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EAN : 9782373091038
272 pages
L'Echappée (08/04/2022)
4.08/5   19 notes
Résumé :
La recherche d’un mode de vie centré sur le confort, c’est-à-dire débarrassé de toute forme de contrainte, de fatigue ou d’effort, est devenue un idéal absolu. Désormais, le confort ne sert plus seulement à satisfaire nos besoins réels, mais constitue le coeur d’une logique économique, sociale et psychologique dans laquelle notre sentiment de bien-être repose sur l’accumulation d’objets pratiques et sur le recours systématique à la technologie.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
“La commodité est la force la plus puissante qui façonne nos vies et nos économies”, disait il y a quelques années Tim Wu dans une tribune pour le New York Times (dont je vous avais parlé sur InternetActu.net). C'est un peu le propos de l'anthropologue Stefano Boni dans Homo Confort qui décrit en profondeur ce que le confort de notre monde hypertechnologique produit, et surtout ce qu'il détruit. Dans cet essai plombant, Boni oppose notre monde hypertechnologique d'aujourd'hui, à un idéal hypotechnologique, c'est-à-dire un monde où la technologie ne coupe pas l'homme de son environnement, de l'effort qu'il doit produire pour y accéder.
Le confort nous assujettit de notre plein gré. C'est par la dimension expérientielle de notre bien être que le capitalisme et la technologie se diffusent, soutient très pertinemment Stefano Boni. La démocratisation du bien-être nous a protégé de la nature tout en nous permettant de profondément la remodeler. le confort industrialisé s'est répandu partout. La commodité a été avant tout un succès politique. “Le confort est le programme (politique le plus) consensuel”. Il est la clé pour comprendre notre adhésion massive au techno-productivisme. Il est la clé pour comprendre finalement combien la critique technologique est restée marginale : personne ne souhaite être libéré du confort que la technologie a produit.
Boni livre plusieurs chapitres sur les effets du confort sur nous et sur la société, sur la façon dont nous sommes coupés de nos milieux, dont nos sens se réduisent à force d'être libérés de l'effort. le confort nous conduit à réduire notre participation au monde, explique-t-il. Ce catalogue, assez sombre, qui peut paraître parfois réactionnaire, déstabilise pourtant parce que souvent, il touche juste, soulignant combien en l'absence de notre implication corporelle, nous perdons une connaissance du monde. Nous privilégions partout une connaissance abstraite sur les interactions sensorielles directes. Nous vivons dans des mondes isolés et aseptisés, coupés de leurs environnements. Nous adaptons le monde aux processus industriels et technologiques qui sont les nôtres. Et nous nous y adoptons en retour, comme si rien n'était plus précieux que de nous glisser dans nos techno-cocons, dans nos capsules de survie qui détruisent le monde plus qu'elles nous en protègent. “La sauvegarde de notre mode de vie empêche tout renoncement à la technologie”. Nos savoir-faire artisanaux ont été perdus, muséifiés. “Le confort moderne s'est affirmé sans laisser de place à aucune hybridation et sans faire aucun compromis”.
Il développe d'ailleurs une réflexion plutôt intéressante sur notre rapport au bien être (très lié au “bien avoir”), cette discipline de soi qui s'impose socialement pour compenser notre inconfort perdu, à l'image du sport, où l'activité physique est réduite à sa part récréative, thérapeutique, hygiéniste… comme un soin palliatif de notre humanité perdue. Une forme de “biomoralité” s'impose à tous : un impératif moral à l'autodiscipline pour compenser notre manque d'effort que le confort produit. “Tant que l'on appréhendera le bien-être comme le résultat d'un effort individuel pour s'approcher d'un idéal de perfection défini par la société, et non comme le fruit d'un effort collectif pour concevoir une société qui favorise l'épanouissement des qualités de chacun, celui-ci sera immanquablement distribué de façon inégalitaire et restera inaccessible à bon nombre d'entre nous. Un tel souci de soi occulte les causes structurelles du mal-être et empêche d'identifier les enjeux qui participent d'un projet de changement commun. L'attention de chacun se concentre sur des choix existentiels, plutôt que sur les pouvoirs qui façonnent le monde. Plus on néglige l'analyse des maux de la société, plus on inhibe toute velléité de transformation politique en la remplaçant par des préoccupations morales et esthétisantes subjectives”. Plus la machine est LE programme et moins nous sommes capables de nous défaire de son subjuguant pouvoir. A mesure que le confort croît, nous nous éloignons et nous répugnons à ce qui n'en relève pas. Nous avons perdu les callosités qui permettaient de nous confronter à l'inconfort. “Le confort nous fait perdre de multiples compétences et savoirs incarnés, tout en produisant des corps inaptes à manipuler des matériaux dans leur état naturel”. Cette rupture entre Homo confort et le monde organique altère des processus cognitifs fondamentaux et explique notre perte de savoirs-faires. Nous perdons pied avec les savoirs incarnés au profit d'un monde de connaissances abstraites. “L'hypertechnologie est le résultat d'un processus continuel de destruction de l'hypotechnologie”, explique-t-il, en employant même le terme “technocide”, pour évoquer la mise à mort de nos outils et savoir-faire. La technologie détruit la technique. Les hommes ont été séparés de leurs outils. Pour Boni, cela nous conduit à une fragilité extrême, où les habiletés deviennent le savoir-faire de rares experts, parfois si outillés qu'ils ne savent plus faire sans leurs outillages hypertechnologiques. Pour Boni, le problème c'est que cette coupure au monde est en train de le détruire. Et que face au risque de sa destruction, nous serons plus désarmés que jamais, puisqu'incapables de réactiver nos savoirs perdus et incapables de reprendre du pouvoir avec des outils hypertechnologiques qui n'ont cessé de nous reléguer. Pour Boni, nous ne changerons pas la structure de la société sans démanteler son ossature technologique. Boni prône une réappropriation du pouvoir technique par la société, mais cette solution ne promet ni confort, ni une société conviviale que les gens n'imaginent plus tant nous nous en sommes éloignés.
Lire Boni est assez éprouvant et déprimant. du haut d'un travail théorique plutôt sérieux, Boni donne corps à la vieille opposition entre technique et technologie, entre artisanat et industrie. Pourtant, je ne suis pas sûr que ce discours puisse porter, pas plus qu'il n'a porté hier, autre que marginalement. La promesse du confort, qui semble ce qui reste du vieux rêve du progrès, ne semble pouvoir être défaite que par l'effondrement qui s'annonce. L'hypotechnologie demeure une promesse d'un retour à la bougie. C'est peut-être ce à quoi nous serons contraints, mais l'aporie du confort nous montre qu'il n'est pas un horizon qu'on peut éloigner de nous si facilement. Certainement parce que l'individualisme de nos sociétés contemporaines rend l'inconfort encore moins désirable qu'il n'a été dans les sociétés familiales d'antan. le confort n'est pas un horizon. L'inconfort non plus.
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"Je soutiens qu'un changement culturel profond dans la gestion globale de la technologie est indispensable à l'avènement d'un monde plus harmonieux, viable à long terme et plus égalitaire."

Dans ce brillant essai, Stefano Boni, loin d'être un technophobe primaire ou un promoteur d'un mode de vie primitif, nous livre une analyse percutante sur les conséquences du mode de vie contemporain caractérisé par un confort léthargique pour l'Homme et destructeur pour l'environnement. Il s'agit d'une attaque frontale de l'un des dogmes de la grande religion hédoniste, à savoir le progrès technologique.

L'hypertechnologie de notre époque joue le rôle d'une médiation permanente entre les Hommes et entre l'Homme et son environnement. C'est une véritable mutation anthropologique qui s'opère, transformant homo sapiens en homo confort dont les sens sont altérés et la connaissance du milieu organique est presque inexistante. La technologie et le confort qu'elle procure lisse notre existence tout en nous donnant l'illusion de la maitriser et la contrôler. "L'humanité est désormais liée indéfectiblement à l'hypertechnologie". Nous sommes beaucoup plus fragiles que nous le pensons.

Au-delà de ces constats "banals" que tout un chacun peut facilement relever, l'intérêt de cet essai se manifeste dans les conséquences politiques de ce confort. Ramolli par le confort, le citoyen est désormais incapable de se révolter, déléguant toutes les prises de décision à un état centralisé, répressif si besoin, fort avec les faibles et très faible avec les forts, à savoir les monopoles hypertechnologiques dont le système actuel permet une accumulation abjecte du capital. Ce citoyen est désormais réduit à un "nihilisme passif" consistant à façonner son habitat et son corps selon une logique nombriliste ne pouvant nullement agir sur les dynamiques politiques, sociales et culturels en cours.

S'inscrivant dans la tradition anarcho-libértaire, l'essence de cet essai est véritablement anticapitaliste. Loin de revendiquer un "modèle amish" comme dirait l'autre, il s'agit d'oeuvrer individuellement et collectivement pour se réapproprier la technologie et délibérer démocratiquement sur son usage, un usage qui favoriserait l'éveil de nos mains et de non sens car "les choses forgées par les personnes forgent les personnes", de rompre avec le consumérisme mondialisé et retrouver une horizontalité dans un esprit autonome et autogéré. Oui, l'auteur prône une forme de "décroissance" sans utiliser ce mot, souvent galvaudé et prononcé à tort et à travers par nos clowns politiques.

"Pour provoquer un changement culturel et politique majeur, il faut d'abord se préparer à accepter l'idée d'une baisse drastique de notre niveau de confort. Cette baisse impliquera sans doute des désagréments, des efforts, de la fatigue et une part d'incertitude, mais il me semble que l'amélioration de notre état de santé physique et mental, le développement de nos compétences, la cohésion sociale et la redistribution équitable du pouvoir sont à ce prix. Nous avons tous à y gagner en matière de cohérence écologique, de rythme de vie, de réactivation de savoir-faire, d'enrichissement de nos capacités sensorielles et réappropriation de notre pouvoir d'agir. Cela ne marquera pas la fin du bien-être, mais peut-être son véritable commencement. Vivre avec moins de technologie équivaut, en somme, à mieux vivre. Et nous pouvons y arriver. "
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
On a même du mal aujourd'hui à concevoir, et plus encore à proposer comme projet de société, un monde ne serait-ce que légèrement moins confortable que le nôtre. (...)
Homo confort a renoncé à la volonté de se réapproprier le pouvoir politique, et il a accepté son assujettissement en contrepartie d'une vie confortable.
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Nous nous résignons à voir comme une aspiration vaine ou utopique la résolution des problèmes majeurs de notre époque: limitation des libertés individuelles, augmentation des inégalités sociales et économiques, affaissement de la démocratie, déliquescence des services publics, toxicité des politiques industrielles, vacuité des mesures gouvernementales en matière d'écologie, persistance de violentes discriminations de classe et de genre, destruction de l'autonomie des populations ...
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Je ne suis pas un moraliste et n'ai aucun mal à dire que profiter du confort et de la détente physique qu'il procure fait partie des joies de l'existence. Mais pour pouvoir en jouir, je ne suis pas prêt à renoncer à la richesse de l'expérience qui résulte de l'activation complexe de mes cinq sens, ni à bouleverser des équilibres écologiques profonds, ni à voir disparaître des savoir-faire millénaires ainsi qu'un nombre incalculable d'espèces animales et végétales, ni surtout à sacrifier mon autonomie productive et politique. Je ne peux véritablement jouir du confort que lorsqu'il ne devient pas synonyme de soumission, de mutilation, d'ignorance ou de perte de dignité.
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Tout projet politique alternatif doit passer par une réappropriation des savoirs-faire, dès lors soustraits aux processus de production industrielle.
(...) les outils hypertechnologiques sont intrinsèquement liés à l'exploitation d'une main-d’œuvre bon marché et à la soumission de la nature, au saccage et à la dévastation de l'environnement, à l'ignorance et à l'apathie, à la guerre et à la mort, à la mystification et au conformisme. Leur développement relève à la fois d'une volonté de domination et d'une course au profit constante.
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L'université et, plus précisément, les disciplines anthropologiques spécialisées dans ce que l'on nomme l'"histoire des traditions populaires" participent de manière active à ce processus de documentation muséifiant, centrée sur l'étude des savoirs-faire artisanaux irrémédiablement perdus. Il est évident que le succès actuel tout comme la signification des représentations de ce qui n'existe plus reposent sur le refoulement de ce qui en a causé l'extinction. (...) Il est tout aussi évident qu'elle ne renouvelle aucunement les connaissances pratiques concernées, se contentant de les évoquer sous une forme réductrice.
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