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Critique de Bartleby


http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/2008/06/le-cinquime-postulat-roberto-bolao-2666.html
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Extrait :

« Tout ce qui existe dans ce pays est un hommage à tout ce qui existe dans le monde, et même aux choses qui ne sont pas encore arrivées. »


S'il y a bien un livre qui a créé l'événement ces derniers mois, c'est 2666 de Roberto Bolaño. Il s'agit d'un roman de plus de mille pages divisé en cinq parties qui auraient pu être publiées séparément si les éditeurs avaient suivi les recommandations de l'auteur qui, se sachant condamné, espérait ainsi mettre plus facilement sa famille à l'abri du besoin. Nous pouvons remercier les ayant-droit de n'avoir pas respecté la volonté de l'auteur car si une lecture séparée de ces cinq parties était possible, l'unité de l'ensemble aurait été perdue pour la plupart des lecteurs.

La première partie, « La partie des critiques », est une sinistre parodie de roman universitaire. On est à la fois très proche et très éloigné de l'univers de David Lodge, car si les mesquineries intellectuelles et amoureuses du milieu universitaire ont bien une place essentielle, Bolaño y introduit la dimension du mal à travers deux de ses manifestations les plus communes : la bêtise et la violence. Cette partie raconte l'histoire de quatre professeurs, Espinoza l'Espagnol, Morini l'Italien, Pelletier le Français et Norton l'Anglaise, spécialistes de l'oeuvre de l'écrivain allemand Benno Archimboldi, qui, tel un Salinger ou un Pynchon, s'est éclipsé, laissant désemparés ces critiques qui tentent de le retrouver afin de lui assurer une chance de se voir attribuer le prix Nobel de littérature. Bolaño fait de Pelletier et d'Espinoza la parfaite caricature de ces universitaires arrogants au teint cireux qui, parce qu'ils consacrent leur vie à commenter l'oeuvre d'un autre, n'ont finalement pas d'oeuvre propre et qui vivent dans une telle misère sentimentale qu'ils doivent se partager – parfois en même temps – les faveurs de Norton ou s'amouracher de pauvres adolescentes. Mais sous leur bienséance de façade se cache, comme en tout homme, une frustration haineuse qui n'attend qu'une occasion pour se manifester le plus lâchement possible comme ce sera le cas à Londres où ils tabasseront un chauffeur de taxi pakistanais au point de lui casser le nez, quatre côtes, toutes les dents et lui causer une commotion cérébrale. Leur forfait commis :

« Pelletier avait l'impression d'avoir joui. Même chose, avec quelques différences et nuances, pour Espinoza. Norton, qui les regardait sans les voir au milieu de l'obscurité, paraissait avoir eu un orgasme multiple. »

De colloques en congrès, ces quatre professeurs sillonnent l'Europe – dérisoires apôtres d'Archimboldi –, jusqu'à ce qu'ils apprennent par hasard qu'Archimboldi a été localisé au Mexique, dans l'état du Chihuahua, dans une ville à la frontière des Etats-Unis, dont le vrai nom est Ciudad Juárez, mais que Bolaño appelle, et nous verrons pourquoi, Santa Teresa. Prétextant son handicap et les difficultés qu'il y a à voyager en chaise roulante, Morini refuse d'accompagner ses coreligionnaires au Mexique. le trio amoureux s'envole donc vers l'Amérique centrale. Bornés comme peuvent l'être des Européens, ils n'éprouvent que du mépris pour leurs collègues autochtones (ça les amuse de se faire appeler « chers collègues »). Une Université dans une ex-colonie ne peut être qu'un ersatz d'Université. Et si un professeur mexicain ne saurait être véritablement un professeur, que dire d'un étudiant ? S'ils condescendent à faire quelques conférences, ils ne préparent rien, adoptant une attitude de « boucher », de « tripier » ou de « videur de boyaux ». Ils s'étonnent même et s'émeuvent de constater que ces étudiants lisent, parfois même leurs livres… S'ils finissent par apprendre qu'il se passe des événements effroyables dans cette ville, cela les indiffère et ils continuent, pendant tout leur séjour, à se conduire, qu'on m'excuse le pléonasme, comme de vulgaires touristes. Seules Norton aura l'intuition de quelque chose et rentrera soudainement en Europe rejoindre le seul homme qu'elle peut vraiment aimer : Morini.
Pelletier et Espinoza continueront en vain à chercher Archimboldi. Ils sauront n'avoir jamais été aussi proches de lui, mais si cela est géographiquement vrai, c'est “spirituellement” faux car, comme nous l'apprend la cinquième partie, « La partie d'Archimboldi », c'est à cause de ce qui se passe à Ciudad Juárez qu'Archimboldi est là.

Cette dernière partie constitue le pendant de la première puisque, elle aussi, retrace un itinéraire menant à Ciudad Juárez, celui à cause duquel les personnages de la première partie s'y sont rendus : Benno von Archimboldi. Bolaño emprunte cette fois le genre de la biographie, voire, parfois, celui du roman historique (certaines pages m'ont rappelé Un sergent dans la neige de Rigoni Stern). On découvre comment Hans Reiter, né en 1920, d'une paysanne borgne et d'un misérable boiteux, qui « n'avait pas l'air d'un enfant mais d'une algue » devint Benno von Archimboldi, le mystérieux écrivain toujours susceptible de recevoir le prix Nobel. Plus grand que les autres enfants de son âge, Hans Reiter semble souffrir d'autisme, « il n'appartenait pas à ce monde, auquel il se rendait seulement comme explorateur ou en visite. »
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