« Après de longues réflexions, il avait préféré le Requiem de Verdi à toute autre oeuvre.
Cette musique italienne, composée sur un texte latin, inspiré par des prières catholiques, serait interprétée par des chanteurs juifs, des musiciens de toutes nationalités, venant de Bohème, d'Autriche, d'Allemagne, de Hollande et du Danemark, certains même de Pologne et de
Hongrie ; l'exécution de ce Requiem dans un ghetto serait dirigée par un chef d'orchestre athée : l'idée lui sembla magnifique. »
Le chef d'orchestre dont il est question dans ce livre, c'est Raphaël Schächter. C'est son histoire vraie qui a inspiré le récit de
Josef Bor : «
le Requiem de Terezin ».
Raphaël Schächter est un pianiste et chef d'orchestre tchèque, arrivé au camp de Terezin en fin 1941.
En fin 1944, il a été transporté à Auschwitz.
Avant cette date, il a réussi, au bout de 18 mois, avec beaucoup d'acharnement et de détermination, à donner en concert ce Requiem avec 4 solistes, 150 choristes et
2 pianos, qui remplaçaient l'orchestre.
Un véritable tour de force et un sacré pari fou !
Personne ne croit en son projet, mais Schächter n'en démord pas. Il arpentera lui-même les baraquements mouroirs, en quête de toutes les personnes indispensables pour interpréter cette messe catholique des morts.
Et les répétitions vont se succéder… En dépit des rafles quotidiennes, et du nombre de choristes qui diminue chaque jour, Schächter va continuer, avec un seul souhait, faire en sorte que ces hommes et ces femmes, qui sont promis à une mort certaine puissent parvenir à s'extraire de la barbarie de leur condition pour se consacrer à la beauté de la musique !
« La musique éveille, enrichit notre esprit en même temps qu'elle rapproche les hommes dans une communion secrète et intense. »
Terezin est alors l'antichambre d'Auschwitz, et aussi une vitrine pour la propagande nazie, grâce à son bureau
d'« Aménagement des loisirs », administré comme toutes les activités du camp par des notables juifs et contrôlé par
les S.S.
Ce bureau offre non seulement une bibliothèque qui contiendra un nombre incroyable de livres, mais aussi un programme nourri de théâtre, d'opéras, de concerts, de conférences, entièrement réalisé dans le ghetto.
Un programme par les Juifs et pour les Juifs, auquel les S.S. daignent parfois assister…
Schächter va arriver à faire comprendre à ses musiciens et choristes, toute la puissance d'évocation dramatique du Requiem de Verdi. S'il a choisi cette oeuvre, c'est à dessein !
Il veut prouver l'imposture, l'aberration des notions de sang et de races, et démontrer précisément cela dans un camp juif par le moyen de la musique.
La musique comme arme ! N'est-ce pas un beau combat ?
Raphaël Schächter va faire une première représentation devant public, qui ne va pas le satisfaire…
Pour lui, pour être bien compris par les prisonniers, le final de Verdi avec les paroles du « Libera me », est trop calme. Il devrait se terminer par des coups presque agressifs, pour souligner davantage chaque syllabe « Li-be-ra-me », et le temps de régler tout cela, il va brusquement apprendre qu'Adolf Eichmann - ce nazi qui avait proposé à Hitler la « solution finale » de la question juive et organisé la déportation de millions de Juifs vers les camps d'extermination – va arriver de façon imminente au camp pour assister au concert donné par les Juifs !
Eichmann apprend à son arrivée, qu'ils vont jouer le Requiem de Verdi. Il éclate de rire ! « Ces Juifs allaient bientôt devoir chanter le Requiem pour eux-mêmes, comme un glas de leur propre mort. »
Tous les membres de l'orchestre allaient devoir se surpasser… « Comment conjurer tous les sortilèges de cette musique ? » Comment peut-on chanter pour et devant des assassins ?
Et le chant « Confutatis maledictis » va emplir la salle, comme un orage : « Ecoutez, vous qui tuez, qui assassinez dans l'ombre, vous tous qui êtes damnés, mille fois maudits, comment cette plainte ne pourrait-elle vous émouvoir ? Ce chant vous inquiéter ? »
Et là, on se rend compte à quel point le choix de cette oeuvre musicale, avec ces paroles, était sacrément osé, face à la menace incessante des S.S. !
Ce roman est donc un beau témoignage de la force et du courage des Juifs, et de leur résistance à l'intérieur des camps.
Beaucoup d'émotions, mais pas de pathos dans ce livre, qui est écrit dans un style sobre.
Le « Requiem de Terezin » n'est pas un livre de désespoir. C'est un chant passionné pour la liberté et la justice.
Une réponse de la dignité humaine à la barbarie nazie.
L'art ne sait-il pas se faire résistance ? Et la musique n'aurait-elle pas un pouvoir magique ?
« Vous ne sauriez croire combien je parle de musique en moi-même derrière mon pupitre, quels souvenirs elle réveille en moi à tout instant, quelles peines elle parvient
à apaiser, combien elle m'inspire aussi de courage et de force. »
L'auteur de ce livre,
Josef Bor, un juriste tchèque, a lui-même été interné à Terezin en 1942, puis transféré à Auschwitz en 1944. Il fut libéré en 1945. Et c'est en 1963, qu'il publiera ce texte directement inspiré de son expérience dans ce camp où furent emprisonnés avec lui de nombreux artistes, parmi lesquels,
Robert Desnos, Marceline Loridan Ivans - et Raphaël Schächter.
Un roman inoubliable.
Une ode à la beauté, à la liberté, à la ténacité.
Un beau combat avec la musique comme arme.
Un roman lumineux, auquel j'accorde le maximum d'étoiles.