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sur 362 notes
Lasse de son existence vide de sens à Montréal, Catherine Day décide de partir à la recherche de ses racines gaspésiennes. Elle est à peine arrivée dans cette petite ville portuaire située sur la Baie des Chaleurs, qu'un corps de femme est repêché par un bateau du coin. L'enquêteur Moralès, venu en ces lieux colmater les brèches de sa vie de quinquagénaire, doit faire face aux dérobades et au silence des gens du cru, peu enclins à faire remonter à la surface, et encore moins pour des étrangers, les vieilles rancunes et les passions cachées qui les unissent autant qu'elles les séparent.


Dans ce lieu oublié du monde en dehors de son classique circuit touristique, la vie se déroule modestement au seul rythme de la mer et de la pêche, comme en un curieux confinement ouvert sur le large, où les passions mijotent en circuit fermé sans pouvoir échapper à l'observation du voisin. Personne n'est dupe au village quant à cette affaire de cadavre qui vient couronner une bien longue histoire, mais pas question bien sûr d'éclairer la lanterne d'intrus, habituellement totalement indifférents aux réalités mornes de ce discret entre-soi. Cette « terre de pauvres qui a juste la mer pour richesse, pis la mer se meurt », est « un pays qui ferme sa gueule pis qui écoeure personne, une contrée de misère que la beauté du large console », à laquelle on « s' accroche comme des hommes de rien », qui, fièrement, ne demandent rien à personne.


Chaque personnage se dessine de manière inénarrable, au gré de dialogues savoureux et vibrants de naturel où chantent l'accent et les expressions de ce terroir québécois. Peu à peu se révèle un bout de terre envoûtant, que son isolement économique soumet encore davantage à l'emprise de la mer, exigeante mais enivrante, parce que « pour les marins, c'est pas le large qui est compliqué, c'est la terre », et que « tu vas en mer parce que t'es en porte-à-faux avec le monde et qu'y'a juste dans le silence du vent que t'es à ta place. » Avec le nombre de vagues comme mesure du temps et, à chaque page, le discours coloré et la sagesse imagée de gens simples, éprouvés par la vie, mais d'une authentique générosité sous leurs abords bourrus, le texte se teinte d'une grande tendresse pour ses personnages, tandis que leur solidarité, dans leur attachement viscéral à la mer et dans leur méfiance face à l'étranger, donne lieu à de magnifiques passages, empreints d'autant d'humour que de poésie.


Un charme irrésistible se dégage de ce roman, où l'enquête policière, en même temps qu'aiguillon à la curiosité, s'avère finalement prétexte à une immersion aussi amusante que poétique en terre gaspésienne.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Saint-Ciboire de Câlisse, quel magnifique polar, maritime et poétique en pleine Gaspésie ! Lorsque mère et mer ne font qu'une…

Une fois n'est pas coutume, je viens d'avoir un coup de coeur pour un roman policier. Les ficelles ne sont pas incroyables, le suspense n'est pas insoutenable, non, là n'est pas l'essence de ce roman canadien, nous pourrions même dire que la trame policière n'est qu'un prétexte. L'essence de ce roman, son sel, se situe dans l'ambiance distillée dont il se dégage un charme poétique totalement envoutant, une nostalgie qui nous berce au rythme des vagues, une tendresse à l'image de la communauté attachante que nous rencontrons, un chavirement provoqué par la beauté des femmes et la puissance tempétueuse de l'amour.

« Dormir entre ciel et mer, entre cent quatre-vingts degrés d'étoiles et cent quatre-vingts degrés de vagues, dans le ventre bruissant de la coque, avec la respiration puissante du vent dans mes voiles ».

Toute l'intrigue tourne autour de Marie Garant (je ne cessais de penser à Marie Galante tant ce personnage féminin est beau et ressemble à une île faite femme), une femme magnifique, une femme charismatique, courageuse, une femme fougueuse, une femme libre, une femme « qui, jadis, avait viré le coeur des hommes à l'envers » à travers tout Caplan, village de Gaspésie. A l'automne de sa vie, elle est retrouvée morte en pleine mer. Simple et stupide accident de bôme comme beaucoup semblent le penser, suicide ou meurtre ? En tout cas ce décès bouleverse tout le monde : les hommes qui l'ont aimée, les femmes qui l'ont détestée, sa fille qui la recherche, les autorités…
Marie Garant, toujours par monts et par vaux à bord de son voilier, le Pilar, était en train de revenir sur Caplan ayant donné rendez-vous à sa fille Catherine qu'elle avait mise en garde légale alors qu'elle était encore nourrisson. Catherine, trente-trois ans, aussi belle que sa mère, se cherche et ce rendez-vous est l'occasion, pense-t-elle, de trouver enfin des réponses quant à l'identité de son père biologique et de connaitre enfin sa mère. En plus de découvrir une femme trop aimée ou mal aimée, la mort de cette mère qu'elle n'aura finalement jamais connue va l'obliger à trouver des réponses autrement.
« Avec l'étrange poème testamentaire qu'elle m'a légué, je récris ce scénario troué dans ma tête ».
Le sergent Moralès, mexicain de Longueuil, homme en pleine crise de la cinquantaine, est mandaté pour enquêter sur la mort de Marie Galant. Alors que son couple bat de l'aile après trente ans de mariage, il ne sera pas toujours très habile, perturbé par ce qu'il traverse. Il découvre tout un monde qu'il ne comprend pas qui semble lui cacher des secrets et va tomber sous le charme de l'insaisissable Catherine. Paumé dans cette enquête il est…
Voilà pour l'intrigue.


Mais là n'est pas le plus important. le plus important réside dans le rôle de la mer, personnage central du récit, et dans les gaspésiens dont l'âme est venue me frôler avec émotion.

Oui, la mer est entremêlée totalement au récit, c'est elle qui décide des destinées, vivante, tempétueuse, poignante, intrépide et capricieuse. Au fil des pages, on sent les odeurs de la mer, ses embruns et son varech, on entend le bruit des vagues, on ressent l'atmosphère de ce petit village, sa situation isolée et miséreuse. La façon de parler de la mer de Roxanne Bouchard est immersive, enveloppante. Elle dote la mer d'un pouvoir d'attraction quasi magnétique.

« Cyrille, il disait que la mer était une courtepointe. Des morceaux de vagues attachés par des fils de soleil. Il disait qu'elle avalait les histoires du monde et les digérait longuement, dans son ventre cobalt, pour n'en renvoyer que des reflets déformés; il disait que les événements des dernières semaines sombreraient lentement dans la pénombre de la mémoire ».

Cette mer à la fois nourricière et tombeau, source de poésie et d'amertume, cette mer qui se vide de ses poissons du fait de la pêche intensive laissant la communauté des pêcheurs dans l'angoisse et la misère.
« La Gaspésie, c'est une terre de pauvres qui a juste la mer pour richesse, pis la mer se meurt. C'est un agrégat de souvenirs, un pays qui ferma sa gueule pis qui écoeure personne, une contrée de misère que la beauté du large console. Pis on s'y accroche comme des hommes de rien. Comme des pêcheurs qui ont besoin d'être consolés ».

Autre aspect central du roman : ses habitants, les Gaspésiens. Les pêcheurs taiseux et rustres au grand coeur, le barman maniéré et grandiloquent, le curé alcoolique, les épouses attentives et jalouses, toute cette communauté m'a touchée. le parler se fait avec l'accent du coin, un accent québécois mâtiné de patois, procédé totalement immersif rendant le récit coloré et tendre, voire drôle.


J'ai terminé le livre le coeur au bord des lèvres, triste de quitter cet endroit et l'âme subtile de ce roman si imprégnée de poésie, d'amour, de mélancolie…J'en voulais encore un peu plus, j'aurais aimé continuer à être bercé par les vagues, par la poésie, par l'âme de ces gens. Je me console en me disant qu'il s'agit du premier tome d'une trilogie. Je vais retrouver d'autres enquêtes de Moralès, La mariée de corail, le second tome, me tend déjà les bras. J'arrive, je plonge découvrir d'autres femmes de mer qu'il est si dangereux d'aimer…

« Tu vas en mer parce que t'es en porte-à-faux avec le monde et qu'y'a juste dans le silence du vent que t'es à ta place »


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À 33 ans, Catherine a l'impression d'être vide. Translucide. A perdu tout enthousiasme. D'autant que sa mère est décédée il y a 15 mois. Si elle s'était jurée de partir de Montréal, de naviguer sur les lacs, de hisser les voiles après le décès de ses parents, elle n'a pas osé le faire. Pourtant, une lettre reçue de Key West, il y a quelques semaines, lui donnait rendez-vous dans un petit village de pêcheurs gaspésien. Sur conseil de son médecin, elle ose enfin et prend la route pour Caplan, dans la Baie-des-Chaleurs. Elle logera chez Guylaine, la meilleure place pour dormir, aux dires de Renaud, le tenancier du bistro. Sa bonhommie et sa jovialité disparaissent presque soudainement dès lors qu'elle lui dit qu'elle cherche Marie Garant...
Joaquin Moralès vient tout juste d'arriver à Caplan. Alors qu'il devait bénéficier de 5 jours avant de prendre son service, sous les ordres de Marlène Forest, sa femme devant arriver peu après, le voilà déjà aux mains d'une enquête : le corps sans vie de Marie Garant a été repêché dans les filets de Vital Bujold...

Dans le petit village gaspésien de Caplan, où les jours, la plupart du temps paisibles, sont rythmés sur le même tempo que celui de la mer, deux visages inconnus viennent soudainement se mêler à ceux plus familiers. Catherine Day, une jeune femme qui a tout quitté pour rencontrer Marie Garant, et Joaquin Moralès, sergent d'origine mexicaine, qui va devoir résoudre l'enquête concernant la mort de cette dernière. Si la thèse de l'accident semble plausible, certains villageois, qui la connaissent bien depuis toutes ces années et ne veulent pourtant guère en parler, n'y croient pas. Car Marie connaissait la mer, savait l'apprivoiser, y trouvait refuge de longues années durant. Tant de mystères, de non-dits planent autour de cette femme, la rendant presque insaisissable, aussi imprévisible, aimée et redoutée que la mer. Autour d'elle, Roxanne Bouchard déroule une galerie de personnages de prime abord taiseux, rudes, burinés par la mer, écorchés par l'amour, mais qui se dévoilent peu à peu et se révèlent chaleureux, bienveillants, profondément humains et au grand coeur. Des personnages que l'auteure dépeint avec une vraie tendresse et un certain respect. de même que cette mer, mystérieuse, et ces paysages gaspésiens si magnifiquement décrits de par cette plume immersive, à la fois poétique et enlevée.
Un roman remarquable, empreint d'émotions, où le silence de la mer, les rendez-vous manqués et les secrets semblent, fatalement, vouloir séparer le coeur des hommes...
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Ha cette Gaspésie!
Ha la mer!
Ha l'amour!
Ha la mort!
Pour moi, magnifique découverte que cette bienveillante autrice, Roxanne Bouchard. Bienveillante oui car dans Nous étions le sel de la mer, j'ai senti un véritable amour de l'autrice pour ses personnages, pour les lieux pour les éléments. Amour qu'elle a su admirablement me transmettre et donc, me procurer un immense plaisir de lecture.
Je ne tenterai pas de résumer l'histoire car tout comme cette Gaspésie, elle est complexe, secrète, cachottière et elle se dérobe dans toute sa splendeur.
Mais comment ne pas sourire de ravissement au fil de la lecture ? Comment ne pas apprécier la poésie des mots? Comment ne pas se sentir tout petit devant cette mer si capricieuse, infinie et mouvante? Impossible.
J'ai tout aimé de cette lecture. Les mots qui font de ces phrases superbes. Les personnages attachants, cocasses et qui deviennent des amis.
L'amour et le respect qui se dégagent d'entre ces pages.
Merci Roxanne Bouchard pour ce magnifique récit. Je lève la main et serai présente aux prochains rendez-vous.
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Je me suis pris à caresser
La mer qui aime les nuages

Paul Eluard

« Y'en a qui arrivent ici pis qui se vantent. Ils friment, ils veulent nous en mettre plein la vue. Il pètent dans la boue. On les appelle les touristes »

Bass, de Bonaventure

« La mer secoue mes images renversées dans le ressac dur et, au bout de mes bras ballants, pendent les alléluias décapités de mes naufrages. »

Marie Garant, de nulle part et de partout sur l'océan

Je ne comprends pas pourquoi je n'ai pas lu ce livre plus tôt. Il est paru en 2014 mais l'édition française date de 2012, aux Editions De l'Aube. Puis en poche, aux mêmes éditions en 2023 où il obtient justement le Prix des lecteurs Quais du Polar.
Je l'avais acheté à ce moment là, puis honteusement négligé.
C'est un très beau livre, tout à la fois polar magnétique, chant marin, poème épique et surtout délicieusement québécois. Pis gaspésien, j'vais vous dire.

L'intrigue convoque la mer, le vent, la désolation des pêches minuscules et des casiers à homards, homards qu'il faut caresser doucement avant de les ébouillanter.
Nous sommes rendus à Caplan où l'on remonte dans des filets le cadavre de Marie Garant. Son bateau est découvert plus loin, au mouillage sur les hauts-fonds du Banc-des-Fous. La bôme pivote, les écoutes de la grand-voile ont été lâchées.
Crime, suicide ou plus surement accident, on ne sait pas ? À l'aube de sa vie, Marie Garant, l'insaisissable, la voyageuse au long cours éprise de liberté, celle qui rendait tous les hommes fous d'amour, Marie Garant (Galante?) donc a donné rendez-vous à sa fille Catherine.
Catherine ressemble follement à sa mère et sa beauté sauvage ravage déjà les coeurs. On sait, grâce à un prologue saisissant, qu'elle et née sur le Pilar, le voilier indomptable de sa mère qui l'a confiée à un couple d'amis infertiles.
Catherine ne connait pas sa mère et ne sait pas qui est son père. Elle se désole à Montréal, en quête de sens et d'un bonhomme, un vrai, solide et sensible.
Alors elle part puis erre sur le port de Caplan et ravage les esprits . Il y a là des personnages forts en gueule et en couleurs : Renaud Boissonneau tient le bar accompagné du curé Leblanc, un grand amérindien veille sur elle, Cyrille le vieux pêcheur malade la prend en confidence, le coroner Robichaud s'active, les jumeaux Langevin ,croque-mort, vendent leurs sentences et enterrent les secrets etc.
Chacun joue à merveille sa partition, dans un registre à la Simenon qui parlerait comme Charlebois.
Que diable vient faire l'inspecteur Moralés dans cette galère rongée par le sel marin. Il a demandé sa mutation en Gaspésie pour sauver son couple mais le cinquantenaire (né au Mexique) débarque dans un environnement hostile. On le balade, on l'embobine. Une chose est sûre : la Marie Garant ne faisait pas l'unanimité.

Ce roman âpre m'a battu l'âme, salé les lèvres et puis les larmes. Hymne aux femmes libres et puissantes, aux navigatrices au grand coeur, aux Antigone de Gaspésie, c'est aussi un immense livre marin. Ici tout vient de la mer et tout est rendu à la mer.
J'ai aimé circuler au sein de cette communauté où l'accent québécois gomme les aspérités, les vielles haines et pis nous prend en tendresse et joie parfois amère.
C'est le premier livre d'une trilogie, déjà disponible chez nos amis du Quebec.

Le vague à l'âme, le yeux lavés, cheveux au vent (mais je suis chauve), je referme ce beau polar rongé de poésie.
Je l'ai logé au fond de mes pupilles, là où il restera longtemps rangé, Saint Ciboire de Câlisse ! Et pis je retournerai en Gaspésie.

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« - J'y m'en vas vous dire : le bar-hôtel de la plage de Caplan ? Y'est brûlé, mam'zelle !
Il a ouvert le lave-vaisselle trop tôt et un violent nuage de vapeur en est sorti. Il l'a refermé d'un coup et s'est tourné vers moi. Il a tendu le cou par-dessus le comptoir. Il voulait mettre son oeil dans la lettre de Key West que j'avais réouverte, question de vérifier l'information, mais je me suis reculée.
[…]
Tout le monde est au courant. Je comprends pas que vous ayez pas vu ça, ça a fait la première page de « L'écho de la baie » ! Y'avait même un reportage spécial avec des pages en couleurs ! L'incendie est probablement criminel, qu'y disent, pis les assurances veulent pas payer […] »

Catherine Day, 33 ans, vient de faire dix heures de route pour se retrouver dans ce trou perdu, ce petit port pêche de la Gaspésie, pour se rendre à un rendez-vous fixé par une lettre deux mois plus tôt.

« Il a rouvert le lave-vaisselle qui fulminait encore, en se tenant à bonne distance. Il a attrapé un linge carreauté rouge, comme un dompteur de cirque, il s'est mis à fouetter la vapeur. Puis, il a pointé un menton de fierté locale vers une grande maison, juste à l'est du café. Accoudée à la falaise, elle observe la mer d'un oeil tranquille. Une charmante auberge aux mains ouvertes ».
[…]
« - Si vous cherchez quelqu'un d'ici, je peux sûrement vous aider… ».

Catherine hésite : « J'ignorais encore comment parler de cette femme. Elle avait toujours été imprononçable, et voilà que, du jour ou lendemain, je devais dire son nom d'une manière détachée. Fallait-il le tourner sept fois autour de ma langue, le rouler dans ma bouche comme un vin rare ou le concasser avec les molaires, pour l'attendrir ? ».
[…]
- Marie Garant… Vous la connaissez ?
Il a reculé d'un pas. Son visage allumé s'est éteint comme la flamme d'une chandelle soufflée brusquement. Il m'a détaillée, attentif et suspicieux.
- C'est une amie à vous ?
- Non. A vrai dire, je la connais pas…
Il a repris le verre, qu'il s'est mis à frotter de bon coeur.
- Ouf ! Ben, j'ai eu peur ! Parce que j'm'en vas vous dire que Marie Garant, c'est pas une femme qu'on aime, surtout qu'à votre place, comme touriste, j'en parlerais pas trop trop parce que ça vous donnera pas des amis vite vite… ». (p.22-3)

Nous sommes dans le café de Renaud Boissonneau, situé dans l'ancien presbytère. Bientôt, nous allons faire connaissance des autres personnages avec leurs signes distinctifs, tics de langage et traits grossiers.

Renaud Boissoneau, il est vêtu d'un tablier neuf avec l'inscription AIDE-CUISINIER en lettres brodées et coiffé d'un « petit chapeau idiot ». Il ne cesse de répéter : « Je m'en vas vous dire rien qu'une affaire ».

Voici le premier marin qui arrive, c'est Vital Bujold surnommé « Saint-Ciboire de Câlisse », en raison de ce juron qu'il a toujours au bout de la langue. Il est accompagné de son aide-pêcheur, Victor Ferlatte, dont le discours est facilement reconnaissable parce qu'il bégaie.

C'est le tour de Jérémie, le grand Amérindien.

Le lendemain, nous allons rencontrer un personnage clé, le marin Cyrille Bernard, celui qui ponctue ses phrases par « hiiii », et aussi, le curé, toujours bourré, qui a deux paroisses, l'église et le bistro.

C'est plus tard qu'intervient, Joaquin Moralès, l'enquêteur.

Je ne vais pas vous présenter tout le monde ! Je vous donne juste un échantillon des personnages hauts en couleur qui habitent Nous étions le sel de la mer.

Tout le monde s'interroge, sur ce qu'est venue faire cette belle touriste en Gaspésie.

« - Je ne suis pas sûre de m'intéresser aux activités touristiques, mais j'ai peur de trouver le temps long…
Les hommes ont ri, comme si j'avais manqué une marche d'escalier avec des talons hauts.
-Saint-Ciboire de Câlisse !... Y'a juste ça, en Gaspésie, du temps long ! » (p.30)

Le temps est particulier. Il se mesure en nombre de vagues. Les saisons se nomment en fonction de la pêche : « le retour du tourteau » …

« Long » mais pas calme.

Catherine se sent tout de suite bien avec ces marins et accepte de partir à la pêche avec eux, mais le destin en décidera autrement. Ce matin même, le cadavre de Marie Garant est ramené dans les filets de Vital Bujold.

La mort de Marie Garant est-ce un accident ou un crime ?
Quel est le lien entre Marie Garant et Catherine ?
Pourquoi Marie Garant c'est la loi de l'omerta ?
Pourquoi Catherine a démissionné de son travail pour venir en Gaspésie ?
Que recherche-t-elle ?

Nous allons plonger dans les secrets des uns et des autres, et de rebondissement en rebondissement, les pièces du puzzle vont se mettre en place.

Le fil rouge c'est là mère et la mer, mais j'en ai trop dit…

Le récit est majoritairement en « je » (Catherine), mais intercale des passages en italique et des moments où le narrateur est extérieur, ce qui nous permet d'avoir accès aux pensées des autres personnages, et aussi d'avoir des informations sur leurs histoires. L'intrigue se passe en 2007 mais il y a des flash-backs en 1974. C'est rondement mené.

Roxane Bouchard réussit magistralement à rendre son roman vivant. Je me suis très vite faite aux tournures de langage québécoises, avec ces expressions pittoresques comme « ça dort en cuillère », « on s'en va jaser », « passer le moulinet à gauche » … J'ai vraiment eu l'impression d'être en Gaspésie, aux côtés de Catherine. C'est un langage savoureux et une belle écriture.

À noter les magnifiques passages sur la mer (à découvrir en citations).

Il m'a mis du baume dans le coeur, après quelques lectures difficiles comme « Triste Tigre » et « L'enragé ».

Je remercie chaleureusement ma nouvelle Babelamie Chrystèle, @hordeducontrevent, à qui je dois ce chouette voyage.
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La mer est belle, la mer est cruelle, elle donne et elle prend, elle cache aussi bien des secrets.

Pour combler le vide de sa vie, elle part à la recherche de ses racines gaspésiennes. Mais ce ne sont pas des racines qu'on peut y trouver, plutôt des amarres pour y rester ou des boussoles pour nous entraîner vers le large.

Un policier quinquagénaire tente aussi de rebâtir sa vie au bord de cet océan, mais s'il connait bien son métier d'enquêteur, il doit apprendre ce pays pour démêler les filets qui relient entre eux les habitants du village, les rancunes d'autrefois, les amours de toujours.

Une intrigue policière poétique, dans une histoire d'amour de la mère et des vagues, pour sentir l'air salin de ce côté de l'Atlantique…
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« Y' en a qui arrive ici pis qui se vantent. Ils friment, ils veulent nous en mettre plein la vue. Ils pètent de la broue. On les appelle les touristes » Bass de Bonaventure.
Catherine Day est justement une touriste même si Renaud qui tient le bistro de Caplan l'appelle la belle belle touriste. Elle s'installe dans une pension, celle de Guylaine, passe du temps chez Renaud ou au café du Havre, n'ose pas trop poser de questions sur Marie Garant, la raison de sa présence en Gaspésie, car les visages se ferment quand ce nom est prononcé…
Les gens de Caplan calent leur vie sur le rythme de la mer, sur le rythme de la pêche, calent les pauses de leurs conversations sur le rythme des vagues…
Et quand le corps d'une femme est repêché, ce qui n'est pas coutumier car les noyés de Caplan sont en principe emportés au large, le sergent Moralès qui vient de prendre son nouveau poste est chargé de l'affaire. Confronté à des difficultés personnelles, aux silences des Gaspésiens dont il devine les non-dits, envouté par la beauté de Catherine, il se devra percer à jour des ressentiments anciens pour résoudre l'énigme.
L'enquête est lente comme la houle qui va et vient sur la grève. Je me demande même si elle n'est pas un prétexte pour évoquer la mer avec une poésie envoutante, pour parler de ces habitants de Gaspésie.
Les images pour parler de la mer sont juste magnifiques.
« Cyrille, il disait que la mer était une courtepointe. Des morceaux de vagues attachés par des fils de soleil. Il disait qu'elle avalait les histoires du monde et les digérait longuement, dans son ventre cobalt pour n'en renvoyer que des reflets déformés ; il disait que les évènements de ces dernières semaines sombreraient lentement dans la pénombre de la mémoire. »
La langue chantante, inventive du Canada francophone est délicieuse.
- Saint Ciboire de câlisse ! …. Y a juste ça en Gaspésie, du temps long !
- C'est si plate que ça ?
- Plate, non. C'est autrement. La Gaspésie c'est un temps arrêté, une terre qui bouge pu. Si tu veux rester à Caplan, va falloir que t'apprenne à rester immobile.
Et les personnages… Cyrille bien sûr mais aussi Renaud, Vital, le géant Jérémie, Yves Carle, le curé..… Ces hommes qui se connaissent tous depuis si longtemps, qui nombreux ont aimé la même femme , belle, insaisissable, trop éprise de liberté, de la mer et qu'ils auraient tant voulu conquérir pour mieux la garder.
Merci à Roxanne Bouchard pour ce portrait de cette région et de ses habitants qui m'a tant séduite que je me verrais bien y faire un petit séjour de quelques jours, quelques semaines…
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« On vit et on meurt en mer parce qu'on est fait pour l'horizon ».

Qui était Marie Garant, cette femme retrouvée morte noyée au large des côtes de la Baie-des-Chaleurs, en Gaspésie ? Elle qui n'a cessé toute sa vie de partir seule en mer et de revenir sans prévenir, parcourant la plage comme une folle en tapant dans le varech et se saoulant chaque soir ?

C'est sur les traces de son énigmatique mère qui l'a abandonnée à sa naissance que Catherine débarque dans ce village de pêcheurs, à la fois bavards et débridés, mais fermés et taiseux lorsqu'il s'agit d'évoquer le passé et ses drames.

Car à l'exception de Catherine et de l'inspecteur Morales, les deux horsains, tout le monde semble se satisfaire de la thèse du banal accident en mer pour expliquer la mort de Marie. Mais Marie et la mer, c'était une telle histoire d'amour qu'on ne peut imaginer une issue aussi banale.

Dans Nous étions le sel de la mer, Roxanne Bouchard réussit un parfait polar d'atmosphère, aux personnages tous plus haut en couleurs – et en gueule ! – les uns que les autres. Dans un style attachant, dynamique et enlevé, elle distille ci-et-là ses petites expressions québécoises, délice de lecture supplémentaire.

Mais son vrai sujet, c'est la mer et la fascination que lui portent celles et ceux qui sont nés et vivent à côté d'elle. Une fascination et un attachement qui ne s'expliquent pas ; des liens sanguins qui ne se défont généralement pas. « Nos vraies amarres, Catherine, elles sont pas faites en nylon. Elles sont pas largables. »

C'est toute la beauté et la singularité de ce livre, qui te prend et t'embarque pour une parenthèse polardo-poétique, belle et fraîche risée littéraire dans mes lectures sombres du moment. On en redemande !

« La mer, c'est pas un choix, Catherine (…) On va en mer parce que c'est la seule porte qui s'ouvre quand tu sonnes, parce que ça te réveille la nuit, Catherine. Chaque fois que t'accostes, que t'entres dans la foule, tu sens ta différence. Tu te sens étranger. Tu vas en mer parce que t'es en porte-à-faux avec le monde et qu'y a juste dans le silence du vent que t'es à ta place. »
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ÉNORME coup de coeur pour ce roman écrit par la plume de Roxanne Bouchard. Je l'ai lu d'une traite... la plume est sublime, poétique, rempli de fougue, de houle, de fébrilité... Ça se lit comme on regarde la mer ; avec les yeux remplis du grandiose, du merveilleux, du plus grand que soi. Je n'ai d'autre mot pour décrire ce roman que majestueux. Ce bouquin mérite amplement la note qu'il lui est accordé sur le site. La demi-étoile qui lui manque pour une note parfait est juste parce que ce ne fut pas assez long... mais sinon, tout était parfait. Je ne peux qu'en conseiller la lecture.
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