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EAN : 9782370492197
120 pages
Volte (02/03/2023)
3.93/5   27 notes
Résumé :
Léria est un continent balayé par des marées vertes, de violentes poussées végétales aussi mortelles que fécondes, rebattant sans cesse les cartes des géographes, les équilibres politiques et technologiques, transformant l’agriculture en un glanage erratique au fond des champs précaires. À l’abri derrière les cuves de bio-gression, les Lériotes se protègent de leurs assauts dans les cités-États, à la main des Symbiotes et de leur pouvoir autoritaire.

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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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Chiffe, une jeune Sédenterne du monde de Léria, nous entraîne dans le Pas de la Trame. Là, on y croise de vieilles Tisseuses, des artisans, des diseurs de Trame, des Hueurs, des Forceurs, des Blindeuses, des glaneurs... un porteur de fils. Avec leur gueule de « paysage parlant », ces loqueteux cueillent là où la marée végétale tombe, là où les Sédenternes ne se risqueraient pas à s'engloutir, à s'enraciner, à « rétrovégéter ».
Ensemble ils forment la Trame, ils avancent, ils blindent, ils trottent, ils dévalent. Ils piquent l'aiguille au paysage, se cousent des passements de mémoire. Ils sont des morceaux de chiffons cousus à même la Trame. S'ils s'arrêtaient, ils prendraient racine, ils perdraient le fil de l'histoire, le rythme, la couleur.
Ils sont une meute, ils vrombissent d'un même Pas, ils débordent, s'enchevêtrent, se croisent. C'est un peuple-fleuve, un peuple de marcheurs en crue, « un raz-de-marée bariolé », ils ourlent le péril, filent la catastrophe, la mangent, la brodent à même leur peau. Ils nouent le vivant. Ils sont noués de vivant.
Ils sont la frange de la société, ils ruissellent de chiffons, ils sont piqués de sève, rongés d'écorce. Pourtant c'est eux, de leur Pas courageux et solidaire, qui cueillent la survie en affrontant cette cruelle marée verte qui dévore la chair, la digère, la lacère, la fait tronc et fibres. Ils sont eux-mêmes une marée. Une marée de chair, de peur, d'envie, d'espoir. Chacun est un fil, une couleur, une voix, un rythme. Ensemble ils sont, ils prennent sens, ils déroulent, ils racontent, ils trament.

C'est une aventure étrange et fantastique. Fantastique par le langage, la poésie, l'invention, la sauvagerie lumineuse. Par moments j'ai pensé à la Horde du Contrevent, mais non, pas vraiment. À d'autres, le roulement de ce Pas qui dévorait le paysage m'a fait penser au Monde inverti.
Je remercie les Éditions Volte et Babelio pour ce roman singulier, étrangement poétique, fantastiquement déroutant. Une belle rencontre.
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Certains livres nous content une histoire, d'autres nous font vivre une aventure incroyable. Une aventure que nous ne sommes pas prêts d'oublier...

Ils sont forceurs, blindeuses, dérivants, hueurs, mères-moires, tisseuses. Ils forment la Trame. La trame marche, court s'entremêle pour ne former plus qu'un pas, à l'unisson, qui franchit la marée, tout en narrant leur histoire. La trame est un peuple suivant sa propre voie. La trame choisit son propre destin face à une nature qui reprend ses droits.

Et qu'est-ce que j'ai aimé ce roman aux allures de la Horde des Contrevents ! Tout comme lui, elle narre un univers où la nature est son propre maître, inviolée par l'Homme. Mais ici, elle est représentée par plantes et marées, pollens et lichens, arbres et fleurs. Elle possède son propre objectif, sa propre âme et peut vous infester sans que vous vous en rendiez compte que ce soit par les racines noueuses, le pollen toxique, le lierre infestif...

C'est donc à travers une nature plus que coriace que ce peuple nomade devra tracer sa route. Une route qui, le lecteur le lira, ne sera pas de tout repos ! Pourtant à travers cet univers assez rude que ce soit à la lecture par son lexique dense mais aussi pour ce que les personnages peuvent vivre, se cache une grande beauté.

La beauté des mots est nettement présente et me fais une fois encore penser à la Horde. Et j'avoue vraiment adorer les jeux de plume ! Mais il y a également la beauté des émotions ressenties lors de la lecture, de la relation entre les personnages, de leur attachement à cette Trame, à leur membres, telle une famille, des valeurs qu'ils promeuvent.

Car oui à travers ce récit au background développé, les personnages restent néanmoins importants et principaux. Il est très aisé de s'attacher à eux et de vivre avec eux de fortes émotions. Ces deux parties restent plus développées parfois au détriment de l'intrigue qui, si on la sort de son contexte, reste relativement basique. La Trame est surtout un récit de découvert et d'attache, de beauté et de rudesse. Et ça fait du bien !

Et c'est là que toute la puissance du récit se fait. A travers ce court roman de 200 pages, nous pouvons ressentir et vivre une incroyable lecture ! Une lecture qui vous emporte dans des contrées dangereuses mais avec une prose magnifique. Une lecture qui vous fait vivre moults émotions et vous attache aux personnages. Une lecture qui mérite vraiment son publique de par la beauté de son histoire, de ce qu'elle promeut et de la maîtrise de cet univers. Mais néanmoins une lecture qui reste dense à cause ou grâce à un champ lexical vraiment riche. Un grand merci à La Volte de m'avoir permi de découvrir ce magnifique récit !
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J'ai savouré ce petit récit atypique avec délice. La plume est un régal, à l'image de ce peuple de marginaux haut en couleur, bruyant, bordélique et infiniment attachant. le texte est si travaillé s'en est presque de la poésie en prose, un vrai bijou !

Il n'y a pas vraiment d'intrigue à cette histoire, on suit les pérégrinations de la Trame, peuple nomade et légèrement kamikaze, à travers plusieurs personnages (Lige, Angénor, Chiffe, les blindeuses, Malok, les mères-moires, Jac'Har, Horiés et les amoureux). Chacun formant un maillon à part entière de la Trame. Mais attention pas d'intrigue ne signifie pas que votre petit coeur de sera pas soumis à moult frémissements.

J'ai beaucoup aimé la symbolique du Pas. Chacun s'efforçant de trouver son propre Pas, d'être à l'écoute de son rythme, de tracer son chemin. Parfois, les Pas se rejoignent, on marche au même rythme, ensemble, pour un temps, et puis les rythmes changent, les chemins se séparent, on se rejoint, on se sépare, on se retrouve. Les histoires, les souvenirs, les rêves de chacun formant un grand tout : la Trame
(J'ai randonné sur une partie du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, ça m'a rappelé beaucoup de souvenirs et m'a parut très réaliste, en plus d'être une belle métaphore de la Vie)

Le livre est classé SF mais j'ai plutôt eu l'impression qu'il s'agissait d'un univers imaginaire bien distinct du nôtre, et non pas une version futuriste ou post-apocalyptique. Plutôt de la Fantasy donc, même si la magie s'y fait discrète et se retrouve surtout dans l'exubérante végétation, qui, dans la façon dont je l'ai imaginé, se rapproche beaucoup des paysages d'Avatar et de la planète Pandora.

En parlant d'univers imaginaire, cette novella ne semble en être qu'un aperçu. Une pièce du puzzle, sûrement centrale, mais une seule pièce néanmoins. Elle se suffit à elle-même, mais j'espère très fort que d'autres textes de ce collectif d'auteurs seront publiés pour nous permettre de découvrir le continent de Léria dans toute sa beauté et sa complexité (je veux comprendre ce qu'est la Symbiose ! Et en apprendre plus sur la cité flottante d'Aléhor !)
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J'étais prévenue, que la langue serait châtiée, étudiée, recherchée, que le texte serait ciselé, que ça ne serait pas une lecture "facile".
J'ai l'habitude des univers pas tout à fait communs, donc la nouveauté dans le fond et la forme est loin de me rebuter.
Et pourtant, pourtant j'ai bien failli être larguée avec cette Trame, que j'ai suivie en trébuchant plus qu'en chantonnant.
Oui, il faut s'y accrocher, et donner toute sa concentration à ce texte court mais exigent, qui ne laisse pas beaucoup de place au newbie qui n'a pas côtoyé le jeu de rôle originel.
.
Pourtant, la description de cette 'eutopie' fut attrayante : un peuple nomade marche, trame, court et blinde, fait tourner la terre, pendant que les vivants se prennent régulièrement des marées vertes dévastatrices et miraculeuses sur le beignet. Ils paraissent un peu fous, ces loqueteux, à affronter ces dangers, à les troquer, et à ne jamais s'arrêter. Et puis on apprend à les connaitre, on découvre leur mode de vie et on révise ce jugement hâtif.
.
Les thèmes sont beaux, aussi précieux qu'intemporels. Tout en subtilité et en symboles, l'écologie, l'amitié, l'entraide comme les biens les plus primaires.
Là dessus, rien à redire.
Il m'a simplement manqué un peu de fluidité dans ma lecture. J'ai eu l'impression qu'on faisait du complexe par étalage et c'est bien dommage, parce que j'ai rencontré une partie des auteurs lors d'un festival, et ils étaient tout sauf étaleurs de confiture !
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Trouver son pas, pour avancer et inventer un futur, contre vents instables et marées végétales : une formidable vague nomade à l'inventivité langagière enthousiasmante.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/05/20/note-de-lecture-la-trame-bombyx-mori-collectif/

Pas de note de lecture proprement dite pour « La Trame », premier roman des quatre Angevins du Bombyx Mori Collectif, publié à La Volte en mars 2023, puisque ce texte magnifique fait l'objet d'un petit article de ma part dans le Monde des Livres du vendredi 19 mai 2023 (daté du samedi 20 mai – décalage de parution du fait du jeudi de l'Ascension), à lire ici. Comme je le pratique désormais en pareil cas, ce billet de blog fait donc plutôt figure de recueil de citations et de remarques diverses, plus ou moins en forme de notes de bas de page par rapport à l'article lui-même.

🦊 Pour rebondir sur deux épisodes récents de Planète B, l'émission science-fiction et politique de Blast à laquelle nous participons chaque mois, le n°3 (« Reste-t-il de l'espoir : que nous dit la science-fiction ? ») et le n°4 (« Contre le désespoir et la résignation : l'utopie dans la science-fiction »), consacrés aux utopies et plus particulièrement à la notion d'utopie radicale telle que développée par Alice Carabédian dans son tonique essai éponyme, « La Trame » me semble constituer un fort bel exemple de cette forme d'utopie en mouvement (ici presque au sens strict du terme), nichée le cas échéant au coeur de la dystopie annoncée ou instituée de facto, inventant de nouvelles pratiques et imaginant des émancipations inattendues dans des interstices qui ne sont pas ceux qui auraient pu être jadis planifiés. La vitalité des néologismes, la joie des créations verbales, la vivacité de la rythmique que l'on ressent ici à l'oeuvre, tout témoigne dans nos chairs de lectrice ou de lecteur qu'il y a bien ici une eutopie (ce n'est sans doute pas par hasard que le roman paraît dans la collection presque éponyme de la Volte, aux côtés de textes tels que, par exemple, le « Collisions par temps calme » de Stéphane Beauverger, le « Résolution » de Li-Cam ou le « Maraude(s) » de Dilem & Bri), un moment de bonheur paradoxal à inventer et réinventer, sans cesse – même sur un terrain a priori aussi mouvant et peu propice.

🔧 Les expériences contemporaines d'écriture collective sont relativement peu fréquentes, et souvent peu ou pas documentées, comme si, souvent, un mélange de pudeur et d'impuissance à décrire un processus chaque fois spécifique ne favorisait guère les épanchements techniques en entretien, de la part des personnes concernées. Si l'on trouve de ci de là quelques éléments épars à propos des formes de creuset en usage chez James S.A. Corey (Daniel Abraham et Ty Franck, pour « The Expanse », dont on vous parlera d'ailleurs prochainement sur ce blog), chez les Wu Ming (Roberto Bui, Giovanni Cattabriga, Federico Guglielmi et, antérieurement, Luca di Meo et Riccardo Pedrini, pour, par exemple, « Q – L'Oeil de Carafa », « Altai », « Manituana » ou « Proletkult »), voire chez Léo Henry, Jacques Mucchielli et Stéphane Perger (à propos de la formidable création au long cours de l'univers de Yirminadingrad, à partir de « Yama Loka Terminus ») ou chez les Aggloméré.e.s de « Subtil béton », on est donc particulièrement heureux de voir un nouveau travail collectif apparaître ainsi sur notre scène favorite, celle de la littérature de fiction spéculative.

🥦 « La Trame » s'inscrit, en épopée malicieuse, dans une redéfinition littéraire du rapport au vivant, créant dans le paysage de nouvelles lignes de fuite et de clivage, bien loin de la vieille distinction entre nature et culture. Itinérances, nomadismes, diplomaties complexes se nourrissent ici en sous-main, sans usage de surligneur, des travaux de Philippe Descola, d'Isabelle Stengers, de Bruno Latour, de Frédérique Aït-Touati ou de Baptiste Morizot, pour ne citer que quelques-uns des penseurs patients d'un relationnel différent, d'une géographie humaine renouvelée et d'un pas de côté décisif à moyen et long terme. Un tableau fort et contrasté, en marche profonde (et non superficielle et parcellaire – au profit des déjà bien installés, toujours – comme certains mouvements politiques en panne d'inspiration) et obstinée (« La Horde du Contrevent » d'Alain Damasio, complice, n'est sans doute pas si loin, même si elle procède d'un jeu analogique bien différent) vers un ailleurs à créer et recréer en permanence : voici ce que nous offre, en à peine plus de 100 pages de son petit format, ce roman particulièrement enthousiasmant.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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critiques presse (2)
LeMonde
22 mai 2023
En lisant La Trame, vous sentirez-vous plutôt une cueilleuse, un forceur, un trotteur, une tisserande, une ourdisseuse ou même une blindeuse ?
Lire la critique sur le site : LeMonde
Actualitte
21 mars 2023
Dès les premières pages, les tensions politiques couvent sous la surface ; des enjeux qui ne sont pas encore parfaitement clairs, bien que le pouvoir autoritaire des Symbiotes est mentionné de temps à autre.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Car nous ne sommes pas identifiés, localisés, situés, cadastrés comme les miséreux des cités-États qu'inventorient les tyrans de la Symbiose par peur qu'ils ne débordent. Notre marche est incommensurable. Les plus anciens disent que nous avons fait tant de fois le tour du monde que c'est nous qui le faisons rouler. Personne ne sait combien est la trame, Chiffe, combien la forment, combien elle dure, combien elle mesure d'un bout à l'autre de Léria. C'est un écheveau de vitesses terreuses et troquées vives, des loqueteux cousus à l'errance commune. Il y a bien des trotte-petons et des blinde-petits qui croient prendre la tête de notre peuple, mais la Trame, si elle existe, n'a ni tête ni cœur, elle est insituable et chaque groupe, chaque homme, chaque rythme est à lui-même sa propre carte, le filament nerveux d'un gigantesque corps désorganisé, un troc de viscères roulant sans visage. Nous abondons. Notre centre est haletant, incertain, insitué : si tu le trouvais au milieu de la Trame, ce serait une motte, une fleur ou un courant d'air. Nous sommes la course des satellites sans étoile, le corps d'un géant sans cœur

p.10
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Lige n’en croit pas ses yeux, sa putain de zéléphyre a disparu ! Pas moisie, pas abîmée, pas recouverte, foutu le camp ! Il regarde autour de lui, la croche encore tendue, bêtement, et n’entend que trois ricanements qui courent là-bas dans la vallée translucide. Elles sont déjà trop loin les blindeuses, elles l’ont repérée depuis belle lurette la zéléphyre, ont couru et courront toujours plus vite que le garçon. L’une a mis le genou à terre, l’autre pris son élan dessus, l’a cueillie et enfournée dans la hotte de la troisième. Elles sont déjà parties, courent au milieu du brouillard fauve, elles sont déjà trop loin pour les petits Pas comme lui, à crocheter l’horizon et forcer le lointain, Cercamon, Ventadur et Marcabru courent à la puissance en coupant par la joie, elles courent magnifiquement dans les bois cataclysmiques, où les bouleaux et les saules explosent et tombent sur les têtes – jamais sur la leur bien sûr – elles se guident au grand rire, fiérotes de leur coup : pauvre minot au ralenti, pas encore calibré par la marée vive, piétaille piétinante pas à leur mesure ; elles bourlinguent tant qu’on dirait que c’est la marée qui s’épuise dans leur pas, quand Cercamon oriente, Ventadur dégaine et Marcabru encaisse ; elles foulent le danger, ourlent la tempête et pistent l’odeur des vitesses qui crèvent à la surface en offrant leur précipité végétal. Tout ce qui court est leur piste, des flux à emprunter, les voilà les blindeuses : trois silhouettes taillées dans le roc, l’eau et la nuit à l’équipement impeccable. C’est fou ce noir de jais quand tout le monde marne dans la gadoue, elles bourlinguent sans autre coordonnée que l’abscisse instinctive de leur amitié, piquent là, prennent ça, courent loin, virevoltent, chorégraphient l’insolence de leur survie et ne paient rien pour attendre, là et loin, indissociablement, c’est leur mouvance, leur nom et leur désir, loin de Lige, loin de la Trame, loin de se douter c’est sûr qu’elles risquent gros, Cercamon, Ventadur et Marcabru à défier ainsi le Pas commun ; en attendant elles tracent, traquent, sans trêve, talonnent la ligne d’horizon et l’étirent pour qu’elle explose, font de la beauté une course sur le fil de la lame, s’ébrouent comme une meute anticipant à l’instinct les courses voisines, prenant aussitôt la place laissée par l’autre, passant en tête sans un mot, reculant sans consigne, toujours par trois, essaim instinct, vitesse triple conjuguée dans le ballet des spores : elles vont si vite que le monde paraît lourd et les trameurs… des balourds, pfffff ! poufferaient-elles, tandis que le monde rougirait sous leur pas d’héroïnes.
Les ourdisseuses même, bien tranquillement abritées dans leur caravane en haut du vallon, ont levé leurs visages pleins de rides où semble se dessiner la course de la Trame elle-même. Elles arrêtent de piquer de l’aiguille avec leurs mains véloces, cheffes d’orchestre à la baguette levée, s’attendrissent de l’échappée des blindeuses en poussant un « ah ! » mièvrement roboratif, puis reprennent leur tâche et leur gueule tombante de dogue :
« Elles sont revenues faire leurs malignes…
— Elles arrivaient d’où ?
— De loin, vers les gorges d’Arléo. Elles ont dû sacrément blinder pour rameuter si vite !
— Des crâneuses !
— Arrête un peu, Izéchal, dans le temps tu blindais pareil !
— J’avais un peu plus d’élégance, Frosip’, un peu plus ! Je couratais pas n’importe comment pour montrer les muscles.
— De toute façon, elles vont pas se marrer longtemps, les trois frénétiques. »
Ainsi déblatéraient les Tisseuses, chargées de broder le récit de leur peuple sur la longue trame, vaticinant toujours l’aiguille à la main, comme si elles machinaient elles-mêmes sur le tissu la marée qui se déroulait sous leurs yeux. Chiffe les entendait, et ne comprenait pas pourquoi elles s’en prenaient à ces trois silhouettes héroïques qui dansaient autour du gouffre. Elle se demandait bien pourquoi elles en voulaient autant à leur beauté, et sans le savoir, elle visait juste, Chiffe, qui voyait pour la première fois des filles avec autant de crocs. Ça chaufferait en elle, ça nourrirait des rêves et des images de triomphe. Elle aussi prendrait la marée un jour.
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Le matin se lève. Tu sors peu à peu de ton sommeil. Tes yeux s’ouvriront bientôt et tu reconnaîtras les plaines des Lamineuses. Quelque chose cloche pourtant. Ce n’est pas moi, pas ma douce voix de Trame-songe qui rompt tes rêves. Tu as perçu un sifflement, un bougé, une bascule dans le paysage. Oui, tu l’as reconnue. Tu seras une grande cueilleuse. Ton corps s’est synchronisé sur le chaos du monde. Tu peux ouvrir les yeux, Chiffe, car la marée se lève. Reste près de nous sur la colline. Ton cœur accélère. Car il y a pire que la tempête, pire que la tornade et les typhons, il y a le sol qui se dérobe pour te dévorer, te coloniser, t’infester de pestes virales. Il y a des fongiques à terrasser les ours, des galopantes qui rattrapent les fauves. Et devant toi – mais tu ne le vois pas encore Chiffe, la marée n’est qu’un rictus sur ton visage – la sporulente bouffeuse de paysages et qui nous bande les yeux. Des ténèbres verdâtres, des brouillards qui volètent quand les poussées s’activent pour te balayer. Tu ne savais pas que la catastrophe avait tant de visages ? Bien sûr tu n’avais jamais vu d’aussi près, aussi exposée, la marée qui se lève, les poussées végétales qui fêlent le sol, font éclater la vallée comme une vulgaire croûte. C’est la vengeance de la lenteur : les grimpeuses courent à notre poursuite, les champignons infesteurs se disséminent si vite, les arbres craquent, croissent ou explosent. D’étranges fruits poussent et couvrent la plaine de couleurs inouïes. Voilà notre butin. La terre convulse, le ciel tombe : la poix végétale s’accumule, des spores toxiques s’agglutinent aux vêtements, alourdissent les capes, engluent les lunettes et les masques. Pour la plupart des Lériotes, la marée verte est un péril. Pour nous, c’est un trésor. Et le désastre une efflorescence : vois les érélynes à soufflet, les trèple-souilles, l’améloire et le faillir, les crève-de-nuit, les mija-cuir, l’antérole et les bubonières à cloche. Nous en ferons des nourritures exquises, des fripes inégalables ou, dans les allées de la contrebande et du marché noir, une monnaie d’échange pour les Lériotes. Car nous sommes pour eux d’inéluctables parias : les plantes que nous récoltons dans la marée ne se trouvent pas ailleurs. Leurs vertus nous rendent inévitables. Ils construisent leurs habitations, leur lumière, leurs véhicules, leurs toiles et leur confort des mains de notre folie. Même les Symbiotes, dissimulés sous leurs capes, convoitent nos biens. C’est pour cela que tu es venue, j’en suis certaine, pour cela que tu nous suis, que tu trames et que tu cherches ton Pas. Car nous avançons dans les zones fauves, à la lisière de l’habitable et au cœur du vivant. Chez les sédenternes, quand la marée verte arrive, on se calfeutre, on se protège et on prie. On répand la chaux partout dans les maisons. Les cuves de biogression s’ouvrent pour aspirer le chaos.
Nous, on part à la chasse.
Notre utopie est une catastrophe.
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Tu ne savais que la catastrophe avait tant de visages ? Bien sûr tu n'avais jamais vu d'aussi près, aussi exposée, la marées qui se lève, les poussées végétales qui fêlent le sol, font éclater la vallée comme une vulgaire croûte. C'est la vengeance de la lenteur : les grimpeuses courent à notre poursuite, les champignons infesteurs se disséminent si vite, les arbres craquent, croissent et explosent. D'étranges fruits poussent et couvrent la plaine de couleurs inouïes. Voilà notre butin. La terre convulse, le ciel tombe : la poix végétale s'accumule, des spores toxiques s'agglutinent aux vêtements, alourdissent les capes, engluent les lunettes et les masques. Pour la plupart des Lériotes, la marée verte est un péril. Pour nous c'est un trésor. Et le désastre une efflorescence [...].
Nous , on part à la chasse
Notre utopie est une catastrophe.

p.10
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Les poètes, Trame-songe, Trame-loi, Trame-trotte et Trame-du-noir, improvisaient déjà, de foyer en foyer, la lyre calibrée sur la marée qu'ils avaient explorée tantôt, retenant ses lignes mélodiques, la tonalité de ses reflux, ses croches et ses poussées qu'ils retranscrivaient à présent dans le bois de leur instrument et l'effeuillement volatil de leurs cordes. On chantait par-dessus des exploits, et au plus profond de soi, on croyait reconnaître dans le vibrato d'un instant la poussée d'une valériane où l'on aurait pu disparaître et, dans le fortissimo de deux musiciennes, le rebond tragique de la sporulente contre le vallon.

p.27
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