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Critique de gruz


En matière de roman post-apocalyptique, Métro 2033 de Dmitri Glukhovski a marqué les esprits. Publié en 2005 en russe, sorti en 2010 en français, il doit aussi son succès populaire au jeu vidéo qui en a été tiré.

L'auteur a proposé à d'autres écrivains de s'approprier l'idée générale. Rive gauche est donc la vision française de ce monde sous-terrain, là où vivent les seuls survivants qui se cachent de la surface dévastée et inhospitalière.

Attention, se serait faire injure à son raconteur français que de penser qu'on se trouve face à une réécriture. C'est l'immense Pierre Bordage qui s'y colle, rien de moins que l'un des plus grands écrivains de la littérature de l'imaginaire.

Il s'est basé sur le concept général, mais s'en est totalement approprié l'univers pour en faire du Bordage pur jus, proposant une histoire inédite. C'est simple, si on ne connaît pas la genèse du projet, impossible de ne pas voir en ce roman la droite ligne de ce qu'il propose depuis des décennies.

Rive gauche est le premier tome d'une trilogie. Viendront ensuite Rive droite et Cité. Et après avoir lu ces près de 500 premières pages, je peux vous dire que trois tomes ne seront pas de trop.

L'écrivain français est un touche-à-tout de l'imaginaire, à l'aise dans tous les sous-genres, avec comme maître-mot son humanité. Sa bibliographie regorge de pépite post-apocalyptiques et ce nouveau roman ne dépareille aucunement dans la liste.

On pourrait même croire que le sujet et l'environnement ont été taillés sur mesure pour lui, tant il a la place de développer ses thématiques favorites entre ces murs de béton et cette pénombre. Aux côtés de tous ces confinés, vivant sous terre, et ayant déjà pour la plupart oublié que le monde se vivait en haut plusieurs générations avant.

La surface est devenue une légende. Un mythe sur lequel certains hommes d'en bas manipulent la population par la peur, entre autres à travers une religion bien loin de se préoccuper de leurs âmes. Voilà l'un des multiples thèmes abordés par Bordage, comme il l'a déjà souvent fait : ce que les hommes font des croyances, rarement en bien.

Le monde du dessous est tentaculaire, construit autour des anciennes stations de métro de la rive gauche parisienne, isolées ou regroupées en statiopées pour être plus puissantes.

Ce premier tome tourne autour de l'histoire de Madone, une femme décidée à créer une fédération de toutes les stations, pour le bien de tous, par la négociation ou la violence s'il le faut.

Mais Rive gauche est surtout un roman choral qui nous fait suivre les destins de plusieurs personnages bien différents, qui tentent de survivre à leurs manières, dans ce monde reconstitué.

Voilà un sombre et formidable roman d'aventure divertissant, qui donne en prime des clés pour réfléchir, et ces ingrédients font qu'il est difficile de poser ce livre.

En suivant ces femmes, ces hommes et ces enfants reproduire, en pire souvent, ce qui a été oublié de la surface, on s'interroge aussi sur notre monde bien réel.

Imaginez un monde de ténèbres, où les hommes ont reconstruit une société sur les vestiges de l'ancienne, où quelques restes abandonnés sont devenus de précieuses richesses (les briquets, par exemple).

Un monde assez moyenâgeux, mais qui garde pourtant quelques bribes de souvenirs du monde d'avant. Et qui, sans le savoir, reproduit les mêmes schémas. D'ailleurs, Madone, qui tente de fédérer les stations, a un côté Jeanne D'Arc, l'auteur s'amusant à tirer de notre passé certaines scènes du futur.

Plusieurs partis pris de Pierre Bordage donnent corps et âme à cette dystopie aussi lugubre qu'addictive et attachante.

Le premier concerne l'invention de ces mutants, jeunes enfants qui développent des pouvoirs après tant de générations souterraines. Comme les Nycts qui sont capables de voir dans le noir. Ou les Dvinns, enfants à la tête disproportionnée qui peuvent lire des pans d'avenir. Sous terre, ils sont vus et traités comme des monstres. Une belle idée qui permet à l'écrivain d'aborder une thématique qui lui est chère : le respect de la différence et la tolérance envers son prochain. Des formidables personnages qui permettent de donner du sel à l'intrigue.

Un autre choix qui n'étonnera pas les lecteurs de Bordage : la place prépondérante des femmes. Loin de l'image d'Épinal de la faible femme, chez lui, elles sont fortes, elles tentent de faire changer les choses. Et surtout, elles ne sont pas dépeintes de manière manichéenne. Elles ont aussi leurs côtés sombres et leurs vices.

Rive gauche est autant une peinture politique et sociale de ce monde qu'une vraie aventure, un thriller, pleine de heurts et de violence. de vraies scènes de guerre, mais toujours l'accent mis sur l'humain. Des hommes qui, pour certains, s'élèvent par la lecture, dans un monde quasi analphabète, et où les anciens livres ont fait l'objet d'un autodafé.

Peut-être pas le meilleur ouvrage de l'écrivain, mais c'est pour moi une belle réussite, qui avait pourtant l'aspect d'une gageure au départ. Au final, le roman a de quoi combler les fans de l'univers Métro 2033, ceux de Bordage, mais aussi tous les lecteurs curieux.

Avec Rive gauche, Pierre Bordage a développé un univers fascinant, autour du concept de Métro 2033, où les privations, le pouvoir et la religion écrasent la masse. Il propose aussi des personnages complexes et attachants qui lui permettent de mettre en avant ses profondes valeurs humanistes. Au sein d'un vraie aventure ludique, violente, et qui mène à la réflexion. Que demande le peuple !

Vivement la suite !
Lien : https://gruznamur.com/2020/0..
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