L'époque semble révolue où la littérature, comme l'existence, prenait le temps de s'écouler, immuable et tranquille, où elle laissait la plume de l'écrivain s'attarder sur un personnage, une situation, un détail, un sentiment ou une émotion.
Le temps, pour tous, a pressé le pas.
Le temps est à l'efficacité.
L'écrivain, pour être lu, se doit aujourd'hui d'être rapide, moderne et concis.
L'on dit même, avec parfois quelque indulgence teintée de forfanterie, que la lettre d'autrefois est désuète, flâneuse et sophistiquée.
Henry Bordeaux était de ces écrivains à l'écriture ample.
Et "la croisée des chemins" est un beau livre.
C'est un roman bourgeois ...
Pascal Rouvray est l'un des plus brillants étudiants en médecine de sa génération.
A vingt-sept ans, il vient d'être nommé chef de clinique à Paris, où se jouent toutes les carrières et les réputations.
Il est fiancé à Laurence Avenière.
Il a des espérances d'avenir.
Elle a pour lui de grandes ambitions.
Pascal a deux amis : Felix Chassal, promis à la politique et Hubert Épervans à qui tout semble réussir dans la finance.
Mais Pierre Rouvray, le vieux docteur, le père du jeune homme, est frappé d'une hémorragie cérébrale que, trop occupé à observer ses patients, il n'avait pas vu venir.
Et la mort du patriarche annonce la ruine de la famille ...
"La croisée des chemins" est un livre puissant par ce qu'il dégage.
Il est le livre du choix.
Un choix imprévu s'impose à Pascal Rouvray : relever son nom au prix d'une carrière prometteuse ou décliner une lourde succession en ruinant les espoirs de sa mère.
Mais sommes-nous vraiment libres de nos choix ?
Est-ce qu'aux heures décisives d'obscures éléments de sensibilité n'interviennent pas dans nos déterminations ?
Le roman est construit en deux parties : "le choix" et "le but".
Il est écrit de manière magistral.
Les descriptions y sont précises et fouillées sans pour autant être pesantes.
Leur analyse psychologique fait des personnages de magnifiques portraits.
Paru en 1909, ce morceau de littérature semble ne pas avoir souffert du temps.
Et s'il semble, un peu long, un peu lent, c'est qu'il en est d'autant plus beau et expressif, passionnant et intelligent ...
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- Qu'as-tu, ma chérie ?
- Je n'ai rien.
Je n'ai rien : aucun aveu, plus que ces quatre mots dans leur insignifiance, n'a jamais tourmenté les mères, les amants, ceux qui se penchent sur les profondeurs.
Ils abritent toutes les angoisses, toutes les agonies intimes, ce qu'il faut taire, ce qu'on ne sait pas encore, ce qu'on n'ose pas deviner, ce qui traîtreusement s'introduit dans le bonheur comme le vers dans un fruit ...
Dans la démocratie triomphante la jeunesse proclamait l'inégalité.
On refusait de se solidariser, de s'associer ; on préférait l'ambition solitaire.
Les petits surhommes allaient pulluler ...
Les premiers auditeurs d'un opéra, d'une pièce de théâtre, les premiers lecteurs d'un roman, d'un livre d'Histoire, en proclament instantanément - en vertu de quelle infaillibilité ? - la vogue ou la faillite ? ...
Rien ne termine plus tristement une fête que de retourner sans jeunesse aux lieux où, jeune, on a passé ...
La plus inquiétante jeunesse est celle qui n'a pas d'opinions extrêmes ...
Les Maîtres du mystère - L'Intruse d'après le roman d'Henry BORDEAUX