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Critique de Eds_GOPE


Une enfance hongkongaise

Dans Gweilo, Martin Booth raconte avec talent le Hong Kong des années 1950, les immenses camps de réfugiés à Kowloon, la société coloniale et la découverte de la culture cantonaise par un jeune Occidental.

Martin Booth est un écrivain britannique né en 1944. Ses nombreux ouvrages évoquent principalement le passé impérial britannique en Chine, à Hong Kong et en Asie.

« Je n'ai jamais complètement quitté Hong Kong, ses rues et ses collines, ses myriades d'îles et ses rivages déserts si familiers au garçonnet de 7 ans que j'étais, curieux, parfois retors, audacieux et inconscient des dangers de la rue. »
Le ton est donné tout de suite : franc, sincère et direct.

C'est à la demande de ses enfants, alors qu'il était atteint d'un cancer incurable du cerveau, qu'il décida de raconter à leur intention son enfance hongkongaise, notamment ses jeunes années qu'il passa à Hong Kong début des années 1950. Il acheva son récit en 2003, juste avant son décès, en 2004. L'ouvrage intitulé simplement Gweilo, a Memoir of a Hong Kong Childhood a eu un grand succès. Gweilo, « démon étranger », est le nom que l'on donne familièrement aux hommes blancs dans la langue cantonaise. La version française, traduite par Marie Armelle Terrien-Biotteau, vient de sortir aux éditions Gope sous le titre de Gweilo, récits d'une enfance hongkongaise.

« Ma mère était aussi déterminée et tenace qu'un bull-terrier »

Disons-le tout de suite, plus que de simples souvenirs, il s'agit du livre d'un romancier et il se lit d'une seule traite. Les personnages principaux sont au nombre de trois : Martin, l'enfant à la tête blonde, espiègle et téméraire, décrit ci-dessus, et ses parents, Joyce et Ken, eux aussi promptement campés par l'auteur.

« Ma mère était très jolie, agile et menue, et avait une chevelure d'un blond vénitien ; quant à mon père, un beau brun mince, il évoquait presque un type latino-américain. On aurait pu croire qu'ils formaient le couple idéal, et pourtant il n'en était rien. Drôle, ma mère avait l'esprit vif, beaucoup d'humour, une grande facilité de nouer des relations avec des gens de milieux très différents et une curiosité intellectuelle très aiguë. de plus, elle était aussi déterminée et tenace qu'un bull-terrier. En revanche, mon père était un encroûté extrêmement pointilleux et sans grand sens de l'humour. En outre, il était aigri et son aigreur ne fit que s'accentuer au cours des ans. Il en vint à tenir toutes ses relations à distance, se considérant supérieur à la plupart de ses contemporains. »

Traversée maritime et découverte de la culture cantonaise

Les conflits à l'intérieur du couple ne peuvent donc qu'être inévitables et ponctuent toutes ces années hongkongaises. L'ouvrage commence comme un récit de voyage avec la description et les péripéties de leur traversée en mer sur un bateau, le Corfu, de Southampton à Hong Kong. À Alger, où dans la casbah la mère se fait cracher dessus par un chameau, en Égypte ; à Port-Saïd, dans le musée des antiquités égyptiennes – le père, qui ne quitte pas son complet-veston sous une chaleur accablante, se voit surnommé par l'équipage, « le contre-amiral en culotte de peau » ; à Bombay, dont les excréments de vache sacrée et d'éléphants indisposent la mère. Colombo est paradisiaque. À Georgetown, ils se font attaquer par des singes et Singapour est en lutte contre les communistes.

Une traversée racontée avec de multiples détails et beaucoup d'humour, avant l'arrivée finale à Hong Kong, un 2 juin, sous un ciel couvert.

C'est sur la péninsule de Kowloon qu'ils s'installent, au Grand Hotel dans un premier temps puis dans des chambres contiguës avec un balcon au Fourseas Hotel, sur Waterloo Road. La façade donnait sur le trottoir et, de l'autre côté, était une colline escarpée et pelée sans végétation. L'hôtel abritait des familles d'expatriés britanniques, des hommes d'affaires, mais aussi des militaires en transit et, sur l'arrière, un étage mystérieux interdit au jeune garçon qui abritait des filles de joie pour distraire les militaires qui faisaient, explique le maître d'hôtel au jeune garçon innocent, des « sauti sauta » et « gigoti gigota » avec eux.

C'est à partir de cet hôtel que commence l'exploration du jeune garçon, protégé par ses boucles blondes – signe de bonne chance pour les Chinois, qui veulent tous les toucher. On le suit dans ses pérégrinations dans les ruelles de la ville, ses rencontres avec les garçons d'hôtel, tous réfugiés de Chine qui lui racontent leur passé, des coolies dont il décrit la vie très dure.
« On voyait leurs muscles des épaules jouer, les tendons se resserrant et se relâchant sous la peau, ils avaient le teint cireux, la poitrine creuse et la peau du cou tirée. Leur espérance de vie ne dépassait pas les 35 ans. »

C'est sous ses yeux une découverte constante de la culture cantonaise, de la cuisine, des traditions, fêtes et funérailles par un ensemble de détails et de traits vivants de diseurs de bonne aventure, de moines, de membres de triades et vendeurs en tous genres sur les marchés. Sa mère est souvent complice alors que son père se raidit dans sa dignité, de peur que sa femme ne se déshonore avec des Chinois de bas étage.

Des théières d'argent et quatre confitures différentes

D'un autre côté, il y a l'aspect colonial, lorsque par exemple sa mère l'emmène au thé de l'après-midi à l'hôtel Peninsula, où ils s'installent dans le hall « entourés de colonnes dorées et accompagnés par un quatuor à cordes… On nous apporta des théières en argent contenant du thé indien à la bergamote ou au jasmin ; les théières reposaient sur des réchauds à alcool, le thé était accompagné de sandwiches aussi minces que du pain d'ange et de petites pâtisseries exquises. Pain et beurre étaient servis avec quatre confitures différentes. Ma mère était au septième ciel, elle avait l'impression de mener une vie de star. Lorsque, discrètement, l'addition lui fut présentée, elle blêmit. »

La famille habitera ensuite au Peak, haut lieu des colons alors interdit aux Chinois. le père achètera une Ford Consul et ils exploreront les Nouveaux Territoires.

Ce livre de plus de 300 pages est à la fois un document historique et un récit écrit avec style.
[…]

Gérard Henry
6 octobre 2016
Lien : http://blog.courrierinternat..
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