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Série des enquêtes de Leaphorn et Chee tome 4 sur 12

Danièle Bondil (Traducteur)Pierre Bondil (Traducteur)
EAN : 9782869305670
272 pages
Payot et Rivages (01/06/1992)
4.09/5   165 notes
Résumé :
Cela faisait plusieurs semaines que Delbert Nez, un collègue de Jim Chee, souhaitait appréhender un suspect non identifié qui vandalisait et barbouillait de peinture blanche un relief basaltique au sud de Shiprock. Ce soir-là, Nez est tombé sur son vandale, mais ce dernier s'est révélé plus dangereux qu'il ne le croyait. Et lorsque Chee est arrivé sur les lieux, c'est pour retirer le cadavre de Nez de sa voiture en flammes. A cinq kilomètres de là, un vieillard marc... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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Vil « Coyote attend » bip, bip…

Un peu d'imagination voyons ! Assimilons le «pin-pon» de la police au «bip-bip» du géocoucou (1) et embarquez vers les Etats-Unis dans les paysages du cartoon des studios Warner Bros.

Le policier Nez sillonne les routes d'Arizona à toute allure («Vroooomm bip-bip») pendant qu'un coyote en haut de sa montagne est en train de peindre en blanc la crête pour des raisons que l'on ignore encore. Est-ce un guet-apens ou le coyote a-t-il réellement une âme d'artiste ?

Toujours est-il que le coyote à l'affut, attend le bip-bip et va lui faire la peau, voire même le faire cuire. Eh oui, nous sommes dans un roman policier noir et la fin idyllique des dessins animés n'a pas sa place.

Pour être plus sérieux (2), l'auteur du roman « coyote attend », Tony Hillerman, nous plonge au coeur de la réserve des indiens Navajos dans la région de l'Arizona aux Etats-Unis.

Connaissez-vous ces indiens navajos, de la famille lointaine des Apaches. La langue des Navajos est si particulière qu'elle fut utilisée pendant la Seconde Guerre mondiale: les services secrets américains employèrent des auxiliaires Navajos qui traduisirent dans leur langue les messages les plus confidentiels avant qu'ils ne soient cryptés. Si ce sujet vous intéresse, je vous conseille vivement le fabuleux livre de Simon Singh « L'histoire des codes secrets » relatant notamment ces faits historiques. Une de mes meilleures lectures mêlant histoire et sciences…

Pour revenir à notre roman d'Hillerman, le statut de réserve du territoire où la plupart vivent rend le maintien de l'ordre particulier : contrairement au système américain des comtés élisant des shérifs, sur toute la réserve, c'est la Police Tribale Navajo qui est chargée des infractions et délits, tandis que les crimes sont du ressort du gouvernement fédéral, via le FBI. Petite précision qui permet de mieux comprendre l'histoire et l'imbrication entre police et FBI que je n'avais pas bien comprise avant de débuter la lecture de cet ouvrage.

Le récit commence dès les premières pages par la découverte d'un policier navajo, Delbert Nez, tué à coup de pistolet et retrouvé brulé dans sa voiture au grand dam de son coéquipier Jim Chee. Dans un dernier message radio avant le drame, Jim Chee a entendu que Delbert Nez poursuivait le peintre fou qui s'amusait à blanchir une crête non loin des monts Chuskas.

A cinq kilomètres du meurtre, Chee va arrêter le présumé coupable, Ashie Pinto, "un homme-qui-lit-dans-le-cristal », une sorte de voyant, titubant au whisky et tenant l'arme du crime encore fumant dans sa main.

L'enquête bâclée étant par le FBI, le lieutenant Joe Leaphorn avec l'aide d'une universitaire Louisa Bourebonette intéressée par le savoir du vieil indien, vont enquêter de leur coté sur les nombreuses zones d'ombres de ce meurtre. D'un autre côté, Jim Chee et l'avocate de Pinto Janet Pete, jouent au Sherlock Holmes également pour trouver des preuves qui pourraient disculper Pinto.

Nous allons donc suivre une enquête en parallèle ,de ville en ville, de mont en mont (ne pas hésiter à utiliser régulièrement la carte détaillée page 11 pour se repérer) pour connaître le fin mot de cette histoire mettant en scène deux flics qui ne s'apprécient guère a priori.

J'avoue que j'ai mis un certain temps à me faire au vocabulaire très imagé et spécifique des indiens Navajo (un glossaire est fourni en fin de roman). En effet, l'ouvrage est très instructif et savamment détaillé sur tous les us et coutumes des Navajos. Entant mon premier roman de cet auteur, j'ai submergé de termes dans tous les domaines nécessitant certains retours en arrière pour assimiler l'histoire.

Finalement, j'ai trouvé l'intrigue beaucoup plus subtile qu'il n'y parait et très bien construite jusqu'à la fin. Je considère ce livre d'Hillerman comme du très bel ouvrage, documenté et cohérent. Néanmoins, il m'a manqué dans ce roman la flamme que j'ai rencontrée dernièrement avec Cook ou Behm (je ne parle même pas du lance-flamme avec « Crime » de Levin).

Contrairement à mon habitude, je vais conclure ma critique sous forme de questions. Pour les connaisseurs, vous a-t-il fallu découvrir plusieurs romans pour savourer à sa juste valeur son univers? Quel est le roman d'Hillerman à lire absolument ?

Si vous pouvez m'éclairer sur le sujet, je vous serai reconnaissant afin de parfaire ma culture US du sud.

(1) Bip-Bip est un drôle d'oiseau bleu, en réalité un grand géocoucou, qui sillonne les routes du désert au sud des États-Unis. Un coyote, inventant des stratagèmes loufoques, cherche à l'attraper malgré la grande rapidité de Bip-Bip.

(2) La vraie signification du coyote dans la culture Navajo n'est pas si éloignée que ça de mon histoire du début. On parle du "Coyote" comme d'une métaphore du chaos chez un peuple affamé condamné à périr si aucun ordre ne règne. En d'autres termes, il fait allusion à l'ennemi de toute loi, de toute règle et de l'harmonie si chère aux Navajos.
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HILLERMAN (Tony), Coyote attend, [Coyote Waits], traduit de l'anglais (États-Unis) par Danièle et Pierre Bondil, Paris, Rivages, coll. Rivages/Noir, [1990-1991] 1993, 271 p.


Note préalable : je vais essayer d'éviter de balancer trop de SPOILERS, ça serait tout particulièrement fâcheux dans la chronique d'un roman policier, mais il y en aura sans doute quelques-uns pour s'insinuer ici ou là ; disons donc méfiance à partir de la section « Coyote et l'Université », et jusqu'à la fin de la chronique.


POLICE TRIBALE NAVAJO


Retour aux polars navajos de Tony Hillerman, après une très, très longue interruption : j'avais lu il y a très exactement quatre ans de cela le précédent titre, Dieu-qui-parle… et rien depuis. Sachant qu'après un démarrage un peu chaotique, je me suis lancé dans la lecture de l'ensemble de la série dans l'ordre (américain : les publications françaises ne le respectent pas…) – car, si les romans sont globalement indépendants, l'auteur prend soin de faire vieillir chaque fois un peu plus ses personnages, au premier chef les flics Joe Leaphorn et Jim Chee, mais aussi leur entourage (notamment sentimental, et c'est d'ailleurs très sensible dans le présent volume) ; à cet égard, lire la série dans l'ordre fait vraiment sens, cela apporte clairement une dimension supplémentaire à l'ensemble.


Coyote attend (prix Nero 1991) est le dixième roman de la série. Les trois premiers constituaient la « trilogie Joe Leaphorn », avec à mon sens pour sommet le deuxième, Là où dansent les morts ; puis il y eut la « trilogie Jim Chee », culminant clairement avec le Vent sombre. Ensuite, Tony Hillerman a commencé à réunir ses deux policiers navajos, et Coyote attend est donc le quatrième à les envisager en parallèle ; parmi ces quatre romans, on met souvent en avant Porteurs-de-peau, mais, si je l'avais aimé, bien sûr, il ne m'avait pas paru si exceptionnel… Par contre, le présent Coyote attend est clairement un très bon cru, du niveau au moins de Là où dansent les morts et le Vent sombre. Tâchons de voir en quoi...


LE FUMIER ET LE SALE PETIT CON


En commençant par nos héros ? Coyote attend met donc en scène aussi bien le « légendaire lieutenant » Joe Leaphorn que son bien plus jeune collègue Jim Chee. Mais ils sont pour l'essentiel envisagés en parallèle : comme tels, ils ne se croisent pas (enfin, si – mais au bout d'un assez long moment), et une bonne partie de l'astuce du roman consiste justement à amener les deux enquêteurs sur les mêmes pistes mais par des voies différentes, et avec une manière de voir le monde on ne peut plus opposée.


Plus que leur âge, c'est en effet surtout ceci qui distingue les deux personnages. Tous deux sont navajos, tous deux sont policiers, tous deux ont fait quelques études d'anthropologie (avec un rapport à la discipline forcément différent de celui de leurs comparses blancs), mais les similitudes, non négligeables certes, s'arrêtent là. Joe Leaphorn, le vieil homme un peu bougon, est porté au rationalisme à tout crin, à l'approche scientifique de son métier ; s'il s'intéresse à la culture navajo, c'est surtout en tant qu'objet d'étude et de curiosité intellectuelle, et donc dans une perspective, disons, scientifique. Jim Chee est très différent : il est, littéralement, un homme entre deux mondes, qui est devenu flic, mais voulait devenir hataalii, « chanteur », au sens du « prêtre » qui conduit les rites navajos, notamment ceux de guérison, comme la Voie de l'Ennemi – l'homme aussi qui exécute les peintures de sable, etc. En fait, Jim Chee pensait pouvoir suivre ces deux voies (si j'ose dire) en même temps… Ce qui pour Joe Leaphorn, est parfaitement absurde : il ne développe guère son argumentaire, nul besoin – Jim Chee ne peut pas faire cela, c'est tout.


Bizarrement, c'est pourtant cette double ambition de Chee qui a pu, un bref instant, rapprocher les deux hommes. Quand la femme de Joe Leaphorn est morte, le « légendaire lieutenant », guère pieux, a demandé à Jim Chee de conduire les cérémonies – pour que tout soit fait dans les formes, par respect pour la défunte et son clan, et pour donner malgré tout un petit coup de main au jeune homme, guère sollicité pour ce genre de tâches ; Jim Chee s'est acquitté de sa mission avec sérieux, mais ce fut sans lendemain : depuis, plus personne n'a jamais requis ses services de chanteur… Il est juste un flic.


Les deux hommes se sont donc croisés, et à plusieurs reprises – à l'occasion de cette cérémonie, qui comptait tant pour les deux, mais pour des raisons bien différentes, ils ont brièvement été proches. Mais ils ne sont pas des amis pour autant : en fait, ils ne s'apprécient pas. Chacun reconnaît sans doute que l'autre est un homme intelligent, et un bon enquêteur, mais c'est tout. Joe Leaphorn, un peu psychorigide, reproche à Jim Chee, bien plus que son tiraillement entre deux voies incompatibles, d'être un individualiste, un homme incapable de travailler en équipe (ce dont le début du roman est la dramatique confirmation), un policier qui ne joue pas selon les règles, un curieux futé mais bien trop insouciant et fondamentalement pas fiable – dans Coyote attend, pour Leaphorn, tout part d'une boulette (en fait bien plus que cela, il y a eu mort d'homme...) de Chee ; la première fois qu'il mentionne le nom de son collègue, c'est en des termes éloquents : « le sale petit con »… Chee est lui-même accablé par sa responsabilité, voire sa culpabilité ; mais, quand il apprend que Leaphorn enquête sur « son » affaire (en fait l'affaire ni de l'un ni de l'autre, elle est de toute façon du ressort du FBI…), il y voit une ingérence inqualifiable du vieux bonhomme arrogant si porté à sermonner tout le monde – il essaye de de le dissimuler, au nom de sa culpabilité, mais ne mâche pour autant pas ses mots quand il comprend ce que fait Leaphorn : « le fumier »…


Aussi travaillent-ils séparément, pour l'essentiel ; et c'est parfois assez cocasse, au fond... La fin du roman, cependant, sera une occasion de les rapprocher un peu plus, en préalable aux romans ultérieurs de la série, plus apaisé eu égard aux relations entre nos deux héros (pour autant que je sache)...


MORT D'UN FLIC – ET COUPABLE TOUT TROUVÉ


Delbert Nez est un collègue de Jim Chee, et ils travaillent en binôme, parcourant inlassablement, mais séparément, les interminables routes des Four Corners. Ils ont convenu par radio de se retrouver pour prendre un café – d'ici-là, Nez, jovial, prévient tout de même son collègue qu'il va faire un petit détour… C'est qu'il pense avoir mis la main sur ce vandale qu'il traquait depuis des semaines ! le type qui répand de la peinture blanche sur des rochers de la réserve, qui sait pourquoi… Mais que Chee se rende directement au café, Nez ne tardera pas !


Dont acte – sauf que Nez se fait bien trop attendre. Chee part enfin à sa recherche… et découvre sa voiture en train de brûler. Au péril de sa vie, et au prix de cruelles brûlures, il extrait le corps de son collègue de la carcasse incendiée – et découvre qu'il a été tué par balle.


Un peu plus loin, Chee croise un vieil homme – un certain Ashie Pinto. Visiblement ivre, et une bouteille de bon whisky en main, le vieillard ne cesse de répéter les mêmes mots, en navajo : « Mon fils, j'ai honte... » Et il ne dit rien de plus. Mais il a sur lui un pistolet qui vient d'être employé…


On déterminera très vite que c'est bien une balle tirée par ce pistolet qui a tué Delbert Nez. On apprend, par ailleurs, que Pinto, il y a longtemps de cela, avait fait de la prison pour avoir tué un homme en état d'ivresse… Il est un coupable tout désigné – même s'il refuse de parler de l'affaire, que ce soit pour s'innocenter ou pour affirmer sa culpabilité.


Qu'importe – les jeux sont faits. Ashie Pinto est forcément coupable. Pour le FBI, car pareille enquête est de son ressort, l'affaire est pour ainsi dire classée – le bureau ne va pas perdre son temps à travailler sur quelques petites bizarreries quand l'essentiel, soit l'identification et l'arrestation du coupable, est acquis...

VOIES PARALLÈLES ET COÏNCIDENCES


Mais il y a bien des petites bizarreries dans cette histoire. Jim Chee, en congé de convalescence, et oppressé par sa responsabilité dans la mort de son collègue (il aurait dû se trouver là !), et Joe Leaphorn, à plusieurs centaines de kilomètres de là et qui songe plus que jamais à prendre sa retraite, s'en rendent compte très vite – même si chacun à sa manière, et avec des motivations différentes. Tous deux ne doutent pas vraiment de la culpabilité de Hosteen Ashie Pinto, qui leur paraît assurée, mais ils sont poussés à mener leur petite enquête, pour comprendre certaines choses a priori incompréhensibles...


Joe Leaphorn y est incité par Mary Keeyani, la nièce de Pinto, du clan de sa défunte Emma, et surtout une exubérante anthropologue du nom de Louisa Bourebonette, qui se présente comme une amie de l'accusé. du côté de Jim Chee, c'est la charmante avocate Janet Pete, qu'il aime d'un amour douloureux car guère payé de retour, qui, outre son sentiment de culpabilité latent, l'incite à éclaircir certaines choses – ils ont tous deux une relation très ambiguë, où l'amitié, voire l'amour, ne font pas vraiment bon ménage avec leurs emplois respectifs… Car Janet Pete est désignée pour être l'avocate commise d'office chargée de la défense de Pinto ! Cet homme dont Chee est persuadé qu'il a tué son collègue, et qu'il a lui-même arrêté – aussi a-t-il un statut de témoin dans cette affaire ; cependant, il ne peut s'empêcher de ressentir une certaine empathie pour ce vieil homme qui est aussi un puits de sciences en matière d'histoire et de pratiques culturelles des Navajos...


Il me faudra revenir sur Louisa Bourebonette et Janet Pete ; mais, d''ici-là, on ne peut qu'admirer le brio dont fait preuve l'auteur pour entrelacer ces deux enquêtes parallèles, qui aboutissent régulièrement aux mêmes conclusions, mais sans suivre les mêmes chemins. L'effet est remarquable, car il n'y a jamais redondance : la même piste, évoquée deux fois, conserve pourtant toujours son originalité et sa pertinence – au regard des besoins de l'enquête, mais aussi des caractères psychologiques des protagonistes ; lesquels ont leur propre fil rouge au-delà de la seule enquête, témoignant de leur insertion bien pensée dans le contexte plus global de la série : ils sont de vrais personnages, qui ont de la chair et de l'âme, et une histoire qui leur est propre.


Tout cela, par ailleurs, s'inscrit dans une sorte de méta-récit, où les deux enquêteurs sont amenés à se poser la question des coïncidences dans un ensemble aussi complexe. À moins que les gouttes de pluie ne semblent aléatoires qu'à ceux qui ne savent pas les envisager pour ce qu'elles sont ? le fait est que les coïncidences sont nombreuses dans cette histoire… Et, pourtant, elles font toujours sens – pas comme autant d'éléments d'un vaste complot où absolument tout a sa raison d'être, où tout est lié ; c'est plutôt que ces coïncidences, en tant que telles, sont parfaitement crédibles. En fait, le hasard a peut-être davantage sa part que ne veulent le croire nos enquêteurs – mais, si tout n'est pas lié, tout est à sa place. Ou devrait l'être, mais en prendre conscience permet justement d'y remédier. Ce qui, j'imagine, peut nous ramener au principe navajo de l'harmonie, souvent rappelé ici – mais, sur le plan narratif, cela a aussi un bel avantage : les coïncidences n'impliquent jamais de deus ex machina. Miraculeusement.


Une fois n'est pas coutume, Tony Hillerman a mis en place une intrigue passablement complexe – plus encore que d'habitude, même, ai-je l'impression (mais mes souvenirs des autres volumes datent un peu, certes). Cependant, cette approche très rusée, et à plusieurs niveaux, contribue tant à asseoir cette complexité qu'à assurer la cohérence de l'ensemble. C'est une belle prouesse narrative, et un immense point fort de ce très bon cru qu'est Coyote attend.


COYOTE ET L'UNIVERSITÉ


Bien sûr, un atout essentiel des polars navajos de Tony Hillerman est leur contenu anthropologique, et Coyote attend ne déroge pas à cette règle. La mythologie navajo y joue un très grand rôle – et pas seulement concernant Coyote, même si ce dieu trickster joue bien sûr un grand rôle ici : « Coyote est toujours là, dehors, à attendre, et Coyote a toujours faim. » Coyote, intrinsèquement, doit faire peur – ou le devrait… Mais les temps ont changé : pour les jeunes Navajos qui ont encore une vague idée des croyances de leur peuple, Coyote a bien trop souvent pâti de la tendance à en livrer des récits édulcorés – où il ne devient plus guère qu'un farceur finalement innocent, un personnage amusant avant tout… Mais il ne devrait pas être amusant – car il est avant tout redoutable ; il l'a toujours été, et l'est encore.


(Forcément, ces développements m'ont ramené à deux passions personnelles : le Roman de Renart, dans ses sources authentiques et dans les récits édulcorés qui en ont été dérivés au XIXe siècle, au point de changer radicalement la donne… et bien sûr ce cher Cthulhu, qui, en tant qu'icône pop déclinée en peluches kawaï, ne fait certes plus guère peur aujourd'hui ; Alan Moore, sauf erreur, en a notamment fait la remarque, et en le déplorant – je ne prétendrai pas être totalement hermétiques aux kawaïeries tentaculaires et indicibles, mais dans l'ensemble je suis tout à fait d'accord...)


Coyote guette, donc – et il frappe quand l'occasion se présente ; or elle peut se présenter sous bien des formes ; une bouteille de whisky, par exemple… Faut-il y voir une forme de fatalisme ? Peut-être – mais à intégrer dans le concept global de l'harmonie.


Ce qui nous ramène au tiraillement de Jim Chee entre ses ambitions incompatibles… Son rapport à Ashie Pinto n'en est que plus compliqué – car il admire en lui un Homme-qui-Lit-dans-le-Cristal, un mystique aux connaissances étendues. C'est d'ailleurs notoire : le vieil homme a souvent travaillé avec des anthropologues, qu'il régalait de ses récits précis et sérieux sur les croyances et les rites des Navajos. Louisa Bourebonette en témoigne, bien sûr, mais d'autres sont également de la partie : Pinto a de nombreux contacts à l'Université – et pas seulement parmi les anthropologues ! Car ses récits peuvent se mêler, à l'occasion, à d'autres aspects de l'histoire de la région – celle des Blancs, tout particulièrement impliqués dans les conceptions propres à la Frontière de la loi et de l'ordre : un sujet western s'il en est. Des noms fameux surgissent dans le roman – Butch Cassidy au premier chef… mais d'autres également, dont Kit Carson et quelques autres bouchers des Amérindiens, dont la résonance est forcément particulière dans les récits navajos.


Du coup, une partie non négligeable de l'enquête se déroule à l'Université : auprès, sinon des professeurs, du moins de leurs doctorants, qui sont tous autant de larbins traités sans la moindre considération, dans un monde cruel où la reconnaissance par les pairs fait figure de critère ultime, « légitimant » bien des déviations et des politiques guère scientifiques. L'enquête ne se fait en tout cas pas que sur le terrain : lire des livres, écouter des bandes, effectuer des corrélations… le savoir concernant les rites navajos dont Jim Chee dispose sera en fait crucial dans la résolution de l'enquête – pour le coup, un Joe Leaphorn ne pouvait qu'être désavantagé.


Et tout ceci est absolument passionnant.


FEMMES-QUI-FONT-BIEN-PLUS-QU'ÉCOUTER


Mais c'est souvent le cas, dans les romans de Tony Hillerman – c'est leur « plus » caractéristique et, je ne vais pas vous mentir, ce qui m'a amené à m'y intéresser au premier chef.


Pourtant, un autre aspect m'a frappé, ici – même si je ne saurais dire s'il était forcément moins présent auparavant : le rôle joué par certaines femmes dans l'intrigue.


L'auteur, sans doute, sait créer de bons personnages : Joe Leaphorn et Jim Chee au premier chef. Mais certains autres personnages, soutiens, antagonistes, autres choses encore, sont tout à fait admirables ; ici, à mon sens, cela vaut surtout pour des personnages féminins.


Ils gravitent certes autour des deux flics comme autant de perspectives plus ou moins avancées de romance, ce que l'on pourra regretter ; ceci étant, cet aspect du récit est bien géré, qui implique les divers protagonistes au plus intime et avec une sensibilité remarquable – et ces femmes ont bien plus à offrir qu'une simple épaule compatissante, heureusement.


Il faut sans doute mettre en avant Janet Pete, qui était déjà apparue dans la série il y a quelques romans de cela. Elle est liée à Jim Chee – qui en est de toute évidence fou amoureux. Il a tiré un trait sur sa compagne Mary Landon, après des années d'incertitude, mais il n'est pas si évident de la « remplacer » ; et Janet Pete ne voit certes pas les choses ainsi. Chee en a douloureusement conscience, et la relation entre les deux personnages a donc quelque chose de fatalement cruel, sans mauvaises intentions de part et d'autre. Cette dimension est accentuée dans ce roman, car les professions des deux personnages les amènent plus ou moins consciemment à s'affronter quand ils souhaiteraient pourtant collaborer – et à redouter que les véritables intentions de l'autre soient éminemment suspectes. Janet Pete est l'avocate d'Ashie Pinto, Jim Chee l'homme qui l'a arrêté pour le meurtre de son collègue et qui est persuadé de sa culpabilité… tout en admirant en lui le vieux Navajo aux connaissances innombrables. « L'amitié », dans ce couple qui n'en est pas vraiment un, en est forcément affectée – même si sans pathos, avec une délicatesse appréciable… et de vrais moments d'émotion en définitive. Mais Janet Pete est donc tout sauf un faire-valoir : femme indépendante et qui s'affiche comme telle, intelligente et cultivée, sérieuse et impliquée, elle écrase souvent Jim Chee, qu'elle rend tout particulièrement timide. Elle est un vrai personnage, à part entière, pas un expédient en forme de quota nécessaire de romance pour le héros masculin.


Du côté de Joe Leaphorn, on peut dire la même chose de l'anthropologue Louisa Bourebonette – qui, contrairement à Janet Pete, apparaît sauf erreur pour la première fois dans ce roman. Elle n'est par ailleurs pas du tout navajo (Janet Pete est métisse, il me semble). Joe Leaphorn ne l'envisage pas le moins du monde comme une opportunité de romance – d'autant que le souvenir de sa défunte épouse Emma ne le quitte pas. En fait,
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L'un des meilleurs Hillerman devenu un classique .
Pourtant ici il ne se passe pas grand chose , le rythme est lent , et malgré cela ce roman est un bijou.
Oui c'est un faux polar , comme pratiquement tout les livres de Hillerman.
Il préfére l'intrigue psychologique , le rappel des coutumes indiennes qui disparaissent , ect.
On peut ne pas adhérer au style de ce roman , mais force est de constater qu'il s'agit d'un opus majeur qui met la concurence trés loin.
Il y a une intelligence dans l'écriture d'Hillerman que l'on ne trouve pas ailleurs .
Sa voix est singuliére et brillante .
Et ce livre est magnifique .
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Je ne sais pas si ce que j'ai le plus apprécié dans "Coyote attend" est le récit des actes d'un vandale puis du meurtre d'un policier navajo ou la somme des informations ethnologiques sur le peuple navajo qu'Hillerman sait si bien nous présenter. Nous pourrions trouver laborieuse et longue la description des détails culturels sur les peuples des Premières Nations, Hopi, Navajos, Apaches et autres. Toutefois, encore ici avec ce roman, on comprend mieux l'importance de la tradition orale chez ces peuples, le silence, le sacré des montagnes, les légendes et leur sagesse. L'écriture d'Hillerman pourrait être didactique pour nous parler de la complexité métaphysique du peuple navajo mais, sous cette plume, rien ne nous rebute. En fait, je suis sortie de cette lecture avec l'impression d'avoir appris, d'avoir grandi, d'avoir évolué.
On retrouve encore une fois, dans cet opus, Jim Chee qui se cherche toujours, qui vit entre deux mondes et Joe Leaphorn qui semble avoir réussi la synthèse entre les deux mondes, celui des Blancs et le sien.
Et qu'est-ce que ce Coyote? P. 188 "Il parla de Coyote comme de la métaphore du chaos chez un peuple affamé condamné à périr si aucun ordre ne régnait. Il parla de Coyote comme de l'ennemi de toute loi, de toute règle et de l'harmonie."
Et Hillerman a su si bien nous en parler.
Bref, un récit généreux, plutôt bien écrit, une histoire passionnante, une lecture à recommander.
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Il ne faut pas se fier au calme apparent. Oui, au début de ce livre, tout allait bien pour Jim Chee, et pour presque tout le monde. Il pouvait même prendre le temps de savourer son café puisque Nez, l'autre agent en service, assouvissait tranquillement son obsession au sujet de cette personne qui s'amusait à peindre des montagnes. Où va-t-on, je vous le demande un peu, si quelqu'un repeint les sommets en blanc ? Jim Chee, parti le rejoindre, voit une forte lumière : il est déjà trop tard, Nez est mort, une balle et la fumée de l'incendie ayant eu raison de lui. Alors oui, Jim Chee a immédiatement arrêté le vieil indien qui avait commis ce crime – il avait encore l'arme à la main – et le vieil homme a reconnu son crime. Affaire classée, tout le monde est satisfait. Pas Jim.
L'enquête est close . Pas grave, il n'en fait qu'à sa tête, comme il le fait toujours. Ce qu'il ne sait pas, c'est que Joe Leaphorn, de son côté, enquête aussi, à la demande d'une membre de sa famille et d'une universitaire, qui a bénéficié des conseils et des récits d'Ashie Pinto, le meurtrier pas du tout présumé – personne ne met en doute sa culpabilité puisqu'il a avoué, et tant pis s'il n'a pas de mobile. En souvenir de sa femme, et en vertu des liens familiaux complexes qui unissent les navajos, Leaphorn va creuser, un peu, et son chemin croisera celui de l'incontrôlé Jim Chee.
Narré ainsi, l'intrigue semble presque simple. Bien entendu, le récit va beaucoup plus loin que cela. En premier, il est question de la culture navajo, et de la manière dont elle peut être transmise. Si Jim maîtrise la langue, peut ainsi se rendre compte des troncatures et des approximations, ce n'est pas le cas de l'avocate Janet Lee. Navajo de naissance et de sang, elle n'en a pas la culture. Son retour est d'ailleurs l'occasion de mettre les choses au point entre elle et Jim, à grand coups de : « Et ton petit ami, où est-il ? – Et le chat qui vivait à côté de la caravane, où est-il passé ? »Toujours agréable de lire un auteur qui n'oublie pas ce qu'il a écrit.
Culture navajo et mythe : coyote n'est pas un personnage sympathique. Coyote, c'est le chaos, et la tentation du chaos, ce sont aussi les porteurs de peau, bien loin du hozho, cette harmonie que tout navajo se doit d'atteindre.
Cette culture est étudiée par les blancs, avec plus ou moins de respect, nous offrant ainsi une plongée dans le milieu universitaire, dans lequel les professeurs se reposent parfois sur le travail des petites mains.
Le passé rattrape toujours les protagonistes – ou bien ils croient qu'il les a rattrapés, qu'il s'agisse de la guerre du Vietnam ou d'événements plus mythiques, comme les exploits de Butch Cassidy. Et, pour terminer cette chronique, je parlerai du discours d'Ashie Pinto contre l'alcool. Il ne s'agit pas d'être moralisateur, mais de montrer, comme d'autres auteurs l'ont fait avant lui (Sherman Alexie) et le feront après (Craig Johnson) : les conséquences de l'alcoolisation sur les populations indiennes. Ashie Pinto parle en connaissance de cause. Il serait bon qu'il soit écouté.
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
- Si tu aimes les serpents, voici l'exemple parfait du genre d'endroit où tu peux venir les chercher.

- Je ne les aime pas. Je connais toutes ces imbécillités sur les Navajos et les serpents qui sont amis, mais je ne les aime pas. Ils me font peur.

- Nous ne sommes pas censés être amis. De la façon dont la légende présente les chose, Premier Homme et Grand Serpent ont appris à se respecter mutuellement.
On y parvient en ne mettant pas sa main, son pied ou quelque autre partie de sa personne à un endroit où l'on peut pas regarder. De cette manière, on ne marche pas sur son petit frère, on ne s'assoit pas sur lui ou on lui plante pas le doigt dans l’œil. Et en retour, il déclenche sa sonnette pour te prévenir si tu t'aventures sur un territoire dangereux... Ça fonctionne très bien.

- Je ne les aime quand même pas.
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Si tu aimes les serpents, voici l'exemple parfait du genre d'endroit où tu peux venir les chercher.
- Je ne les aime pas. Je connais toutes ces imbécillités sur les Navajos et les serpents qui sont amis, mais je ne les aime pas. Ils me font peur.
- Nous ne sommes pas censés être amis. De la façon dont la légende présente les chose, Premier Homme et Grand Serpent ont appris à se respecter mutuellement.
On y parvient en ne mettant pas sa main, son pied ou quelque autre partie de sa personne à un endroit où l'on peut pas regarder. De cette manière, on ne marche pas sur son petit frère, on ne s'assoit pas sur lui ou on lui plante pas le doigt dans l’œil. Et en retour, il déclenche sa sonnette pour te prévenir si tu t'aventures sur un territoire dangereux... Ça fonctionne très bien.
- Je ne les aime quand même pas.
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Chee s’y rendit à pied. Il était de mauvaise humeur. Janet Pete savait qu’il serait de retour à Albuquerque aujourd’hui. Il lui avait écrit un mot le lui indiquant. Alors, peut-être qu’elle ne pouvait pas couper à cette tâche de Santa Fe. D’un autre côté, peut-être qu’elle aurait pu. Chee était dans le métier depuis assez longtemps pour savoir comment s’organisent les priorités lorsqu’il y a conflit entre devoir et désir.
Il traversa l’esplanade. Les feuilles tombées des sycomores volaient autour de ses pieds. Sa main lui faisait mal. Ses doigts refusaient de répondre normalement. Il se sentait découragé. Déprimé. Abattu. En proie au doute. Il trouva la porte du bureau de Tagert ouverte. Jean Jacobs était assise, les coudes posés sur la table, le menton dans les mains, le regard fixé sur l’extérieur. Elle semblait déprimée, abattue et en proie au doute.
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Elle appartenait au Dineh de la Maison Haute et par conséquent n'était en aucune manière liée au propre clan de Chee, celui du Peuple à la Parole Lente. Cela, il s'en souvenait. C'était la vérification automatique qu'effectue tout jeune Navajo, garçon ou fille, afin de s'assurer que la personne qui l'attire n'est ni une sœur, ni une cousine, ni une nièce à l'intérieur du système clanique complexe de la tribu et, de ce fait, n'est pas rendue tabou par les règles de l'inceste.
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- Je n'en étais pas sûre. Peut-être quelque chose qui aurait exprimé votre colère. Si j'étais Navajo je prendrais ça mal que l'on donne le nom de John Macrae Washington à quoi que ce soit à l'intérieur de mon territoire. C'est comme si l'on donnait le nom d'Adolf Hitler à un col de montagne israélien.
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