Imaginez une cour créée de toutes pièces, une société polie de jeunes seigneurs et de belles filles succédant à la maison pleine de sévérité et de pruderie de la reine Anne de Bretagne, quelque chose comme une envolée joyeuse d'amourettes et d'adolescences laissées la bride sur le col, encouragées même par le nouveau maître, c'est, à ne rien exagérer, l'abbaye de Thélème, la cour du roi François P'' de Valois-Angoulême. Et parmi ces têtes folles, les nouveaux venus des lettres et des arts, poètes diseurs de riens charmants, peintres accourus d'Italie, dessinateurs descendus des Flandres, qui ne chômeront point dans le brouhaha des fêtes; ceux-là occupés à chanter les déesses du jour sur le rythme doux des odes latines ou françaises, ceux-ci chargés de les peindre dans leurs allégories décoratives, d'autres désignés pour en conserver les traits dans des esquisses rapides.
Et bientôt l'envie naîtra, chez « un chacun » de garder par devers soi
les visages charmants dont tout le monde parle ; les provinciaux exilés, les
heureux même vivant à la pleine lumière de la cour, tiendront à honneur
de former des cahiers où le peintre favori jettera ses croquis. Pastels
légers, périssables, œuvres à peine caressées, surprises à la hâte dans une
cérémonie, parfois copiées sur d'autres plus anciennes, embellissant ou déformant le modèle, tous ces crayons, comme on disait, se répandirent
à travers le monde.
Les artistes nous les ont gardées ainsi et montrées telles quelles dans leurs atours sans y rien changer. Au temps du roi François, c'est Jean Glouet le père, dit Janet, c'est Pierre Foulon, c'est le vieux Robinet qui nous décrivent leurs épaules arrondies, leurs bonnes figures françaises un peu communes, leurs bouches épaisses et leurs nez retroussés.