AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4

sur 657 notes
Borges active en nous une zone profonde dans notre cerveau et la laisse palpitante après. Lorsqu'on s'attaque à un livre de Borges, on sait d'emblée à quoi l'on s'attend : à l'inattendu. A l'indicible. C'est le monde enfuit dans le notre et qu'on ne retrouve que si l'on sonde les lieux insolites auxquels on ne fait pas attention, on ne visite pas, trop éblouit par les lieux communs.

Après Fictions, j'ai lu le livre de sable. le livre de Sable ou le livre de Borges car les deux sont fugaces et insaisissables, brillants et infinis. On sent l'influence des Mille et une nuits, de ces lectures d'encyclopédies, mais aussi des sagas scandinaves. Dans ces nouvelles, on raconte des faits mais l'on ne peut savoir si cela a vraiment eu lieu, ou c'est un rêve ou issu de l'imaginaire. le fantastique, l'imaginaire, le magique, le réalisme tous s'y mêlent.

Chacune des treize nouvelles a un caractère différent et peut être la source de longue analyse, ou d'inspiration à des romans volumineux.

L'histoire de ce livre de sable (dernière nouvelle du recueil) m'a fait penser au Facebook . Un livre sans début et sans fin, les pages sont en désordre, les images disparaissent une fois le livre fermé et l'on ne peut les trouver en cherchant sur les mêmes pages, on y trouve un peu de tout, il est infini ; le livre a emprisonné le narrateur dans son monde et l'a éloigné du réel. de même le Facebook, il est infini et les images ou publications cèdent leur place à d'autres, on y trouve tous les domaines imaginables, et si l'on cède à sa tentation on cède et on s'éloigne de la vie réelle.
Commenter  J’apprécie          750
« Le livre de sable » est un recueil de nouvelles tardif de Jorge Luis Borges, publié en 1975, soit plusieurs décennies après « Fictions » paru en 1944 et « L'Aleph » paru en 1949. On y retrouve l'inclination du génie argentin pour une pensée spéculative qui donne le vertige, et visite à nouveau ses thèmes de prédilection : l'infini, l'éternité, l'identité, la dualité, la frontière ténue qui sépare le rêve de la réalité.

Le recueil comporte treize nouvelles, autant de manières d'explorer les obsessions borgésiennes. La quatrième de couverture est d'une franchise déconcertante. Borges y indique : « Je n'écris pas pour une petite élite dont je n'ai cure, ni pour cette entité platonique adulée qu'on surnomme la Masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères au démagogue. J'écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps ».

Né en 1899, l'écrivain argentin, âgé de 76 ans et quasiment aveugle lors de la publication de ce recueil est au crépuscule de son existence. Cette volonté « d'adoucir le cours du temps » teinte « Le livre de sable » d'une douce mélancolie et conduit son auteur à aborder le thème du temps qui passe et de sa propre finitude. Les nouvelles qui composent le recueil sont ainsi de facture plus classique que celles qui composent « Fictions ». S'il ne renonce pas à aborder les questions métaphysiques qui hantent son oeuvre, Borges se fait davantage conteur, et nous confie les émotions qui troublent ses narrateurs successifs, au cours des treize nouvelles qui composent le recueil.

---

Dans la nouvelle qui donne son titre au recueil, le narrateur fait la rencontre d'un vendeur de Bibles qui souhaite lui vendre un « livre sacré », qui se présente sous la forme d'un volume in-octavo, relié en toile, écrit dans une langue inconnue. Les pages sont numérotées en chiffres arabes, mais d'une manière qui semble totalement aléatoire. La caractéristique essentielle de ce livre est qu'il est infini : « Cela n'est pas possible et pourtant cela est. le nombre de pages de ce livre est exactement infini. Aucune n'est la première, aucune n'est la dernière. Je ne sais pourquoi elles sont numérotées de cette façon arbitraire. Peut-être pour laisser entendre que les composants d'une série infinie peuvent être numérotés dans n'importe quel ordre ».

En échange du montant de sa retraite et de sa bible de Wyclif en caractères gothiques, le narrateur fait l'acquisition du livre « infini ». Très vite, le bonheur de posséder un tel objet cède à la crainte que l'on ne lui dérobe. le nouveau propriétaire en devient paranoïaque, et prisonnier du livre qu'il ne cesse d'examiner. Il comprend enfin que « Le livre de sable » est en réalité monstrueux et qu'il risque de le transformer lui aussi en monstre, et va entreprendre de se séparer de cet objet qui contient un nombre « exactement infini » de pages.

Si l'on retrouve dans cette nouvelle une audacieuse exploration du thème de l'infini cher à l'auteur, l'originalité du conte réside dans sa fin, ce moment où le narrateur prend conscience de la monstruosité de l'objet qu'il vient d'acquérir. Ce texte peut se lire comme une forme de confession dans laquelle Borges lui-même réalise à l'aube de la vieillesse le caractère absolument « monstrueux » de son obsession pour l'infini. La douce mélancolie qui irrigue « Le livre de sable » donne à la nouvelle la couleur de la sagesse.

Ainsi, le véritable enjeu du texte n'est sans doute pas d'explorer une fois encore le vertige de l'infini, mais de confesser à quel point certaines des obsessions qui traversent l'oeuvre de l'écrivain argentin sont au fond aussi vaines qu'absurdes.

---

Dans la première nouvelle du recueil, « L'autre », le narrateur est Jorge Luis Borges, en personne, qui s'assoit sur un banc faisant face au fleuve Charles, à dix heures du matin. Il est âgé de soixante-dix ans et constate que la personne assise à ses cotés sur le banc est un autre lui-même, nettement plus jeune, d'à peine vingt ans.

Cet « autre » Borges n'est de prime abord pas totalement convaincu par l'identité de son interlocuteur. Même lorsque son aîné lui narre des détails sur sa vie qu'il est le seul à pouvoir connaître, il reste perplexe et craint que cette rencontre ne soit qu'un rêve. Il se laisse malgré tout peu à peu convaincre et permet à son aîné de lui narrer les grandes lignes des cinquante années à venir. La nouvelle se termine par une explication « rationnelle » toute borgésienne de l'évènement « surnaturel » de la rencontre entre un Borges âgé de soixante-dix ans et un autre Borges de vingt ans.

Le texte explore comme d'autres l'ont fait avant lui, l'identité, la dualité, la frontière ténue qui sépare le rêve de la réalité, ainsi que la conception du temps chère à Héraclite qui soutenait « qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ».

L'originalité de la nouvelle tient à cette forme de prise de conscience douce-amère du temps qui passe d'un Borges vieillissant qui explique à son alter ego, que lorsqu'il aura son âge il aura presque complètement perdu la vue : « Tu ne verras que du jaune, des ombres, et des lumières. Ne t'inquiète pas. La cécité progressive n'est pas une chose tragique. C'est comme un soir d'été qui tombe lentement. »

Si ce texte teinté de nostalgie, revient sur les obsessions récurrentes de l'auteur, sa force de percussion tient, une fois n'est pas coutume, non pas à un tour de prestidigitation vertigineux dont Borges est si friand, mais au regard poétique que pose un homme âgé sur un jeune homme qui est, comme l'avait deviné Héraclite, un autre que lui.

---

Recelant les thèmes spéculatifs chers à son auteur, « Le livre de sable » frappe par la poésie nostalgique du regard que porte Borges au crépuscule de son existence, sur le temps qui passe, qui s'écoule inexorablement tel un fleuve dans lequel il est impossible de se baigner deux fois.
Commenter  J’apprécie          6833
Un livre infini. Voila qui devrait parler à toute personne sur Babelio ! C'est lui, le livre de sable. On peut l'ouvrir autant de fois qu'on veut, le feuilleter, on ne retombera jamais sur la même page. Il n'a ni fin ni début, il est écrit dans une langue inconnue, orné de dessins mystérieux. Si on en devient le propriétaire, il peut vous fasciner au point de vous rendre fou. On peut rester là, à tourner des pages encore et encore, jusqu'à en oublier de manger, de dormir, jusqu'à en oublier son nom…

Il y a d'autres nouvelles dans ce recueil évidemment, mais aucune aussi forte que celle qui lui donne son nom, aucune d'aussi troublante. Quel est donc ce livre dans lequel on peut s'égarer ? Faut-il y voire une métaphore de la littérature ? Non. Borges n'est pas homme à utiliser de tels procédés. Rien ne se cache derrière le mystère, que le mystère lui-même. Combien de fois un film, une série, un film, nous entraine-t-il grâce au frisson de l'inconnu, au désir de comprendre, de savoir ! Et combien de fois ce désir ne débouche-t-il pas sur une déception…

Rien de tel ici. le mystère restera entier. le dernier propriétaire abandonnera le livre là où il est sûr de ne pas pouvoir le retrouver : dans une immense bibliothèque, sur un rayon au hasard.
Commenter  J’apprécie          683
Vous avez dit Argentine ?
Je dis Borges.
Et naturellement le livre de sable (le sable, symbole du temps qui s'écoule).
Dans les treize nouvelles de cet ensemble, l'auteur met en scène deux personnes, et en premier l'affrontement entre un Borges vieillissant, un peu aveugle, et le Borges de vingt ans.
Ce dernier ne croit pas à ce qui lui arrive, se voir dans cinquante ans, car « la peur élémentaire de l'impossible qui apparaît pourtant comme certain l'effrayait. » Se voir, ayant perdu les illusions de la jeunesse, lié à ce double que le destin lui destine, c'est un peu dur à avaler.
Je viens de dire rencontre de deux personnes, mais dans la nouvelle « le Congrès », il s'agit de la rencontre de tous les représentants de toutes les nations, un peu comme une compilation de l'humanité, un peu comme le désir de réunir tous les livres dans une bibliothèque idéale, un peu comme le désir de représenter tous les archétypes de tous les penseurs. Un cosmos, une somme, qui peut se transformer en rien, par la mise à feu de tous les livres, qui procure une jouissance inattendue de tous les membres à les voir détruire.

Tout ou rien, cela semble égal, puisque le temps, réel ou rêvé, présent ou passé, infini et à la fois n'existant qu'au présent, rend futile la prétention même de le penser .Saint Augustin le premier a affirmé l'impossibilité de penser le temps, puisqu'il passe au moment où on le pense.
Dans un labyrinthe de pensées, de citations, Borges émet l'hypothèse que tout cela ne soit qu'un rêve, ou une utopie. Et justement, une des dernières rencontres a lieu entre l'auteur et un homme de quatre siècles plus vieux. Il décrit avec humour empreint de tristesse un monde où les livres n'ont plus de fonction vitale, ni l'argent, ni la publicité, ni le vol, puisque la possession n'existe plus, donc plus d'héritages, plus de gouvernement, plus de politique, et surtout plus de ces espèces d'invalides que l'on transporte dans de longs et bruyants véhicules, les anciens et inutiles hommes politiques ; finie aussi la peur de la mort liée aux précédents, mais, chut…

Utopie qui contrecarre, je l'espère sciemment, les mauvais augures de l'apocalypse et reste pourtant, comme la précédente, un miroir de l'imagination.

La mélancolie, liée au vieillissement et à la cécité grandissante de Borges, est liée au concept d'infini. Un livre infini, c'est un cauchemar, voilà sans doute pourquoi l'auteur nous convie à des unicités : celle des mots, car tous les mots rassemblés, avec but de former le poème absolu, l'ode après quoi plus rien ne peut être écrit consiste en un mot. Un mot, et tout est dit. le rêve de tout écrivain.
Comme Borges le note dans son épilogue, nous sommes loin de la Bibliothèque de Babel, écrit en 1941, imaginant un nombre infini de livres, par l'invention de « littératures séculaires » ne comportant qu'un seul mot. Mélancolie, donc :

« La vieillesse des hommes et le crépuscule, les rêves et la vie, le temps qui passe et l'eau. »

LC Thématique décembre : littérature étrangère
Commenter  J’apprécie          6446
Jim Morrison disait : « il y a le connu et il y a l'inconnu, entre les deux, il y a les Doors »…
On pourrait bien appliquer cette belle phrase de Morrison à Jorge Luis Borges, tant il est vrai que son oeuvre est comme une porte entre deux mondes, entre le rationnel et l'irrationnel, entre le rêve et le réel, entre le fantastique et le concret, entre le vrai et le faux.
Passerelle étrange que l'on emprunte à pas prudent - du moins au départ - presque inquiet de passer à côté de quelque chose d'essentiel que l'on aurait omis d'appréhender. L'érudition, la culture encyclopédique, le savoir du maître sont tels qu'ils peuvent faire craindre au lecteur de ne pas saisir toutes les variations esthétiques, les symboles, les recherches et les perspectives disséminés au détour d'ouvrages singuliers et troublants tels « L'Aleph » ou « Fictions ».
Le lecteur qui pénètre l'univers original de Borges, doit finalement se résoudre à comprendre que, justement, il ne comprendra peut-être pas tout à l'oeuvre insolite, curieuse, magique de l'écrivain argentin.
Ce fait entendu, il ne reste plus qu'à se laisser aller, à franchir ce pont entre deux rives bâti savamment par l'auteur et menant à une réalité détournée, une fenêtre ouverte sur l'absolu.
Ouverture vers un ailleurs que le lecteur peut alors expliciter à l'envie tant l'auteur laisse le champ libre à toutes les interprétations, toutes les interrogations, toutes les observations.
Un jeu de l'esprit où Borges laisse le lecteur percevoir avant tout sa propre réalité, lui laisse inaugurer son propre imaginaire et élaborer sa propre part de rêve.
L'écrivain est là pour semer des indices, nous mettre sur la voie pour mieux se retirer, laissant alors au lecteur le pouvoir d'apposer son propre mot de la fin sur des histoires qui s'entrelacent à l'infini.
Avec une joie presque enfantine Borges s'amuse à nous perdre dans des histoires où la réalité repose toujours sur un terreau bien ferme, sur des faits tangibles, sur des évènements souvent autobiographiques ; une réalité stable qui sensiblement glisse et glisse encore, devient malléable, volatile, changeante puis si inconsistante qu'à l'instar d'Alice au travers du miroir, l'on bascule alors vers un autre univers, fantastique, démesuré, hyperbolique…borgésien.

Les treize contes fantastiques qui composent le « Livre de sable » sont des portes ouvertes sur cet ailleurs.
Ecrits entre 1970 et 1975, ils abordent des thèmes variés, puisent dans les anecdotes historiques ou la mythologie, s'inscrivent également dans la référence et dans l'hommage à de grands noms de la littérature :
Thème du double cher à Stevenson dans la nouvelle « L'Autre » ; récit fantasmagorique et sombre comme chez Edgar Allan Poe ou Lovecraft dans « There are more things »…
C'est une bibliothèque aux nombre infini d'ouvrages, c'est un livre sans fin, c'est un poème comportant un seul mot, un amour vécu de façon étrange ou bien un disque qui ne comporte qu'une seule face…
C'est un recueil nuancé et extravagant dans lequel, comme dans un labyrinthe, l'on déambule au gré de nouvelles souvent brèves et condensées à l'extrême.
L'écriture y est sobre, mûrie, maîtrisée, sans emphase ni effet de style, dans un dessein de brièveté soulignant l'aspect étrange et l'instabilité du réel.
Comme le livre de sable, les contes de Borges s'écoulent à l'infini avec cette farouche volonté que « les rêves qu'ils contiennent continuent à se propager dans l'hospitalière imagination de ceux qui, en cet instant les referment ».
Commenter  J’apprécie          631
Une fois, quand j'avais treize ans, j'ai loupé le bus pour rentrer de mon cours de guitare. Je suis alors entrée dans une librairie et avec mon petit porte-monnaie de collégienne pas très garni, j'ai choisi un mince livre intitulé "Histoire universelle de l'infamie", de Jorge Luis Borges. Le nom d'auteur ne me disait rien, mais j'ai bien aimé le titre. Et j'ai fait une révélation ! Le temps que l'autre bus arrive, j'étais dedans à fond. A l'époque, Poe était mon idole littéraire, et j'ai découvert dans ces courts écrits de Borges quelque chose de ressemblant, mais en plus épuré, plus universel et moins mélodramatique. Quelque chose qui ne donne pas seulement un frisson, mais un frisson doublé de réflexion. Je me souviens encore de ces petites histoires d'une érudition historico-fantastique; d'un miroir magique, d'un lépreux, d'une carte de royaume aussi grande que le royaume, d'une veuve pirate chinoise.....



Quelques décennies plus tard, me voilà devant ce petit "Livre de sable" du même auteur. Les histoires d'un fantastique moderne, où le fantastique est créé par l'atmosphère particulière de la narration. Les thèmes chers a Borges sont tous présents; l'histoire, la politique, l'alter ego, l'universalité et la synthèse de la connaissance humaine. Pas mal de traits autobiographiques, tout ça baignant par ci-par là dans la mythologie nordique savamment dosée. Les deux premières histoires ne m'ont pas particulièrement accrochée, mais j'ai retrouvé mes sensations d'autrefois à partir de la troisième, "Le congrès". Et c'était parti pour une petite tournée fantasmagorique jusqu'à "Le livre du sable", une histoire tout simplement parfaite. Peut-on rassembler toute la connaissance du monde et d'en extraire une quintessence; une sorte d'un "mot qui tue"? Est-ce seulement la peine, la connaissance étant tellement relative ? Que va t'on léguer à ceux qui viendront après nous ? Les thèmes qui méritent réflexion et que Borges façonne par sa plume en petits diamants littéraires bien ciselés.


Et je continue à penser que "Le masque de la Mort Rouge" est l'histoire le plus "borgesienne" de Poe !
Commenter  J’apprécie          5522
L'Histoire avec un grand H est présente sous des formes diverses : la vraie avec « Avelino Arredondo », la fantastique avec « Ulrica » (même si cela commence par « mon récit sera fidèle à la réalité »), ou bien celle de faux manuscrits avec « UNDR ».
Plusieurs nouvelles sont marquées par le thème de l'université, en particulier « Le stratagème » : texte d'universitaire avec une intrigue universitaire.
J'ai ressenti un certain post-modernisme dans ce recueil, avec de nombreuses références érudites (Beowulf, Burns, Hugo, Dostoïevski), mais aussi avec des descriptions étranges d'hérésies anciennes, voire des expériences mystiques modernes et mystérieuses.
À noter l'importance d'un objet en particulier dans l'atmosphère fantastique : disque, livre de sable, parfois mystérieux, voire monstrueux à la Lovecraft (« There are more things »).
Enfin, l'importance du bluff, celui de l'auteur qui s'amuse avec la réalité. En fait, on ne doute presque jamais du rêve. C'est d'ailleurs le dernier mot de l'auteur : « J'espère que ces notes hâtives que je viens de dicter [l'épilogue] n'épuiseront pas l'intérêt de ce livre et que les rêves qu'il contient continueront à se propager dans l'hospitalière imagination de ceux qui, en cet instant, le referment. »
Commenter  J’apprécie          530
Pour mes deux semaines de vacances andalouses j'avais pris pour défi de lire Borges en espagnol, langue que, malgré mes efforts, je balbutie encore.

Pas ses oeuvres complètes, non, juste ces 13 nouvelles réunies dans le livre de sable, choix idéal pour lire sur la plage, hahaha. Et en vulgaire tricheur, en édition bilingue, traduction en page de droite.
Défi accessible, donc. Croyais-je...

Car c'est en lisant Borges que Babelio, du moins le mien, si je puis dire, a commencé, n'ayons pas peur des mots, à déconner.
Je reçus tout d'abord quelques messages internes. Ravi, j'y répondis par de longs textes ... qui furent aussitôt remplacés par du vide : un carré noir aussi incongru qu'impoli. Babelio me censurait, sans préavis ni raison.

Puis ce fut une demande d'invitation à devenir l'ami de l'un ou l'une d'entre vous. Mais en l'ouvrant je découvris, perplexe et déçu, qu'elle émanait ... de mon propre profil. Absurde ! Je la refusai aussitôt. Trop vite peut-être. Que signifie ce réflexe si ce n'est le dégoût de moi-même ?...

N'ayant encore jamais été confronté à ces bugs, j'en déduisis logiquement que ma lecture de Borges ne pouvait qu'être à l'origine de ces facéties informatiques.
À moins que ce ne fussent des failles, des brêches par lesquelles j'aurais pu entrapercevoir le véritable, l'obscur dessein de Babelio ? C'est éprouvé, c'est par les brêches que nous parvient la lumière.

Plongé dans une intense réflexion, je réalisais alors que mes lectures diffèrent depuis que je suis sur Babelio. Plus assidues, concentrées, profondes. À la recherche des bons passages puis, livre refermé, aussitôt lancé dans les réflexions nécessaires à une éventuelle critique. Pourquoi ? Pour qui ? Pour moi, vous, les deux ? Ou pour Lui, Babelio ? Pour le nourrir, ce monstre glouton jamais rassasié ?

Comment puis-écrire "je suis sur Babelio" ? Serait-ce un lieu, un monde, un univers parallèle ? S'il en est un, est-il stable, pérenne, éternel ? Quelles en seraient ses frontières ? Quelle charge soutiendrait-il ? le poids de tous les textes écrits, lus et commentés dans toutes les langues depuis la naissance de l'écriture ?

De même, puis-je dire que "j'ai" Babelio ? D'avoir installé l'appli m'autorise-t-il à dire que je possède tout ou partie de Babelio ?
Être ou avoir Babelio ? Là est la question.
Ou, bien avant celle-là, qu'est-ce donc que Babelio ?

Une vulgaire base de données : des auteurs ayant écrit des livres lus par des lecteurs qui produisent citations et critiques, appréciées et commentées par d'autres lecteurs qui peuvent s'inviter et communiquer entre eux. Architecture basée sur ces 4 seules tables : auteurs, livres, lecteurs, critiques-citations. Bien maigre squelette.

Babelio c'est surtout l'ambition de devenir le réseau social de la lecture. Un club ouvert à tous, gigantesque mais restant convivial, doué d'omniscience et d'ubiquité. Ça comble un vide, alors on afflue et on en devient vite dépendant. Sans vraiment comprendre pourquoi... Moi qui me méfie des géants du web, que fais-je ici à livrer l'intimité de mes lectures ? D'autant qu'un malicieux fantôme m'y poursuit, décochant ses flèches assassines.

Babelio c'est aussi un labyrinthe en perpétuelle expansion dont les chemins tracés par tous nos "X aime la citation de Y extraite du livre que Z l'avait convaincu de lire" bâtissent un labyrinthe tentaculaire et exponentiel qui aurait, à coup sûr, inspiré Borges.

Je ne m'imaginais pas commenter la moindre ligne de Borges. Je préfère vous livrer le pitoyable galimatias de mes réflexions inabouties dans lesquelles m'avaient plongé ces récits déconcertants, débordants d'érudition et de surprises.

Treize petits contes auxquels je repenserai souvent et que je vous invite à lire et relire, pour bien gamberger.
Commenter  J’apprécie          2511
La nouvelle, avec la poésie, est l'un des genres littéraires que j'aime le plus au monde. Un auteur doit être bref et ce ne sont pas les 1000 pages de Moix pour sa "naissance" qui me feront penser le contraire. Aussi avais-je commencé avec délectation ce recueil de nouvelles portant -tout du moins une bonne partie d'entre elles- sur un thème qui m'est cher : l'idée de double, du doppelganger.

Avouons tout de suite que ce n'est cependant pas tout à fait ce livre que je voulais lire au départ. Je cherchais, à l'origine, et depuis un moment déjà, un recueil du même auteur, me semble-t-il, dont l'une des nouvelles parle d'un homme qui se rend compte que la plupart des plus grands poètes ont vilement recopié un auteur obscur que le narrateur découvre dans une bibliothèque délabrée. Je n'ai pas trouvé ledit recueil mais, soit, celui-ci avait toutes les qualités requises pour me séduire, un long voyage en train durant.

Las, je dois bien admettre que j'ai un peu été déçu par ma lecture. Il y a quelques années j'aurais adoré ces nouvelles toutes plus mystérieuses les unes que les autres. L'idée de la multiplicité des êtres me plait bien, comme la rencontre avec un autre soi-même. Chaque nouvelle avait tout, absolument tout pour me plaire.

Mais je vieillis, probablement. Il me faut trouver plus qu'une simple idée , aussi intéressante soit-elle, pour aimer un récit. Les nouvelles ne dépassant pas 5 pages - j'exagère-, il est difficile de tenir le lecteur en haleine, de le pousser à se questionner sur ce qu'il vient de lire. On est plus dans la suggestion. Chaque nouvelle a le potentiel pour faire autant de superbes nouvelles, de romans dantesques mais non, au final je n'ai trouvé que quelques bonnes idées.

La plume est belle, les réflexions de Borges toujours profondes mais à n'avoir presque rien lu, je crois avoir déjà bientôt tout oublié.



Commenter  J’apprécie          257
L'avantage, on s'en doutera, de ces volumes de la collection "Folio bilingue", est de lire le texte original sans la manutention du dictionnaire en cas de difficulté. C'est paresseux, inqualifiable, mais cela permet de ne pas perdre le fil de l'histoire, et de la lire en deux versions. Du reste l'espagnol de Borges est volontairement, traîtreusement simple, et ses malices, traits d'humour et facéties sont plus perceptibles dans la traduction (pour un Français qui n'a pas de l'espagnol une pratique constante). En d'autres cas, comme celui d'Alejo Carpentier (El acoso, Chasse à l'homme), la lecture de l'original est simplement trop difficile et l'édition bilingue vise des lecteurs d'un meilleur niveau.
La comparaison de ces deux auteurs permettrait de montrer la vanité de nos catégories littéraires : que signifie littérature sud-américaine, terme englobant en trois mots tout un continent, deux siècles au moins de création, et des tempéraments aussi opposés que celui de Borges, qui cultive la référence européenne érudite, et Carpentier, Cubain engagé ? De même, parler de "contes fantastiques" à propos de ceux de Borges risque de tromper le lecteur : aucune peur, même aucune inquiétude, aucun sentiment d'horreur, mais la mise en oeuvre d'une ironie constante, qui va du pastiche distancié de Lovecraft à des fables et apologues dont la moralité serait (s'il se permettait de la formuler) une question métaphysique. L'auteur avait déjà dit ailleurs, et le signale ici, que métaphysique, théologie et littérature fantastique ont beaucoup en commun : "Je me souviens d'avoir lu sans ennui, me répondit-il, deux contes fantastiques. Les Voyages du Capitaine Lemuel Gulliver, que beaucoup de gens tiennent pour véridiques, et la Somme Théologique." (p. 201) Ces contes sont de bizarres objets raffinés, des machines célibataires sans autre utilité que le plaisir de l'esprit.
Commenter  J’apprécie          212




Lecteurs (1712) Voir plus



Quiz Voir plus

Créatures étranges.

Serpent bicéphale rencontré par Caton.

Amphisbène
Basilic
Mandrake
Mermecolion

5 questions
11 lecteurs ont répondu
Thème : Le livre des êtres imaginaires de Jorge Luis BorgesCréer un quiz sur ce livre

{* *}