La "doctrine" anthropogonique qui s'y fait jour [Poème du Supersage] est, dans son canevas, parfaitement claire: les hommes ont été créés et mis au monde, et leur constitution subtilement calculée et parachevée, pour remplir vis-à-vis des dieux le rôle de serviteurs: de producteurs, qui mettent en valeur les richesses de ce monde en vue de fournir, par leur travail, d'abord au monde surnaturel les biens matériels qui lui sont nécessaires: le manger et le boire, le vêtement et la parure, le mobilier et le couvert. Des surplus de ces biens, ils profiteront eux aussi, la chose va sans dire - mais secondairement et comme par surcroît. La vie humaine n'a de sens, de raison d'être et de finalité qu'au service des dieux - tout comme les sujets du royaume n'ont de sens, de raison d'être et de finalité qu'au service du souverain et de sa maison: ici encore se retrouve la même transposition, armature et pilier de soutènement de l'entière idéologie religieuse dans le pays.
L'existence indiscutable d'un code et de règles qui, pour n'avoir jamais été explicités comme tels, n'en étaient pas moins rigoureux et n'en fondaient pas moins la possibilité de progresser dans un secteur de la connaissance, par des déductions et des conclusions assurées, certifiées, nécessaires et universellement valables, achève de nous démontrer le caractère véritablement scientifique de la divination aux yeux des Mésopotamiens d'autrefois. Certes, ces règles et ce code, conformément à leurs habitudes et à leur génie propre, ils ne les ont jamais formulés, dans leur nudité et formalité mêmes. Ce n'étaient point des abstracteurs: c'étaient des casuistes.
...les dieux eux-mêmes , en grand nombre et imaginés sur le patron des hommes,se trouvaient donc dans les mêmes conditions matérielles qu'eux: ils avaient des épouses , des concubines , des maîtresses , et ils exerçaient généreusement ,avec alacrité , leurs capacités amoureuses .
L'écriture mésopotamienne est apparemment née de besoins et de nécessités d'économie et d'administration, et toute préoccupation religieuse, ou proprement 'intellectuelle", paraît bien devoir être exclue de ses origines.
ÉPOPÉE GILGAMESH – Traversée du plus vieux poème de l’humanité (France Culture, 1992)
Émission de radio « La Matinée des autres », par Jacqueline Kellen, diffusée le 20 octobre 1992 sur France Culture. Invités : Jean Bottéro, Marguerite Kardos, Florence Malbran-Labat et Pierre Solié.