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Critique de BuckJones


Pour un enfant qui grandit dans une église chrétienne conservatrice dans une Amérique aussi chrétienne et conservatrice, une façon de faire respecter la conformité au sein de cette communauté sont les contes de mise en garde. Habituellement, ces histoires impliquent un « croyant » chrétien qui souffre après avoir cédé aux tentations du péché. L'auditeur vertueux et moralisateur pouvait en silence hocher la tête en approbation alors que le prédicateur invectivait contre les mauvaises manières du monde : les dangers de la vie dans une grande ville, l'existence désolée et triste de toxicomanes, les pervers sexuels et tous les autres maux associés que le mode de vie laïc et non chrétien promettait à ceux qui s'écartaient du chemin étroit qui mène vers le Paradis.

La Bible propose plusieurs histoires de moralité, comme le Fils prodigue qui est peut-être le préféré de la plupart des catéchistes pour garder leurs jeunes pupilles dans les limites sûres de la foi chrétienne. Un autre dont je me souviens très bien était « Pilgrim's Progress », un roman du 17e siècle écrit par un prédicateur anglais fougueux (John Bunyan). Notre pasteur, lors de nos retraites d'été, nous le racontait avec de grands effets scéniques et des mises en scène projetées sur un écran de flanelle-graphique qui montraient des figures découpées illustrant le voyage du héros « chrétien » qui essaie d'atteindre la « Ville céleste. » Pour un enfant impressionnable, les épreuves et les tribulations de l'honnête pèlerin ont eu une impression indélébile.

Dans l'ère moderne, la pop culture nous a donné le classique et intemporel « Magicien d'Oz », avec la jeune Dorothy projetée dans un voyage initiatique avec l'aide de son petit chien, et trois compagnons. L'adoption de l'actrice Judy Garland, qui a joué « Dorothy » dans le film, comme mascotte culturelle par les hommes gay dans le milieu du siècle dernier en Amérique, au point d'utiliser « un ami de Dorothy » comme code pour indiquer que l'on était homosexuel, illustre l'appropriation par la communauté gay de sa quête pour la Cité d'Émeraude sur la route de brique jaunes sur un plan universel et personnel.

Nous, hommes gays, menons tous la même quête personnelle.

Étienne Bompais-Pham poursuit cette tradition, offrant au lecteur gay moderne, une pièce de morale au sens classique du terme, avec son premier roman « Tuer le bon gay ». Publiée aux Éditions Maïa en janvier 2021, l'histoire de notre héros anonyme se déroule dans le Paris contemporain. Écrivain en herbe vivant avec son mari de longue date, Arthur, et arrivé à son trentième anniversaire, il subit une crise de panique quand il se rend compte qu'il n'a rien accompli au cours des dix dernières années. Cela ne veut pas dire qu'il n'a rien fait ! En réalité, il mène une vie sexuelle très active comme exhibitionniste en ligne. Avec Arthur, ils fréquentent tous les deux des sites de drague à Paris, dont l'infâmant labyrinthe du jardin du musée du Louvre qui attire la nuit une grande variété d'hommes à la recherche de sexe anonyme et public.

Après avoir construit son propre modèle de moralité et de règles auto-imposées quant à ce qui est permis et interdit dans son mariage, notre protagoniste décide de prendre un congé maladie et d'échapper à toutes les déviations écrasantes de Paris pour se lancer dans un road-trip. Contrairement à Dorothy, il délaisse son chien dans leur appartement, mais amène son mari, Arthur, dans ses pensées. En effet, il mène un dialogue interne avec lui tout au long de son voyage qui va le conduire faire plusieurs arrêts sur son chemin jusqu'à la maison de ses parents dans le centre de la France. Les différents hommes qu'il rencontre en cours de route, d'abord lors d'un séjour prolongé avec un fan de son blog érotique dans une maison isolée de Fontainebleu, puis avec un inconnu qu'il rencontre au hasard dans les toilettes d'une aire d'autoroute, s'avèrent auto-révélateurs pour lui. Il y voit une version de lui-même qu'il commence à révulser.

Cet auto-examen qui consiste à tenir un miroir devant son âme et à être horrifié par ce qu'il révèle à soi-même peut être thérapeutique (« admettre que vous avez un problème est la première étape du rétablissement ») ou peut conduire à une critique sans fin autodestructrice qui nous réduit au néant. le protagoniste poursuit sa quête pour trouver un moyen de sortir de sa dépression, qui, malgré sa dose quotidienne d'antidépresseurs, ne parvient pas à lui donner une vision lucide de ce qu'il doit faire pour changer sa vie et trouver le bonheur.

Après une descente dans son enfer personnel (sa mère et son père sont des figures pitoyables qui ont depuis longtemps perdu toute trace d'humanité), et arrivé à bout de ses antidépresseurs, il fait une visite cruciale à une personne de son passé. Ce fantôme de son enfance, son premier béguin adolescent, apparaît, et au cours d'une soirée culminante à ses côtés, il tire finalement la leçon que les règles de vie qu'il s'était imposées étaient incomplètes si elles n'incluaient pas un élément crucial.

En fin de compte, c'est une leçon que nous devons tous apprendre, que nous soyons hétéros ou gays. La capacité de l'auteur à nous emmener dans ce pèlerinage, une quête moderne des « amis de Dorothy » pour notre Cité d'Émeraude personnelle, fait entrer « Tuer le bon gay » dans une catégorie de la littérature gay qui sera toujours intemporelle et résonnera avec ses lecteurs.


Lien : https://monsieurbuckjones.com
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