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Critique de CeCedille


En analysant une fresque de la salle de la Paix du Palazzo Pubblico de Sienne, Patrick Boucheron emporte son lecteur dans l'Italie du XIVème siècle. Sienne,ville prospère, est alors gouvernée par ses marchands. Une junte de neuf personnes dirige la ville, durant une période aussi longue que celle de notre troisième république (1287 -1355). La période est agitée qui oppose guelfes et gibelins. Il faut convaincre le peuple des bienfaits de la Paix. La junte est bienveillante et didactique. Ce ne sont pas Les Onze imaginés par Michon, soucieux seulement de leur gloire, car les neuf n'apparaissent pas dans la fresque édifiante commandée à Ambrogio Lorenzetti et à son atelier. La salle du palais communal est décorée durant l'année 1338 sur trois de ses murs avec comme sujet : Les Effets du bon et du mauvais gouvernement, illustrés par l'exemple.

La publicité politique est inventée, bien avant la réclame pour l'huile céphalique de César Birotteau. Sur un mur, la paix, la prospérité de la ville où s'activent les artisans, la richesse de la campagne où montent les récoltes. Sur le mur d'en face la guerre, ruine et désolation, champs ravagés, habitations détruites. le tout sous le patronage tutélaire des vertus théologales (Foi, Charité et Espérance), cardinales (Force, Prudence, Tempérance et Justice), et autres allégories : la Paix, la Force, mais aussi les maléfiques Tyrannia qui emprisonne la Justice à ses pieds, Avaritia aux ailes de chauve-souris, Superbia, à l'épée dégainée, Vanagloria, la Vanité au miroir et Misère, avec son escorte d'Abus, de Destruction et de Famine.

Patrick Boucheron est un guide passionnant. Il fait revivre la fresque à travers les prédications de Bernardin de Sienne en 1427. Il met Lorenzetti à sa juste place : " En devenant théoricien de son art, le peintre accède à la dignité de l'intellectuel" (p. 70). Son discours doit être pesé au trébuchet, en évitant les rapprochement anachroniques, si tentants. Toutes les interprétations du tableau sont passées au tamis de son érudition.

Dans cette apologie sur la dégénérescence des régimes est en cause moins la peur de la tyrannie que de la séduction seigneuriale (p.231). La lecture du tableau est aussi un cours d'histoire des idées politiques dans l'Italie du trecento, où défilent Marsile de Padoue, Aristote, Cicéron, Saint Thomas, Pétrarque, Dante, Machiavel.

Machiavel, justement, selon lequel les bonnes lois ne naissent pas d'un gouvernement vertueux, mais de l'opposition entre les humeurs des grands et celles des démunis, "car jamais les États ne s'ordonneront sans danger" (p.60).

"Sienne est alors la capitale de l'art politique, ou plus précisément de la politisation de l'art" observe Patrick Boucheron (p. 26). Mais le 25 mars 1359, c'est la chute le gouvernement des neuf. Leurs archives sont brûlées et la fresque en réchappe de justesse. Dans l'été 1348, la peste noire s'abat sur Sienne, tuant plus de la moité des habitants, dont Ambroggio Lorenzetti et les peintres de son école.

Reste la peinture que l'on ne pourra plus regarder sans le livre de Boucheron à proximité. "Une image est transformée par la longue histoire des regards qui se sont portés sur elle" (p.49).
Lien : http://diacritiques.blogspot..
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