Depuis 2005, Metro, l'univers de l'écrivain russe
Dmitry Glukhovsky ne cesse de s'étendre. Après la trilogie initiale constituée de
Metro 2033,
Metro 2034 et
Metro 2035, c'est par le jeu vidéo avec
Metro 2033 et ses deux suites, Metro : Last Light et Metro : Exodus que le monde post-apocalyptique de Glukhovsky renforce sa popularité.
Initiative rare, l'auteur propose un « univers
Metro 2033 » qu'il permet à d'autres écrivains d'exploiter. C'est ainsi que l'on a pu bénéficier, toujours chez L'Atalante, des deux opus d'
Andreï Dyakov dans le même univers mais…à Saint-Petersbourg avec Vers la lumière et Vers les ténèbres !
Que manquait-il donc à ce monde post-apocalyptique si ce n'est une touche française ?
Voici que
Pierre Bordage, auteur des Guerriers du Silence et d'Arkane, se lance à son tour dans l'aventure avec Rive Gauche, premier volume d'un diptyque tout aussi noir et désespéré au coeur des stations parisiennes !
On prend les mêmes…
Rive Gauche passe rapidement en revue son petit monde souterrain dès le premier chapitre.
Pierre Bordage le sait, les lecteurs de son roman seront, très majoritairement, des habitués de l'univers créé par
Dmitry Glukhovsky, c'est pourquoi il dresse à la volée la situation du métro parisien, énumère des stations-clé et les statiopées (c'est-à-dire les regroupements de plusieurs stations comme Montparnasse ou Petite-Chine) et pose ses enjeux.
Une certaine Madone tente d'imposer une Fédération à l'ensemble des stations de Rive Gauche pour mettre fin aux différentes tyrannies qui sévissent dans
Metro 2033 (comme l'appelle eux-mêmes les habitants). Évidemment, peu nombreux sont les puissants qui voient cette initiative d'un bon oeil, à commencer par le Pasteur Parn, responsable du culte d'Élévation, et les membres du conseil de Montparnasse, statiopée-capitale sous l'emprise justement de cette religion particulièrement envahissante.
Mais tous les survivants ne vivent pas dans les stations de métro habitables du réseau parisien. Les Armuriers, la bande de voleurs et tueurs du Daub, continuent à farfouiller pour revendre armes et denrées rares perdues dans les décombres d'après l'Apocalypse. Parmi eux, Juss et Plaisance, un fouineur et une Nyct, deux gosses qui vont vite devoir se débrouiller seuls au milieu de la cruauté du Métro.
Pierre Bordage pose également d'entrée de jeu les différents mutants de son Rive Gauche dont deux types seront véritablement mis en valeur : les Nycts, capables de voir dans le noir le plus total, et les dvinns, enfant-monstre à la tête disproportionnée et capable de deviner l'avenir.
Dès après, l'auteur français reprend le schéma de l'univers
Metro 2033 en entremêlant plusieurs arcs narratifs dont les importants resteront tout du long ceux de Madone et des deux Armuriers. Rive Gauche reste une fan-fiction, pour le meilleur et pour le pire.
La french-touch du Metro
En quoi se distingue
Pierre Bordage par rapport à son comparse russe ?
D'abord par sa volonté de créer une histoire politico-sociale forte avec un sous-texte assumé sur la tolérance de son prochain, surtout si l'autre est radicalement différent.
Ainsi, tout du long, Rive Gauche met l'accent sur les conflits politiques qui occupent le Metro Parisien à l'ère post-apocalyptique.
Les deux mamelles de la terreur restent évidemment l'argent/le pouvoir et la religion. Cette dernière, largement représentée par un pasteur Parn aussi mégalomaniaque que dégoûtant et intolérant, permet à
Pierre Bordage de montrer que le mal religieux nécessaire à la survie de l'homme doit trouver un contre-pouvoir. le problème ici, c'est de savoir lequel doit l'emporter entre Madone, cette proto-Jeanne D'Arc qui veut sauver le Royaume de France (ou ce qu'il en reste) pour redonner espoir au Peuple… et des gens plus cyniques et certainement plus réalistes quant à la nature humaine comme Augir ou Léj… sans parler des mandars de Petite-Chine !
Entre ces feux-croisés, la populace meure souvent et les mutants, de plus en plus nombreux, sont à deux doigts de devenir un bouc émissaire et un défouloir. le feu nucléaire a beau avoir balayé les trois quarts de l'humanité, celle-ci n'a pas vraiment retenu la leçon.
La prise de conscience politique et l'affrontement entre liberté démocratique et contrôle dictatorial et/ou ultra-capitaliste offrent à Rive Gauche une intéressante perspective sur ce monde qui semble avoir tout oublié de la surface. de même, le changement de décor permet de varier les plaisirs pour le lecteur familier de l'univers russe. Dommage que
Pierre Bordage ne prenne pas davantage de risques comme il l'avait amorcé en disputant systématiquement le pouvoir patriarcal grâce à des figures féminines fortes, de Ière à Aube en passant par Madone et Otre.
En terrain connu
Car le principal défaut de Rive Gauche, c'est qu'il offre un roman finalement assez attendu, tombant parfois même dans quelques caricatures agaçantes comme celle du triangle amoureux pour Madone, Mitch et Urm. À cet égard, l'histoire de Juss et Plaisance sonne nettement plus authentique dans un univers aussi noir que celui de Rive Gauche. le mélange de naïveté, d'amour et de cruauté de leur situation a quelque chose de terriblement poignant.
Pierre Bordage a également un peu trop facilement recours au pouvoir des dvinns pour résoudre les situations épineuses de ses personnages, comme une sorte de deux ex machina qui permettrait à tous les gentils de s'en sortir, notamment Madone.
Autre problème, cette idée étrange (et ridicule) de faire en sorte que les personnages de Rive Gauche appelle leur métro littéralement
Metro 2033. Pourquoi ce choix alors qu'aucun des trois autres romans ne prenait ce parti ? Surtout qu'il s'agit du titre de la licence ? Comment ce titre pourrait-il faire partie intégrante de la diégèse de Rive Gauche d'ailleurs ? Les survivants parisiens auraient-ils lu l'oeuvre de Glukhovsky? Difficile à croire quand ceux-ci ne semblent plus capables de lire même une simple affiche…
C'est d'ailleurs l'un des derniers points les plus intéressants de ce Rive Gauche. L'ensemble des survivants se révèle analphabète, à l'exception de deux : Roy et Ière. L'utilisation opposée que les deux personnages font de cette connaissance révèle surtout que les livres, l'écriture et le lecture sont les dernières choses qui séparent l'homme du chaos. C'est d'ailleurs grâce à eux que les créatures de ce Métro Parisien deviennent plus familières…
Une façon comme une autre de revenir en terrain connu pour le lecteur français…
Pierre Bordage ne le cache pas : Rive Gauche est un roman pour les amateurs de l'univers
Metro 2033. Grâce à une touche politico-sociale française bienvenue et des personnages féminins forts, l'histoire parvient tout de même à divertir de façon fort agréable l'amateur de post-apocalyptique en lui faisant oublier qu'il ne s'agit à l'arrivée que d'une fan-fiction de luxe, et c'est déjà beaucoup !
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