Elle lisait peu. Un Harlequin de temps à autre. À son école de Sainte-Anne, les religieuses lui avaient pourtant inculqué le goût de la lecture, mais elle s’était vite éloignée des histoires niaises qu’on lui proposait. Quelques récits d’aventures pour enfants lui avaient aussi été prêtés par un voisin. Elle les avait dévorés. Chez les sœurs de Roberval, où elle avait étudié deux ans, elle n’avait jamais laissé passer les romans d’amour aux propos souvent crus qui circulaient sous couvert parmi les filles. Quand, toutefois, ses parents avaient jugé qu’il était temps qu’elle commence à rapporter un salaire, elle avait cessé de voir ses amies, s’était passionnée pour tout sauf la lecture
C’était entre deux mondes que la petite rivière suivait son cours. C’était souvent à cause d’elle qu’ils se toisaient, s’érigeaient en face-à-face, s’ignoraient ou se querellaient puis se rapprochaient et se boudaient à nouveau. Pas assez large, comme le sont les fleuves et les fjords, pour démarquer, dans la paix, de grandes aires propres à chaque rive, elle n’était pas non plus ce petit ruisseau sympathique qui aurait serpenté dans une communauté sans déranger personne. Sa taille entre deux eaux, si on peut dire, la condamnait à séparer, parfois à déchirer.
Et pardonne à la femme amoureuse que je suis de douter parfois, pardonne-moi de penser, à l’occasion, que tu as un peu voulu me quitter en partant pour les Bersimis.
Ce n’est pas que je doute de ta sincérité avec moi. Non, mais j’ai vite saisi que tu es un passionné et, justement, mon Michael, les passionnés, des fois ils changent de passion. Moi je pense être capable de te retenir longtemps dans notre passion parce que tout ce qui est en toi m’intéresse. C’est peut-être pour ça que tu m’aimes… À moins que ça soit pour… autre chose.
Durant plusieurs minutes, le garçon maintenait son attitude inquiétante face à l’eau. Le regard ahuri, il s’approchait de quelques pas, jusqu’ au bord du gouffre. C’est la peur de l’abîme qui alors lui sauvait la vie.
Cette brune aux traits forts, aux épaules musclées et à l’énergie déconcertante est pourtant aux antipodes du modèle féminin dont j’ai toujours rêvé. Jusqu’à aujourd’hui, mes quelques béguins ne me sont arrivés que pour de belles blondes élancées, parfois grassouillettes aussi, mais toujours réservées et de bonne éducation.