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Critique de Levant


"Heureux mortel. Quand tu me liras, je ne serai plus."

C'est par ces mots de Joachim Martin que peut commencer cette histoire. Si elle n'est pas extraordinaire, elle est peu banale et très prenante. On est toujours quelque part un peu voyeur, c'est une histoire vraie que j'ai avalée comme un élixir de jouvence. Celui que peut nous distiller le conteur d'une tranche de vie provinciale de la haute Provence du XIXème siècle. Des événements de la petite histoire qu'avec cet ouvrage Jacques-Olivier Boudon raccroche à la grande. Les faits n'existant pas à l'état isolé.

Tout commence lorsque des travaux de rénovation exécutés dans le château de Picomtal, commune de Crots jouxtant Embrun dans les Hautes Alpes, mettent au jour les écrits que l'artisan menuisier, qui avait fait les mêmes travaux de rénovation du plancher cent vingt ans plus tôt, a laissés à notre attention, lecteurs d'un temps futur.

Les lames du plancher qu'il a construit comportent en effet la transcription de propos dont il était sûr qu'ils ne pourraient souffrir ni de contradiction ni de censure, puisque destinés à être découverts en un temps où les protagonistes de son récit ne sauraient être inquiétés par les révélations, parfois sous forme de dénonciations. Combien de pas ont fait grincer les lames de parquet en ignorant qu'ils marchaient sur des confidences, qui elles feraient peut-être grincer des dents ?

Lorsque Jacques-Olivier Boudon apprend de façon fortuite la découverte, quelques années après qu'elle se fût produite, il s'empare du sujet et décide de donner à l'intention initiale de l'auteur de ces écrits une dimension que ce dernier n'eût à coup sûr jamais osé espérer.

En effet, conservée par les propriétaires actuels du château de Picomtal, et offerte aux visiteurs occasionnels, cette découverte aurait pu être cantonnée au sort anecdotique de trouvaille insolite. Mais, livrée à la sagacité de l'éminent historien, cette tranche de vie de Joachim Martin, modeste artisan menuisier, renoue avec l'histoire. Jacques-Olivier Boudon nous confie ainsi un ouvrage dans lequel on identifie parfaitement l'énorme travail de recherche auquel il s'est adonné pour replacer les propos du menuisier dans le contexte social, économique et politique de la fin du XIXème siècle. Celui qui comme moi a une appétence particulière pour l'histoire des simples ballotés par celle des grands sera comblé d'aise.

Le piquant de l'affaire étant l'intention de l'auteur premier, assortie de la précaution qu'il a mise en oeuvre pour s'octroyer la liberté d'ouvrir son coeur, ce qui pourrait se voir qualifier de comédie de moeurs offre un éclairage supplémentaire sur les mutations opérées dans les mentalités au sortir du second empire, alors que notre pays s'ancre dans la république, que le train pose ses rails dans les vallées alpines et que la religion perd son statut d'état. Les prêtres étaient aussi, on le sait, forcément bien placés pour animer les querelles de clocher. On découvre en outre, vieux comme le monde, des sujets que l'on croit nouveaux de nos jours. On ne refait pas le monde, il n'y a jamais que la vitesse qui change.

J'imagine que Jacques-Olivier Boudon reste à l'affût de tous travaux de rénovation qui pourraient intervenir sur d'autres anciens chantiers connus de Joachim Martin. le mutisme étant souverain ferment de toutes les rancoeurs, gageons que notre menuisier aura pu, sous d'autres lames de parquet de la région, soulager son coeur d'obsessions qui le tenaillaient. On n'omettra pas non plus le côté croustillant de certaines révélations qui, c'est le moins que l'on puisse dire, ne sont pas colportée de langue de bois.
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