres russes, un enfer peuplé de succubes, pensa la baronne, et elle se souvint alors, sans qu'il n'y ait de rapport, que dans le Berlin de son adolescence certaines personnes, surtout les bonnes qui venaient de la campagne, appelaient les pédérastes des succubes, les bonnes, les soubrettes qui ouvraient très grands les yeux avec une fausse expression de peur, les petites soubrettes qui quittaient leur famille pour aller dans les énormes maisons de quartier des riches et entretenaient de longs soliloques qui leur permettait d'assurer un jour de plus leur survie.

Je crois en effet que cette oeuvre est rude. Ce n'est pas à proprement parler une saga, car, si certains personnages se retrouvent dans tous les chapitres, si le Mexique et la ville de Santa Theresa où sont assassinées toutes ces femmes est le centre de gravité, ou le point de fuite des cinq livres, l'objet n'est pas d'écrire une histoire délimitée dans le temps et dans l'espace. Il s'agit plutôt d'une divagation, que l'on pourrait comparer à Ulysse, de James Joyce, mais en moins littéraire, avec la volonté de se mettre souvent dans la tête et la peau de personnage très simples, aux réflexions et soucis très limités, mais prégnants. D'un autre côté, le propos peut devenir très grave et Roberto Bolano nous fait rentrer dans l'histoire et ce que le 20ème siècle a de plus tragique : la bataille de l'est pendant la deuxième guerre mondiale, l'enlisement et la défaite des allemands, leur débandade dantesque. Dans cette partie, qui est l'essentielle du dernier livre, consacré à l'écrivain Archimboldi, Bolano nous fait plonger au coeur de la logique nazie et du suivisme des allemands d'une façon remarquable, avec autant de force et de perspicacité que les plus grands écrivains allemands ayant décrit ce phénomène, je pense à Host Krüger par exemple. Ceci est évidemment très étonnant pour un auteur sud américain. Mais ne veut-il pas nous indiquer par là que la réalité d'aujourd'hui, résumée en quelque sorte par les meurtres de femmes dont finalement tout le monde se désintéresse, que cette réalité est la même que celle des nazis, le mal dans sa banalité comme disait Anna Arendt ?
Le livre consacré aux crimes est le plus difficile à lire, mais son propos et la thèse qui s'y devine sont terribles. Des centaines de femmes sont assassinées, peut-être par un malade, peut-être par plusieurs, peut-être pour des raisons diverses, peut-être sans aucune raison. Peu importe, ce qui fait que cela continue, est qu'il y a ici, à la frontière de l'Arizona, des milliers de personnes, hommes et femmes, qui essayent de passer aux USA, ou qui sont venus pour chercher un travail car il y a des manufactures bénéficiant d'un législation favorable aux industriels locaux, que ces personnes sont le plus souvent seules, sans famille, sans papier, sans passé, sans avenir et que leur disparition est sans conséquence. de plus la mafia est omniprésente, dans les usines, dans la police, parmi le personnel politique, toute enquête est suspecte et doit s'arrêter très rapidement. Alors peu importe que l'on fasse croupir en prison un suspect et que les crimes continuent des mois après son arrestation et que l'on retrouve toujours de nouveaux corps dans des décharges. Même les décharges en question n'existent pas car elles sont illégales… Pendant des centaines de pages, les mêmes paragraphes se succèdent, décrivant un crime, avec deux ou trois modes opératoires qui reviennent, strangulation, viol, mutilations, l'enquête rapide permet parfois d'identifier la victime, mas ses proches sont inexistants, ont disparu, ou ne répondent pas et l'affaire est classée. Ce procédé très lassant laisse des traces chez le lecteur qui a le courage de lire toutes ces pages, toujours les mêmes, dont il est absolument impossible de retenir ne serait-ce que le nom ou même le nombre des victimes. A-t-on lu 100, 200 ou 300 tels chapitres ? Mais c'est une façon d'éprouver cette réalité, de lui être concrètement confrontée, de partager la fatigue, la lassitude des habitants de Santa Theresa, leur impuissance, alors même qu'ils font tous les efforts pour s'intéresser à elles et partagent leur angoisse.
2666 est ancré dans la réalité du vingtième siècle, et un livre entier parle d'un homme qui fut un Black Panthers.

Edition livre de poche page 380
Nous, les Black Panthers, nous avions contribué au changement. Avec notre grain de sable, ou avec notre camion à benne. Nous y avions contribué. Et la mère de Marius y avait aussi contribué, et toutes les autres mères noires qui, la nuit au lieu de dormir, ont pleuré et ont imaginé les portes de l'enfer.
Donc il décida de retourner en Californie et de vivre là-bas le restant de sa vie, tranquille, sans faire de mal à personne, et peut-être de fonder une famille et d'avoir des enfants. Il a toujours dit qu'il appellerait son premier fils Frank, en mémoire d'un camarade qui était mort dans la prison de Soledad. En réalité, il aurait dû avoir au moins trente enfants pour rendre hommage aux amis morts. Ou bien dix, et leur donner à chacun trois prénoms. Ou bien cinq, et leur en donner à chacun six. Mais la vérité c'est qu'il n'en a eu aucun parce qu'un soir, alors qu'il était en train de marcher dans une rue de Santa Cruz, un Noir l'a tué.
On a dit que c'était pour de l'argent. On a dit que Marius devait de l'argent et c'est pourquoi on l'a tué, mais j'ai du mal à le croire. Je crois que quelqu'un a payé pour qu'on le tue. Marius, à cette époque, était en train de se battre contre le trafic de drogue dans les| quartiers et quelqu'un n'a pas aimé ça. C'est possible.
Moi, jamais encore en prison et je ne sais pas très bien ce qui s'est passé. J'ai plusieurs versions sur ça, trop.
Je sais seulement que Marius est mort à Santa Cruz, où il ne vivait pas, où il était allé passer quelques jours, et il est difficile de penser que l'assassin vivait là. C'est-à-dire : l'assassin a suivi Marius. Et la seule raison qui me vienne à l'esprit pour justifier la présence de Marius à Santa Cruz, c'est la mer. Marius s'en est allé voir et sentir l'océan Pacifique. Et l'assassin s'est déplacé à Santa Cruz en suivant l'odeur de Marius. Et il est arrivé ce que tout le monde sait. Des fois je m'imagine Marius. Plus fréquemment, au fond que je ne le souhaiterais. Je le vois sur une plage de Californie. Sur l'une des plages de Big Sur, par exemple, ou sur la plage de Monterey, au nord de Fisherman's Wharf, en montant par la Highway 1. Il est accoudé à un belvédère, il nous tourne le dos. C'est l'hiver et il y a peu de touristes. Nous, les Black Panthers, nous sommes jeunes, aucun d'entre nous n'a vingt-cinq ans. Nous sommes tous armés, mais nous avons laissé les armes dans la voiture, et sur nos visages nous avons une expression de profond mécontentement. La mer rugit. Alors je m'approche de Marius et lui dis : partons d'ici tout de suite. à ce moment-là, Marius se retourne et me regarde. Il est en train de sourire. Il est au-delà. Il me montre la mer d'une main, parce qu'il est incapable d'exprimer avec des mots ce qu'il ressent. Alors je prends peur, bien que ce soit mon frère que j'ai à mes côtés, et je pense : la mer est le danger.

Du point de vue du style, le propos très concret et le récit des soucis ordinaires de gens ordinaires n'empêche pas la richesse des digressions, les divagations baroques.

Edition livre de poche page 1242
Sisyphe, oui, Sisyphe le fils d'Eole et d'Enarété, le fondateur de la ville d'Ephyra, qui est l'ancien nom de Corinthe, une ville que le brave Sisyphe transforma en repaire de ses joyeux méfaits, car, avec cette effronterie qui le caractérisait, cette disposition intellectuelle qui voyait en chaque tour et détour du destin un problème de jeu d'échecs ou une intrigue policière à résoudre, et ce penchant pour le rire, la farce, la facétie, la blague, la plaisanterie, la dérision, la raillerie, la bouffonnerie, le brocard, la moquerie, les lazzis, la singerie, le witz, l'insolence et le sarcasme, il se consacra au vol, c'est-à-dire à dépouiller de son bien tout voyageur qui passait dans le coin, et alla même jusqu'à voler son voisin Autolycos, qui lui aussi volait, peut-être avec l'improbable espoir que celui qui vole un voleur gagne cent ans de pardon, et de la fille duquel il s'était entiché, car Anticlée était très jolie, une véritable poupée, mais cette Anticlée avait un fiancé sérieux, c'est-à-dire qu'elle était engagée auprès d'un certain Laerte, qui serait célèbre plus tard, ce qui ne fit pas reculer Sisyphe, qui comptait de plus sur la complicité du père de la jeune fille, le brigand Autolycos, dont l'admiration pour Sisyphe s'était accrue comme s'accroît l'estime qu'un artiste objectif et honnête éprouve pour un autre artiste aux dons supérieurs, et donc, disons qu'Autolycos fut fidèle à la parole donnée à Laërte, car c'était un homme d'honneur, mais il ne voyait pas non plus d'un mauvais oeil, ou comme moquerie et dérision envers son futur gendre, les attentions amoureuses que Sisyphe prodiguait à sa fille, laquelle finalement, à ce que l'on dit, se maria avec Laërte après s'être donnée à Sisyphe une ou deux fois, cinq ou sept fois, ou peut-être dix ou quinze fois, toujours avec la complicité d'Autolycos, qui désirait que son voisin féconde sa fille pour avoir ainsi un petit-fils aussi rusé que lui, et, une de ces fois- là, Anticlée tomba enceinte et neuf mois plus tard, alors déjà épouse de Laërte, allait naître son fils, le fils de Sisyphe, qui fut appelé Odysseus ou Ulysse, et montra en effet qu'il était aussi rusé que son père, lequel ne s'inquiéta jamais de lui et continua à vivre sa vie, une vie d'excès, de fêtes et de plaisirs, au cours de laquelle il épousa Mérope, l'étoile la moins brillante de la constellation des Pléiades, justement pour avoir épousé un mortel, un foutu mortel, un foutu voleur, un foutu gangster abonné aux excès, aveuglé par 1'excès parmi lesquels, et même si ce n'était pas le moindre, se comptait la séduction de Tyro, la fille de son frère Salmonée, non parce que Tyro lui avait plu, ou ait été particulièrement sexy, mais parce que Sisyphe détestait son propre frère et désirait lui faire du mal, et pour cela, après sa mort, il fut condamné à pousser dans les Enfers un rocher jusqu'au sommet d'une colline, d'où le rocher roulait de nouveau au pied de celle-ci, d'où Sisyphe le poussait de nouveau jusqu'au sommet, d'où il roulait de nouveau aux pieds de celle-ci, et ainsi de suite éternellement un châtiment féroce qui n'avait pas de rapport avec les crimes ou les péchés de Sisyphe et constituait plutôt une vengeance de Zeus, car, en une certaine occasion, si on en croit ce que l'on raconte, Zeus passa par Corinthe avec une nymphe qu'il avait enlevée, et Sisyphe, qui était plus intelligent que la faim, garda l'information à toutes fins utiles, puis le père de la jeure fille, Asopos, passa par là recherchant sa fille comme un désespéré, et Sisyphe, en le voyant, lui proposa de lui donner le nom du séducteur si, en échange, Asopos faisait couler une source dans la ville de Corinthe, ce qui prouve que Sisyphe n'était pas un mauvais citoyen, ou alors qu'il avait soif, un voeu qu'Asopos réalisa : une source d'eau cristalline coula et Sisyphe dénonça Zeus, lequel, très fâché, lui envoya ipso facto Thanatos, la mort, qui cependant ne put venir à bout de Sisyphe, car celui-ci, grâce à un tour de maître qui alliait son sens de l'humour et son intelligence spéculative, captura et enchaîna Thanatos, exploit à la portée de fort peu d'hommes, vraiment à la portée de très peu, et il garda longtemps Thanatos enchaîné, et pendant tout ce temps aucun être humain ne mourut sur la surface de la terre, une époque dorée où les hommes, sans cesser d'être des hommes, vivaient sans l'angoisse de la mort, c'est-à-dire sans l'angoisse du temps, car le temps c'est ce qu'il y a en reste, ce qui peut-être caractérise une démocratie, le temps en reste, la plus-value de temps, du temps pour lire et du temps pour penser, jusqu'à ce que Zeus soit contraint d'intervertir personnellement et que Thanatos soit libéré, et alors Sisyphe mourut.

Le dernier livre est celui qui a la facture la plus classique. Il relate la vie de l'écrivain Archimboldi. Né d'un père boiteux et d'une mère borgne, élevé dans un château dont il est un des valets, Archimboldi ne sait même pas parler au début de sa vie d'adulte. Enrôlé dans la Wehrmacht, il fait la campagne de Russie où il est confronté aux situations et aux personnages les plus extrêmes. Il découvre les carnets cachés d'un écrivain de l'ombre, Ansky, qui écrit des livres que publie à son propre compte et sous son propre nom un ami, et c'est en déchiffrant ces lignes qu'Archimboldi devient finalement un écrivain, comme pour perpétuer ce geste d'un anonyme véritable auteur. On trouve dans cette partie de 2666 l'incroyable histoire de ce fonctionnaire nazi qui se retrouve un jour, quelque part en Pologne, avec sur les bras un convoi de plusieurs milliers de juifs qui lui ont été envoyés par erreur. La nécessité où il se trouve de traiter ce problème, de lui trouver une solution est une des choses les plus fortes dans l'horreur que j'ai lues sur la solution finale, car il s'agit là d'un homme qui, par commodité, ou par nécessité ou parce qu'il ne peut pas faire autrement, réinvente une solution finale bricolée avec les moyens du bord, encore plus horrible que celle d'Auschwitz.
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Lire "2666", c'est comme se lancer dans un tour du monde à la voile en solitaire et sans escale quand on ne sait ni naviguer ni nager : une expérience difficile et exaltante, qui marque durablement. Avant d'embarquer, il faut être prêt à affronter le découragement d'une errance sans itinéraire, à se perdre dans les 1012 pages, à errer dans 5 parties disparates qui ne s'emboîtent pas, à s'ennuyer sur de fausses pistes, à subir le récit de féminicides barbares (dans "La partie des crimes", très éprouvante) et à perdre même l'espoir d'une révélation qui donnerait un sens à notre sacrifice. Bref, c'est un livre qui exclut d'emblée toutes les prises auxquelles nous avons l'habitude de nous accrocher quand nous lisons. Alors, si l'on écarte aussi le snobisme (vous savez, pour ne pas rejoindre le club de ceux qui parlent les yeux fermés de "La Recherche" ou d'"Ulysse" sans les avoir lus), pourquoi franchement s'infliger pareille douleur ?
On a souvent dit que c'était un livre sur le Mal. Moi, je dirais que c'est un livre sur la littérature. Je salue la beauté du geste littéraire, l'entreprise titanesque, le rêve de totalité condamné d'avance, que mena Roberto Bolaño jusqu'au seuil de la mort :
"Quel triste paradoxe, pensa Amalfitano. Même les pharmaciens cultivés ne se risquent plus aux grandes oeuvres, imparfaites, torrentielles, celles qui ouvrent des chemins dans l'inconnu. Ils choisissent les exercices parfaits des grands maîtres. Ou ce qui revient au même : ils veulent voir les grands maîtres dans des séances d'escrime d'entraînement, mais ne veulent rien savoir des vrais combats, où les grands maîtres luttent contre ça, ce ça qui nous terrifie tous, ce ça qui effraie et charge cornes baissées, et il y a du sang et des blessures mortelles et de la puanteur."
En tant que lectrice, j'apprécie ces expériences de lecture radicales, à la limite du supportable, car elles donnent du poids aux plus légères. La littérature, c'est aussi le spectacle de ce combat contre le Minotaure. Respect, donc, Grand Maître !

Mais il serait ennuyeux s'il se contentait d'être un écrivain mégalomane : lui, son truc, c'est de brouiller les pistes, avec malice. C'est aussi pour son art du passe-passe, du trompe l'oeil borgesien, qu'il faut lire son roman. Bolaño se fait un plaisir d'engouffrer dans sa moulinette magique tous les thèmes universels, comme la quête de la vérité, l'amour, le mal, pour les réduire à une illusion, dans un style de prestidigitation à la fois ludique et nihiliste. 2666, c'est un jeu de massacre dans un labyrinthe de miroirs.

Malgré tous ces écueils, malgré l'hétérogénéité des atmosphères et le disparate des tonalités, le plus réussi dans cette oeuvre est pour moi la fluidité avec laquelle elle avance, par nappes qui superposent les voix et les personnages. Des éléments sans ordre apparent sont juxtaposés, se chevauchant parfois, parfois non, tenus par des thématiques souterraines, des échos discrets auxquels le lecteur cherche à se raccrocher. J'aime cette fluidité aveugle qui nous mène d'une zone à l'autre, de la réalité au rêve, comme un flux, surtout sensible dans la dernière partie "La partie d'Arcimboldi", celle où un Allemand qui aime les algues plonge dans les rivières… Ces nappes nous disent que "2666" est un roman sur les apparences qu'il n'essaie pas de percer, qu'il ne fait que constater. L'amour est une apparence, comme la jeunesse, comme le national-socialisme... Dans ce cas, au lieu d'adopter la verticalité à laquelle nous sommes habitués dans un roman, force qui va vers le dévoilement progressif d'une vérité, ce roman adopte cette horizontalité de l'apparence, comme si nous ne cessions de glisser sur ce qui ne peut se nommer. Les cinq parties tournent comme une toupie plate autour d'un point aveugle, l'oeil du cyclone, qui pourrait être la ville de Santa Teresa vers laquelle tout converge, mais sur lequel aucun dévoilement ne donnera jamais de certitude.
Car Bolaño ne rassure pas, il inquiète : "Il ne s'agit pas de croire, il s'agit de comprendre, puis de changer". Peut-être est-ce pour cela que la lecture de ses oeuvres ne finit jamais en nous, et qu'elles continuent à nous poursuivre une fois refermées.
Pour lui, le livre ne se consomme pas, il ne divertit pas. Il se vit.
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Rien ne peut préparer le lecteur à l'experience 2666. Ce livre là on se sent tout petit devant . L'on se demande si l'on à le droit d'écrire sur ce roman fou , ce roman total , ou Bolano crée ni plus , ni moins qu'un monde dans le monde . Ce roman , cette oeuvre colossale part dans tout les sens , l'on est aussi bien dans la recherche d'un auteur qui joue au disparu que dans une intrigue de thriller largement au dessus de la production habituelle du genre . Bolano à imaginé une histoire avec tellement de ramifications qu'on est pantois devant cet everest littéraire qui repousse les limites de ce que l'on a pu lire avant . Ce livre , cette oeuvre posthume de Bolano , c'est tel une oeuvre de Picasso , une source de sentiments dignes du paradoxe . Décrire l'imagination de Bolano c'est impossible , tellement la somme de moments d'anthologie est longue ici . Tout ce que l'on peut dire c'est que cette oeuvre est l'un des sommets litteraires du 20éme siécle , et que ceux qui vont au bout en ressortent métamorphosés tellement cette histoire est au dela de tout ce que l'on a pu lire . Fondamental .
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Critique impossible, même pour quelqu'un de moins furieusement incapable que moi.
Foisonnement ordonné. Roublardise peut être. Inachevé et terriblement composé.
Tout de même quelques impressions, premières couches de ce qui s'est déposé, sans effort d'analyse, au cours de cette lecture fractionnée en plusieurs nuits.

Le charme ironique de la première partie, des critiques, des colloques, d'une image de la vie littéraire, et ces quatre, dessinés à grands traits, comme des types, qui prennent vie et s'aiment. le découpage, les petits blocs qui alternent, avec juste assez d'irrégularités résiduelles pour qu'on ait le plaisir de goûter cette construction sans que cela pèse.

La quête, dérive, creusement, d'Amlfitano au monde des lettres, de la poésie, l'histoire de sa femme, des contestants, et les rapports avec sa fille.

Le côté picaresque de la partie "Fate",journalisme, boxe, silhouettes et l'amorce de Santa Teresa.

La formidable partie sur les assassinats, avec comme dans la première partie, l'alternance des thèmes, les reprises obsédantes et leurs légères différences, l'émotion qui passe à travers la distance gardée, et toujours des personnages "épatants"

L'emboîtement des récits , l'histoire d'Ansky qui se suffirait, qui par le texte découvert, lu, incorporé, nourrit et oriente celle de Reiter en route pour devenir Archimboldi, la résolution, le regroupement des différentes parties.

Variété des formes, et coulée impérieuse. Foisonnement des personnages, des situations, profondeur de l'histoire, survol du siècle et nourrissant le tout, circulant dessous ou affiché avec un rien d'ironie, un monde de citations vraies, fausses, recrées, inventées. Plaisir de lecture en circulant entre les différents niveaux. Un peu effrayant d'intelligence, mais avec une bonhomie que j'ai peut-être inventée pour ne pas me détourner de mon plaisir.
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Voilà ! Je l'ai enfin fini.
Je me suis lancée dans cette lecture en préambule à la représentation de l'adaptation théâtrale à laquelle je devais assister.
Évidemment je suis arrivée pour passer 12 heures au théâtre (9 heures de spectacle... il y a évidemment quelques entractes) sans avoir fini le livre et avec une grosse inquiétude quant au spectacle auquel j'allais assister.
En effet depuis les premières pages la lecture de ce roman a été une espèce de combat.... ça part dans tous les sens sans qu'on sache pourquoi. Et je comprends mieux une fois arrivée à la fin , pourquoi l'auteur souhaitait que chaque partie soit publiée de façon indépendante.
Lire ce roman en un seul bloc fut particulièrement indigeste.
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Autant vous le dire tout de suite, ce livre ne m'a pas bousculée. Non, il m'a plutôt complètement bouleversifiée, émue, ennuyée, intriguée et plus encore. Oui, oui.
Bolaño écrit son roman-fleuve alors qu'il est déjà bien malade. Il donne tout dans les 5 parties de "2666", autant de livres qu'on pourrait presque lire de manière autonome. Presque. A travers chaque livre, l'écrivain-explorateur visite les confins de la littérature: les genres, du polar au récit de guerre, les mots, poétiques ou lancinants, les personnages, grandioses ou minables, l'humanité, sublime ou cruelle.
Mais le coeur du récit c'est Santa Teresa, une ville maudite du désert du Sonora, où les femmes, les plus jeunes surtout, sont assassinées avec sauvagerie et déjà oubliées. Dans un pays d'hommes, fait par les hommes pour les hommes. Révoltante litanie de la 4eme partie, inspirée par les vrais meurtres des femmes de Ciudad Juarez. Au fil des pages de cette tragi-comédie on rencontre aussi des policiers désespérés, des philosophes à la corde à linge des journalistes impuissants, des narcos intouchables, et des femmes, qui luttent et se débattent. Au sein du mal, dissimulé et tout-puissant.
Si Santa Teresa est le coeur de ce récit, l'énigmatique Archimboldi en est la pulsation. Ce personnage d'écrivain insaisissable, que l'on recherche avec frénésie dans le premier livre, rythme par ses apparitions/disparitions tout le récit. Jusqu'à l'apothéose du dernier livre!
2666 n'est pas un livre-monde, c'est le monde dans un seul livre, écrit par une main tantôt frénétique, tantôt lente, fantasque, inspirée ou sinueuse. On n'écrit pas 1300 pages parce qu'on veut être synthétique ! Bolaño raconte tout, semble digresser quand il nous dit des vérités essentielles. Sublime! Et j'en veux encore du Bolaño, parce qu'une fois qu'on a grimpé au sommet d'un tel monument, on ne peut que s'exclamer "ENCORE"!
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