Quand s’approche la fin, il ne reste plus d’images du souvenir ; il ne reste plus que des mots. Il n’est pas étrange que le temps ait confondu ceux qui une fois me désignèrent avec ceux qui furent symboles du sort de l’homme qui m’accompagna tant de siècles. J’ai été Homère ; bientôt, je serai Personne, comme Ulysse ; bientôt, je serai tout le monde : je serai mort.
Les événements graves sont hors du temps, soit qu’en eux le passé immédiat soit coupé de l’avenir, soit que les parties qui les forment semblent ne pas découler les unes des autres.
Conte : Emma Zunz
La pensée la plus fugace obéit à un dessein invisible et peut couronner, ou commencer, une forme secrète. J'en connais qui faisaient le mal pour que le bien en résulte dans les siècles à venir ou pour qu'il en soit résulté dans les siècles passés... A cette lumière, tous nos actes sont justes, mais ils sont aussi indifférents. Il n'y a pas de mérites moraux ou intellectuels. Homère composa l'Odyssée ; aussitôt accordé un délai infini avec des circonstances et des changements infinis, l'impossible était de ne pas composer, au moins une fois, l'Odyssée. Personne n'est quelqu'un, un seul homme immortel est tous les hommes. Comme Corneille Agrippa, je suis dieu, je suis héros, je suis philosophe, je suis démon et je suis monde, ce qui est une manière fatigante de dire que je ne suis pas.
« Ce palais est l’œuvre des dieux », pensais-je d’abord. J’explorai les pièces inhabitées et corrigeai : « Les dieux qui l’édifièrent sont morts ». Je notai ses particularités et dis: « Les dieux qui l’édifièrent étaient fous ». Je le dis, j’en suis certain, avec une incompréhensible réprobation qui était presque un remords, avec plus d’horreur intellectuelle que de peur sensible.
(...) censurer ou déplorer un seul fait réel c'est blasphémer l'univers.
Juifs, chrétiens et musulmans confessent l'immortalité, mais la vénération qu'ils portent au premier âge prouve qu'ils n'ont foi qu'en lui, puisqu'ils destinent tous les autres, en nombre infini, à le récompenser ou à le punir. (L'Immortel)
Quand j'ouvris les yeux, je vis l'Aleph.
- L'Aleph ? répétai-je.
- Oui, le lieu où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l'univers, vus de tous les angles.
L'univers changera mais pas moi, pensai-je avec une mélancolique vanité.
Que le ciel existe, même si notre place est en enfer.
Je contemple mon visage dans le miroir pour savoir qui je suis, pour savoir comment je me conduirai dans quelques heures, quand je serai face à la fin. Ma chair peut avoir peur, pas moi.
Il n'est pas nécessaire de construire un labyrinthe quand l'Univers déjà en est un.