Bolek a fait du livre un drapeau de résistance, et son kiosque une barricade contre toutes les déshuminations qui gagnent la cité moderne. À travers ce personnage hors norme se révèle une France de ces gens qu'on ne remarque pas. Un témoignage d'autant plus émouvant que son auteur défend de toutes ses forces sur fond de misère les écrivains, les artistes dans l'expression la plus noble, celle désintéressée de la culture en nous donnant une belle leçon de vie. Ce serait justice rendue, un hommage à l'homme clairvoyant de voir sa statue en bronze, un jour à la sortie du métro Poissonnière.
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Toujours debout. Quand il y aura ma statue coulée dans le bronze à la sortie du métro Poisonnière, je veux ces mots inscrits dessous. Ma maxime, ma règle de vie numéro un: je ne m'assieds jamais. Dans la rue, ça se sait, plus on se rapproche du sol, plus on se prend la pollution. Et en plus on s'enkylose, plus on baisse les bras. Y a qu'à voir les touristes aux terrasses des boulevards, ou les enfants en poussette qui se nourrissent de gaz d'échappement. Sur l'échelle de la rue, la verticalité est signé de longévité: c'est la position de ceux qui n'ont pas renoncé. En bas, il y a les écrasés, ceux qui dorment pour ne plus voir le jour sur des grilles d'aération qui rayent leur peau de brûlures. Et puis, un peu plus haut, les mendiants agenouillés, recroquevillés derrière leur main ouverte, la prière couchée sur un papier par terre. Et ceux qui marchent sans but la journée entière, les yeux collés sur le trottoir.
Et moi, enfin: bien ancré au pied de ma tour de vendeur de journaux, point de suture sur la bouche de métro. Je suis le gardien du phare planté sur l'ancienne voie que personne prenaient les pêcheurs du Pas-de-Calais pour aller vendre le poisson aux Halles. Sous la pluie ou sous la canicule, je suis à l'épreuve du temps. Ma cuirasse, c'est mon blouson de cuir, ma barbe grise et mes yeux bleus. Je ne tends pas la main, je ne baisse pas les yeux.