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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire #3 °°°

Énorme coup de coeur pour cette formidable saga familiale franco-chilienne pour laquelle l'auteur a puisé dans ses origines, lui-même issu d'une famille française qui a migré au Chili. Dès les premières pages, le charme opère, sur les pas du patriarche, Lonsonier, qui fuit les coteaux du Jura ravagés par le phylloxéra avec l'unique cep de vigne survivant, pour le replanter au Chili et faire renaître l'héritage familial tout en créant une nouvelle lignée que l'on suivra sur quatre générations.

Miguel Bonnefoy est un conteur fabuleux, et à travers l'aventure extraordinaire de ces Français au Chili, il raconte à merveille l'histoire universelle de la migration, de l'exil, du déracinement, il dit avec force le dialogue qui naît entre deux cultures, le destin qui unit deux peuples qui se croisent dans un même héritage. Comme un pont de papier qui, à l'heure des crises migratoires, rappelle avec pertinence que les Français aussi ont été des migrants.

Les personnages de cette mythologie familiale sont campés avec bonheur, tous marquants, tous ballottés par les jeux du destin et du hasard mais tous avec leur libre arbitre : Lazare le poilu chilien ;Thérèse l'ornithologue dont la volière fantastique semble une métaphore du microcosme familial ; Margot l'intrépide pionnière de l'aviation; Ilario Da, le révolté, militant d'extrême-gauche pro-Allende … Chaque génération est confrontée à un dilemme, un questionnement, chaque personnage a un choix à faire qui va finir par déterminer son descendant dans une sorte de mécanique atavique implacable.

Sucre noir témoignait déjà du talent de Miguel Bonnefoy à dessiner des personnages inoubliables pris dans des histoires fortes ; dans Héritage, à partir de ces mêmes qualités, il va au-delà grâce à l'épaisseur apportée par L Histoire. Des tranchées de la Somme aux batailles aériennes entre la Royal Air Force et les Messerschmitt, Lazare et sa fille Margot sont emportés par le tourbillon des deux guerres mondiales dont l'absurde ressort plus que jamais avec ces soldats qui se battent pour une terre qu'ils n'habiteront jamais, contre des voisins issus de l'immigration allemande. Puis c'est le fils de Margot, Ilario Da, militant d'extrême-gauche pro-Allende qui traverse la dictature de Pinochet dans les geôles de la Villa Grimaldi : les pages qui lui sont consacrées sont particulièrement déchirantes, l'auteur a repris les carnets de son père dans lesquels il raconte la torture qu'il a subi avant de fuir en France. Et c'est un tour de force que de rendre palpable et incarnée une saga sur plusieurs générations condensée en seulement 200 pages. L'art de l'ellipse est d'une maîtrise totale et vivifie le récit.

Intensité des destins singuliers à l'incoercible force de vie et puissance de l'Histoire sont enveloppés d'un réalisme magique à la Garcia Marquez qui fait basculer le roman ( vers la page 100 ) dans une dimension encore supérieure qui exprime le monde sans le copier et illumine cette fiction bâti sur l'argile de la réalité. On sentait poindre cette touche magique avec le personnage du machi ( chaman ) mapuche Aukan qui traverse le paysage familial tel une des trois Parques tirant quelques fils pour changer le cours du destin. le chapitre consacré à cette irruption fantastique est d'une beauté absolue, sublimée par l'écriture chatoyante et sensorielle d'un vrai styliste qui choisit chaque mot pour l'équilibre élégant qu'il apporte à sa phrase.

Un roman lumineux, poignant, empreint d'une profonde humanité, ses mots plein de saveurs continuent à danser dans ma tête, le sourire aux lèvres, envoûtée jusque dans les moindres pores. Remarquable!

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