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Robert Amutio (Traducteur)
EAN : 9782267023152
94 pages
Christian Bourgois Editeur (01/03/2012)
3.71/5   49 notes
Résumé :
4ème de couverture

Dans ce dernier roman publié de son vivant, Roberto Bolaño abandonne les territoires qui ont marqué son parcours et son imaginaire personnel pour se déplacer vers la ville de Rome.

« Il n'y a ni mélodrame, ni auto-apitoiement, ni fantaisies rédemptrices au-delà de la simple illusion d'une vie meilleure. Mais il y a une grande adresse dans l'irrésistible innocence dont Bolaño dote la protagoniste. Chez elle vibre, sans... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
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Parfois, quand la vie nous joue de vilains tours on n'a pas d'autre choix que de s'égarer volontairement comme si se retrouver du mauvais côté de la vie et respirer l'obscurité était inévitable. Alors marcher sur un fil tendu en équilibre instable devient soudainement la seule chose qu'on soit capable de faire. Mais dans l'absence (car c'est d'absence dont il s'agit dans ce roman) persiste toujours un peu d'espoir pour qu'on puisse se raccrocher à quelque chose, qu'on le veuille ou pas, même si cela doit passer par des actes qui ôtent toute dignité. Perdre pied, s'enfoncer lentement mais toujours garder la tête hors de l'eau pour pouvoir respirer, c'est de cela que nous parle Roberto Bolaño dans ce court roman publié en 2002 sous le titre "Una novelita lumpen" qui sera le dernier ouvrage à être publié de son vivant.

Lumpen, terme péjoratif qui désigne les basses classes sociales. Lumpen, mendiant, voyou, délinquant, une vie en marge, une vie sans espoir ? Peut-être pas... Délinquante, c'est ainsi que se définit Bianca la narratrice de ce récit, du moins c'est l'image qui lui vient à l'esprit quand elle se remémore la gamine d'à peine 18 ans qui par une belle journée d'été a laissé une partie de son coeur sur la route de Naples dans la fiat accidentée de ses parents.

C'est une Bianca plus âgée, établie et devenue mère qui nous raconte son histoire, l'histoire d'un moment d'égarement, il n'y a pas si longtemps, à Rome, après l'accident qui les a laissés orphelins elle et son frère. L'accident terrible dont seul subsiste le jaune de la carrosserie de la fiat, le jaune du silence, le jaune du soleil qui désormais brille sans interruption pour le frère et la soeur bien trop jeunes pour être éblouis par tant de malheur et qui, livrés à eux-mêmes dans l'appartement familial, tentent de s'accrocher à leur rêve d'une vie meilleure comme on s'accroche à une bouée pour ne pas couler et se laisser simplement dériver.

Bianca attend, Bianca se consume, hagarde elle lave frénétiquement les têtes au salon de coiffure au lieu d'étudier comme pour se laver l'esprit de tant de souffrances. Elle fait l'amour une première fois, une deuxième, une troisième, et puis encore... Avec le Libyen, avec le Bolognais, personnages inquiétants, sans nom, sans visage, sans passé, sans avenir. Mais qui sont-ils ? Et pour quelles raisons son frère a-t-il permis qu'ils s'installent dans l'appartement familial ? Alors Bianca souffre en silence et comble le vide de sa vie en leur offrant son corps, Bianca triste fantôme errant à la recherche de chimères dans la grande bâtisse délabrée de la Via Germanico qui semble être restée figée dans une autre époque tout comme son propriétaire Maciste, ancienne gloire déchue du milieu du culturisme à qui elle vend un peu de tendresse, un peu de chaleur car lui aussi a perdu quelque chose qu'il ne retrouvera jamais...

L'écriture de Roberto Bolaño est âpre, silencieuse, c'est ce qui en fait toute la beauté. L'économie de mots, la crudité du langage et surtout cette forme de détachement, de distance qui est distillée tout au long de ce roman comme si rien n'était grave alors que finalement tout est grave, font de ce roman une lecture à part car dans ces pages, pas de souvenirs, pas de regrets, pas d'hommages, pas de rires ou si peu, parfois quelques sourires, les évènements ne font qu'effleurer pour ne pas blesser car vous le savez aussi bien que moi l'absence fait mal à en crever.

Roberto Bolaño nous offre un récit aphasique et poétique d'une grande justesse dans lequel les contours sont flous tout comme les personnages (peu nombreux) qui passent sans se retourner comme s'ils n'avaient jamais existé ou qu'ils avaient simplement été rêvés, les fantômes d'un songe, le songe de Bianca dans lequel ses nuits sont aussi claires que ses jours. Une histoire qui pourrait être la nôtre, un frère, une soeur, une vie en suspens comme une petite mort qui serait nécessaire, qui traînent leur peine dans le clair-obscur d'une Italie encore marquée par les années de plomb. Un récit sobre d'une grande sensibilité que je vous invite à lire, qui donne la parole à la jeune fille en devenir dont j'ai trouvé le propos d'une incroyable lucidité.

"Ces vies frôlées mais jamais surprises dans leur déroulement secret derrière les murs et les vitres troubles..."
(Soufflé par Chystèle durant ma lecture : André
Hardellet - le seuil du jardin).


Remerciements à Jmb, Vagualame, Dandine.



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Un petit roman Lumpen est la dernière oeuvre de fiction publiée du vivant de Roberto Bolano, écrivain chilien que je découvre par la même occasion.
C'est un petit roman en effet dans son minimalisme et c'est un grand roman dans la puissance émotionnelle qu'il délivre comme une déflagration.
L'histoire paraît presque dérisoire. C'est la narratrice Bianca qui nous la confie, se penchant quelques années après sur une tranche de sa vie.
Nous sommes en Italie.
Le destin offre un rendez-vous cruel avec la vie lorsque Bianca et son frère deviennent orphelins du jour au lendemain, perdent leurs parents dans un accident de voiture. Ils sont encore tous deux lycéens. Ils vont continuer de vivre tous les deux dans l'appartement familial à Rome, poursuivant leurs études. Mais bientôt les nécessités de l'existence les obligent à travailler, elle comme shampouineuse dans un salon de coiffure, lui comme homme d'entretien dans une salle de culturisme... Un jour, le frère invite deux amis mystérieux et taiseux, un Bolognais et un Libyen, qui finissent par s'installer dans l'appartement...
Elle ne se souvient plus vraiment lequel des deux est entré une nuit dans sa chambre pour lui faire l'amour. Cela n'a pas d'importance puisqu'ils sont revenus plus tard l'un après l'autre. C'est dans cette désillusion presque au bord du vide qu'elle a ainsi perdu sa virginité. Et c'est peut-être là au bord du vide aussi que son histoire a basculé vers un autre territoire, celui de la délinquance et de la prostitution. Oui, les deux hommes ont l'idée d'aller faire un coup génial, là-bas à l'écart de la capitale dans la demeure de cet homme, un culturiste aveugle, qui a incarné pour le cinéma et la télévision le célèbre personnage de Maciste. Il doit être riche, il cache forcément chez un lui un coffre-fort...
L'histoire pourrait paraître glauque.
C'est plus tard, bien plus tard qu'elle nous raconte cette histoire, bien plus tard que l'accident de ses parents dans cette Fiat jaune, plus tard que ce qui nous est raconté, une histoire parmi tant d'autres.
C'est un livre d'une étrangeté étonnante. Voilà un texte cruel qui dit magnifiquement l'absence et le désenchantement. C'est une petite voix désincarnée qui fait mal à entendre.
C'est comme une énigme, un mystère qui se faufile à chaque page, dans une écriture à la fois simple et poétique, subtile comme des miroirs imprévisibles. Il y a un pan de cette écriture qui devient vite addictif.
Il arrive à Bianca de rêver beaucoup et d'oublier ses rêves. Sa vie est peut-être d'ailleurs comme un rêve, elle s'y penche comme on se penche depuis une fenêtre de sa maison.
Que lui reste-t-il de cet accident de voiture qui a vu mourir ses parents ? Que reste-t-il à Bianca ? Un désarroi, une volonté de s'échapper du monde ou de se dissoudre dedans ? Se perdre dans une histoire qui ne lui ressemble pas ?
Laver des têtes à longueur de journée dans un salon de coiffure en plein Rome, ou bien courir à la recherche désespérée d'un coffre-fort, c'est un peu la même chose. Et si la vraie vie était ailleurs, la vraie vie de Bianca, celle qu'elle tente de nous raconter...
Lorsqu'elle fait l'amour, c'est comme si elle était absente, absente d'elle-même et de ses amants, comme si dans l'étreinte silencieuse ou douloureuse, elle regardait passer sa vie penchée depuis le balcon de sa fenêtre.
Il y a une lumière aveuglante qui joue avec le désespoir de ce récit, comme si cette lumière ne s'éteignait jamais, passant du jour à la nuit et de la nuit au jour.
Peu à peu les mots du récit tremblent comme une vision qui perd de sa lumière, perd de ses contours. Nous continuons d'avancer avec Bianca dans son histoire, un peu à tâtons, nous avons peur pour elle, peur qu'elle ne se perde en route. Elle est juste un peu fragile malgré son apparente passivité, dans cette promesse qui ne vient pas.
On a juste envie de la prendre dans nos bras et de la protéger des loups qui rayent la nuit et des virages qui broient comme une noix les Fiat jaunes.
Il y a un désenchantement infini qui résonne à la lecture de ce petit récit que j'ai beaucoup aimé et qui se prolonge longtemps après.
Merci à Gaëlle, Sandrine, Patrick dont les merveilleux billets m'ont donné envie d'aller vers cette lecture.
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Si Roberto Bolaño voulait dans son dernier écrit, transcrire le chagrin qu'une jeune adolescente ressent lorsque, elle et son frère, perdent leurs parents dans un accident de voiture, il utilise un langage plat, froid, sans absolument aucune émotion, aucun lyrisme, aucune poésie.
Bianca imagine la voiture jaune de ses parents, devenue grise après l'accident, voit de la lumière partout, pense d'ailleurs être la seule à VOIR, alors que son frère et ses deux amis, qui s'installent chez eux, sont, selon elle, aveugles.
Que voit-elle, Bianca, à l'intérieur de ces jeux de lumières et d'ombres?
En fait, rien.
La clarté n'éclaire rien, elle aveugle. Avoir les yeux ouverts sur rien, augmente le malaise et le mal-être de l'adolescente. Elle ne veut penser à rien, « ma tête est en blanc »dit-elle.
Comme morte, sans désir, sans plaisir, elle ne se rend même pas compte qui des deux amis vient la visiter la nuit, n'a pas l'idée d'ouvrir la lumière pour voir, et ne raconte pas les nuits obscures comme des nuits d'amour. Elle jouit, et s'en veut, emplie de rage.

C'est être heureuse qui la fait pleurer, car la réalité des choses lui échappe.
Elle se rend compte que tout est faux, dans cette petite survie élémentaire où elle shampouine des têtes, fait les courses et la cuisine, regarde des films pornos, avec une apparente gaieté qui est en fait est une manière d' occulter le vide et la tristesse.

Je sais que Roberto Bolaño est un des très grands auteurs chiliens, qu'il a dédié ce livre à ses deux enfants et que cette petite « novelita lumpen » veut peut être exprimer le degré zéro des sentiments provoqués par la perte, comme un lumpen, état le plus pauvre du prolétariat, état le plus lamentable des non sentiments humains. Bianca ne parle pas de ses parents, sauf pour indiquer les journaux romains que lisait son père ; de sa mère il n'est pas question. Nous ne saurons rien sur ce que Bianca et son frère ont perdu.
Nous ne connaitrons pas la relation qu'ils avaient entre eux.

Et pourtant, pourtant, l'art de Roberto Bolaño est de nous introduire peu à peu, de façon discrète, dans le chagrin de Bianca. Elle entend son frère pleurer dans la salle de bains. Elle- même entend la voix de ses parents. Non, elle n'est pas folle, mais affolée par la perte, sans avoir eu les moyens de l'exprimer, sans avoir pu parler et sans avoir pu prendre des décisions.
Et puis elle rêve, puisqu'elle subit son sort. de désert, de soif, de tourmentes, comme les rayures noires et blanches qui remplacent les images de la télévision après fin des programmes, un ouragan.

« J'attendais quelque chose. Une catastrophe. »
Elle pense à ses parents, à l'accident, elle pleure de rage.

Enfin, elle les prend des décisions, on comprend qu'elle est sauvée.
Arrive la tempête, une tempête entre deux mondes, silencieuse, à l'intérieur de laquelle elle trouve enfin un refuge, son ombre qui est la sienne.
Bolaño termine son petit roman par une longue phrase lyrique, nous fait rêver à nous aussi, de manière d'autant plus forte et inoubliable qu'il avait depuis le début utilisé des phrases neutres.
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Bianca et son frère perdent brutalement leurs deux parents dans un accident de voiture en Italie. Ils se retrouvent seuls tous les deux dans l'ancien appartement familial avec la pension de décès de leur père comme unique moyen de subsistance. Ils tentent de poursuivre leur étude mais bien vite la nécessité d'un job d'appoint se fait sentir. le travail prend le dessus sur le lycée, Elle devient laveuse de cheveux dans un salon de coiffure et lui laveur de sueur dans un club de culturisme.

C'est dur de perdre ses deux parents à 18 ans, j'en ai fait aussi cette triste expérience la première fois à 23 ans et la seconde fois à 28 ans. le deuil te fait perdre toute notion de temps et provoque en toi une brûlure de l'âme qui se traduit par une lumière intense qui vient frapper ta rétine provoquant un éblouissement permanent. Tu ne fais plus la différence entre le jour et la nuit. Tu te retrouves dans un décor surexposé à la lumière où la balance des blancs a été complètement dérèglée.

« À partir de ce moment-là, les journées ont changé. Je veux dire, le cours des journées. Je veux dire, ce qui unit et en même temps marque la frontière entre un jour et l'autre. D'un coup, la nuit a cessé d'exister et il n'y a plus eu que soleil et lumière, sans interruption. Au début, j'ai pensé que c'était dû à la fatigue, au choc produit par la disparition soudaine de nos parents, mais lorsque j'en ai parlé à mon frère, il m'a répondu que la même chose lui arrivait. Soleil et lumière et explosion de fenêtres ».
« Je penchais à la fenêtre et regardais la rue avec ses deux rangées de voitures encore garées de chaque côté, et je ne pouvais pas croire que cette incandescence soit la nuit. Ça revenait au même de fermer les yeux ou de les garder ouverts ».

Tu vis dans un mode où le réel et l'irréel se mêlent et s'entrelacent au point de ne plus faire qu'un. Dans cet univers hyper blanc qui voudrait atténuer la noirceur de ta vie, tu demandes ma chère Bianca (Blanche en français et je n'invente rien) si tu ne vas pas devenir folle. Eh bien, tu n'es pas folle, tu n'es pas une délinquante ni une pute. Tu es simplement une jeune fille qui a perdu ses repères et qui veut se débarrasser simplement de cette douleur qu'on appelle le deuil. Comme tu le dis aussi, tu es « comme ces petits oiseaux perdus dans la tempête et qui n'intéressent plus personne ».

« Parfois, je voyais toute ma vie en négatif : une maison plus grande, dans un autre quartier, des enfants, un meilleur travail, des années, la vieillesse, un petit-fils, la mort dans un hôpital public ou couverte par un drap dans le lit de mes parents, un lit dont j'aurais aimé entendre les grincements, des grincements pareils à ceux d'un transatlantique au moment de couler, mais qui, au contraire, était silencieux comme un cercueil ».

Et puis, il y a ton frère qui arrive un soir avec deux amis rencontrés à la salle de culturisme. Il les invite à rester à demeure dans ton appartement. Ils vont désormais vivre avec toi. Comme des fantômes, des personnages sans visages, sans nom, sans histoires, ils sont uniquement là pour essayer d'exister, de surnager, de tenir. Oui je sais qu'ils te font peur ma petite Bianca et que tu cherches à les éviter, à les ignorer.

« Je crois que, pendant quelques jours, j'ai vécu comme sur la pointe des pieds. J'allais de la maison au travail et du travail à la maison, en essayant de ne pas attirer l'attention, et le soir, je regardais la télévision, pas trop, parce que mon intérêt pour les émissions qu'avant j'avais l'habitude de suivre avait commencé à décliner peu à peu ».

Et à force de se tenir à coté de toi, de manger avec toi, Ils vont vouloir coucher avec toi…

« Cette nuit-là, j'ai fait de nouveau l'amour avec l'un des amis de mon frère et la nuit suivante et celle qui a suivi cette nuit aussi, et toutes les nuits de cette semaine, et la semaine qui a suivi, jusqu'à ce que sur mon visage commence à se voir que je faisais l'amour toutes les nuits ou que je dormais peu, au point que mes collègues de travail m'ont demandé ce qu'il m'arrivait, si j'étais malade, ou quoi ».

Et quand on connait comme toi l'amour physique avant de vivre un amour sentimental, quand on perd sa virginité comme on perd ses parents aussi brutalement que toi, on offre son corps pour combler un vide immense car l'absence fait mal à crever. Et puis un jour, ils te demandent de coucher avec un vieil acteur aveugle de séries B pour lui soutirer du fric pour enfin s'assurer un avenir comme ils disent. Et toi qui vis dans le blanc tu vas connaitre la noirceur de Maciste. Tout est noir et sombre chez lui, sa maison, sa vie, tout ce qui sort de lui … Et c'est peut-être ton passage obligé, ton parcours initiatique, ta recherche du Saint Graal pour connaitre ta rédemption. Pour que tu deviennes alors une mère et une femme mariée.

« Rendre visite à Maciste, c'était penser au futur, transpirer, entrer dans des pièces où l'obscurité était totale, c'était penser au futur. Un futur qui ressemblait à n'importe quelle pièce de la maison de Maciste, mais plus lumineuse, avec des meubles recouverts de vieux draps de lit ou de couvertures, comme si les propriétaires de la maison (une maison qui se trouvait dans le futur) étaient partis en voyage et n'avaient pas voulu que la poussière s'accumule sur les choses. Et c'était ça mon futur, et c'est comme ça que j'y pensais, si on peut appeler ça penser (et si on peut appeler ça futur) ».

D'un simple fait divers, Roberto Bolano aurait pu nous plonger dans le mélodrame habituel des orphelins livrés à eux seuls, il aurait pu également nous tirer les larmes habituelles que l'on éprouve dans ce genre de situation avec à la fin soit un bonheur retrouvé ou pire une fin plus pathétique. Il n'en n'est rien, l'auteur chilien dans son dernier roman publié avant sa mort (eh oui j'ai commencé mon apprentissage avec son dernier ouvrage) nous offre avec l'innocence brute de ses deux protagonistes, une histoire où il n'y aura pas de pitié, pas de culpabilité et encore moins de regrets. Tout son art se trouve dans cette façon qu'il a de nous montrer sans fioriture mais sans vulgarité les états d'âme, les réactions de ses personnages livrés à eux seuls. Sa prose est limpide et coule de source. On la lit sans voyeurisme et sans dégout. Et on finit même par l'aimer si on s'y prend lentement pour lire ses 94 pages.

Merci à Gaëlle et à Sandrine de m'avoir fait découvrir « Un petit roman lumpen ». Leur magnifique critique à toutes les deux y a été pour beaucoup !!! Je m'en suis aussi inspiré qu'elles m'en excusent. J'espère avoir à mon tour apporté une petite pierre à cette lecture commune.

« Il pleut sur Santiago » Film de Helvio Soto (1975)
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Cette petite nouvelle est comme une respiration entre deux romans plus imposants.
Figure majeure de la littérature chilienne contemporaine, j'ai eu envie de découvrir Roberto Bolaño avec cette petite nouvelle, la dernière publiée de son vivant.
Et j'en profite pour remercier Sachka pour cette belle proposition de lecture.

*
Voici comment débute le récit de l'enfance difficile de Bianca :
« À présent je suis une mère et aussi une femme mariée, mais il n'y a pas longtemps j'ai été une délinquante. Mon frère et moi on s'était retrouvés orphelins. D'une certaine manière, ça justifiait tout. On n'avait personne. Et tout était arrivé du jour au lendemain. »

Le mot Lumpen est un terme péjoratif, voire injurieux, pour désigner les classes sociales les plus pauvres. C'est ainsi que se décrit Bianca.
L'adolescente vit à Rome à l'époque. Orpheline du jour au lendemain à la suite du décès de ses parents dans un accident de voiture, l'adolescente se retrouve seule avec son jeune frère.

« Nous sommes des oiseaux dans la tourmente, personne ne s'en rend compte. »

Bianca et son frère vivotent dans l'appartement familial grâce à de petits boulots, jusqu'à ce que son frère ramène deux hommes étranges et taiseux qu'il a rencontrés. Ils emménagent chez eux et paraissent vouloir s'installer durablement.
J'ai vu leur arrivée comme une menace latente, indéfinissable qui m'a troublée et mise mal à l'aise.

« Voilà ce qui me revient à la mémoire dans mes souvenirs de ce soir-là : de la nervosité et en même temps de la joie, une joie primordiale sans aucun doute, sans aucune fissure, qui transparaissaient sur les visages des amis de mon frère, des souvenirs que j'essaie de repousser chaque fois que je me rappelle ce moment-là, parce que je ne veux pas de cette joie pour moi ni auprès de moi. C'est une joie qui ressemble trop à la mendicité, à une explosion de mendicité, et c'est aussi une joie qui ressemble à la cruauté, à l'indifférence. »

*
C'est à partir de ce moment-là que le récit se tend progressivement et que l'on devine une évolution prochaine dans le scénario. Et je dois bien avouer que le tournant pris par l'auteur m'a surprise car cette histoire m'est apparue crédible mais avec une part d'irréalité contenue, discrète, inattendue.

Après avoir fait des recherches pour mieux comprendre le texte, j'ai trouvé une autre définition du mot Lumpen. Il renvoie aux mots absurde, jugement, adolescence, stupide. Et à la lumière de cette nouvelle définition, j'ai eu la certitude que ce récit était plus profond qu'il n'y paraissait à première vue et que derrière les mots de l'auteur et de Bianca, il y avait un sens caché.

Est-ce que Bianca transforme la réalité de sa vie pour lui donner plus de profondeur et d'importance ? L'auteur étant connu pour son engagement littéraire, faut-il voir, derrière certains mots, une dimension politique, sociale ?
Dans les deux cas, j'en ai l'intime conviction.

*
J'ai beaucoup aimé Bianca. Malgré son apparente passivité face aux évènements qui bouleversent sa vie, comment ne pas ressentir de l'affection pour cette jeune fille en manque de repères, qui se cherche, et avance sans l'appui de ses parents ?

Son récit est mélancolique, triste et le lecteur ressent de plein fouet sa fragilité, son chagrin, son deuil, sa solitude, sa honte, ses peurs. J'ai eu parfois la curieuse impression que ses sentiments et ses émotions se dissociaient de son récit, de son corps, comme si elle n'était pas reliée à la réalité.
Qu'elle rêvait peut-être à un autre futur, plus généreux avec elle.

« Certains soirs, je me mettais à la fenêtre et la nuit était aussi claire que le jour. Je pensais parfois que j'étais en train de devenir folle, que ça ne pouvait pas être normal, autant de clarté, mais dans le fond je savais que jamais je ne deviendrais folle. »

*
Roberto Bolano a une écriture très plaisante, belle de simplicité, directe à l'image de la jeune femme, mais elle se revêt également de subtilité et de poésie, avec parfois des fulgurances lyriques.

« La maison de Maciste était une promesse et une maladie, et je tournais et virais dans la promesse et la maladie, et je sentais sur la peau lorsque mon corps, ou la vitesse que j'imprimais à cet instant à mon corps, passait d'un état à l'autre, la promesse irisée, la maladie, une chute ou un vol plané en oblique, déambulant, effleurant tout du bout des doigts, jusqu'à ce que j'entende la voix de Maciste qui m'appelait, qui me demandait où j'étais. »

*
« le petit roman lumpen » est une nouvelle étonnante, imprévisible et sujet à de multiples interprétations. Elle se lit en une soirée et mérite sa découverte.
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critiques presse (1)
Lhumanite
02 juillet 2012
Roman de la vue et de la représentation, Un petit roman lumpen donne […] au minimalisme radical du récit la puissance émotionnelle d’un grand roman de la perdition.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Parfois, les soirs où je n'allais pas voir Maciste, j'ouvrais la porte à l'un des amis de mon frère, avec la lumière éteinte et les yeux fermés, parce que je ne voulais en aucun cas savoir qui c'était, et je faisais l'amour mécaniquement, et parfois je jouissais de nombreuses fois, ce qui en certaines occasions produisait en moi de violentes et inattendues crises de colère, qui me faisaient pleurer amèrement.
L'ami de mon frère me demandait alors si je me sentais mal, s'il m'arrivait quelque chose, si j'étais souffrante et, avant qu'il continue à parler, ce qui finirait par trahir son identité, je lui demandais de ne pas ouvrir la bouche ou je faisais chut, et il se taisait et continuait à baiser sans dire un mot, si grand était le pouvoir de suggestion ou de conviction ou de dissuasion que mes moindres gestes avaient acquis.
Un pouvoir quasiment surnaturel, suis-je arrivée à penser quelquefois (même si immédiatement après je me moquais de ces pensées), qui obligeait des êtres d'ordinaire bavards, comme le Bolognais, à se taire, ou des êtres silencieux, comme le Libyen, à se transformer en tombeau, un pouvoir qui laissait d'un coup sans questions des êtres rongés par la curiosité, qui instaurait un espace de silence et d'obscurité artificiels, où je pouvais pleurer et me tordre de douleur, parce que je n'aimais pas ce que je faisais, mais où je pouvais jouir toutes les fois que je voulais et où je pouvais marcher (ou palper la surface de la réalité du bout des doigts) sans me faire aucune illusion, sans me leurrer, sans connaître la signification de tout, mais bien le résultat final de tout, sachant pourquoi les choses sont où elles sont, avec un degré de lucidité que je n'ai plus eu, même si, parfois, je devine cette lucidité, là, tapie au-dedans de moi, réduite, démembrée, par chance pour moi, mais encore au-dedans de moi.
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En d'autres occasions, sans penser aux conséquences, je louais deux films à la fois. J'étais omnivore : j'aimais les films d'amour (qui me faisaient presque toujours rire), les films d'horreur classique, le cinéma gore, des thrillers psychologiques, des thrillers policiers, des thrillers de guerre. Quelquefois, je restais un long moment assise sur le pont Garibaldi, ou sur un banc de l'île Tibérine, pas loin de l'ancien hôpital, et j'examinais les jaquettes des films comme si c'étaient des livres.
Quelques voitures ralentissaient en passant à côté de moi. J'entendais des murmures auxquels je ne prêtais pas attention. En général, on baissait la vitre et on disait quelque chose, une promesse, puis les véhicules poursuivaient leur route. Il y avait des voitures qui passaient et ne s'arrêtaient pas. Il y avait des voitures qui passaient les vitres déjà baissées, avec des jeunes à l'intérieur qui criaient "fascisme ou barbarie" et qui, eux aussi, poursuivaient leur route. Moi, je ne les regardais pas. Je regardais les eaux du fleuve et les jaquettes de mes films et j'essayais d'oublier le peu de chose que je savais.
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J'ai cherché du travail. Tous les matins, j'achetais le journal, je lisais dans la cour du lycée la rubrique d'offres d'emplois et je soulignais ce qui m'intéressait. L'après-midi, après avoir déjeuné de n'importe quoi, je quittais la maison et je ne revenais pas avant d'avoir fait le tour des adresses. La plupart des offres d'emploi concernaient des boulots de pute, de manière dissimulée ou pas, mais je ne suis pas une pute, j'ai été une délinquante, mais pas une pute.

Un jour, j'ai trouvé du travail dans un salon de coiffure. Je shampooinais des têtes. Je ne coupais pas, mais j'observais comment les autres s'y prenaient et je me préparais pour le futur. Mon frère a dit que c'était stupide de se mettre à travailler, qu'avec la pension d'orphelinat on pouvait vivre heureux. Orphelinat, le mot faisait rire. Nous nous sommes mis à faire des comptes. En effet, nous pouvions vivre, mais en nous privant de presque tout. Mon frère a dit qu'il pouvait renoncer à trois repas par jour. Je l'ai regardé et je n'ai pas saisi s'il parlait sérieusement ou pour rire.
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À présent je suis une mère et aussi une femme mariée, mais il n’y a pas longtemps j’ai été une délinquante. Mon frère et moi on s’était retrouvés orphelins. D’une certaine manière, ça justifiait tout. On n’avait personne. Et tout était arrivé du jour au lendemain.
Nos parents sont morts dans un accident de voiture, au cours des premières vacances qu’ils ont prises seuls, sur une route pas loin de Naples, je crois, ou sur une autre horrible route du Sud. Notre voiture était une Fiat jaune, d’occasion, mais qui avait l’air neuve. Il n’en était resté qu’un tas de ferraille grise. Lorsque je l’ai vue, dans la casse de la police où il y avait d’autres voitures accidentées, j’ai demandé à mon frère de quelle couleur elle était.
— Elle n’était pas jaune ?
Mon frère m’a dit que oui, bien sûr qu’elle était jaune, mais c’était avant. Avant l’accident. Les collisions déforment la couleur ou déforment notre manière de percevoir la couleur. Je ne sais pas ce qu’il a voulu dire par là. Je le lui ai demandé. Il a dit : lumière… couleur… tout. J’ai pensé que le malheureux était plus affecté que moi.
INCIPIT
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- Tu es en train de devenir folle, a-t-il dit.
Je lui ai demandé s'il croyait que c'était bon ou mauvais. Il a dit que c'était toujours mauvais, sauf dans des cas extrêmes, lorsque devenir fou était une manière d'échapper à une douleur insupportable. Alors je lui ai dit que peut-être que j'étais en train de souffrir de façon insupportable, mais avant qu'il me réponde, je me suis rétractée :
- Je vais bien. Y a aucune douleur qui soit insupportable. Je suis pas devenue folle.
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Video de Roberto Bolaño (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Roberto Bolaño
Roberto Bolano - Entre parenthèses .Ignacio Echevarria vous présente l'ouvrage de Roberto Bolano "Entre parenthèses" aux éditions Bourgois.http://www.mollat.com/livres/roberto-bolano-entre-parentheses-9782267021455.html
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