« D'un raz-de-marée qui les a jetés là
Marins des trottoirs sans port ni belles histoires
Les seuls embruns sur leur visage
Sont ceux du dédain sur leur passage »
Mano Solo
Après avoir découvert «
Rodden Eiland » qui proposait une très intéressante réflexion sur la société, la démocratie, je retrouve le style inimitable de Bouffanges dans ce nouveau récit à la fois sérieux et humoristique.
A première vue, cette histoire de
zombies est très éloignée de mes lectures habituelles et de ma zone confort, mais ce récit emprunte d'autres chemins qui ne me sont pas inconnus. En effet, il s'écarte des schémas classiques du genre pour proposer une réflexion autour de la place des réfugiés dans notre société.
Ce n'est donc pas dans ce roman que vous trouverez des pages ruisselantes de sang dans lesquelles l'espèce humaine vit ses dernières heures, où les survivants luttent face à des hordes déchaînées de morts-vivants.
Dans «
Zombies », l'auteur inverse les rôles et les
zombies sont des personnes défuntes, autrefois aimées et respectées, qui se réveillent dans leur corps mort, en décomposition. Bien entendu, elles ont les grandes caractéristiques des morts vivants : absence d'activités cardio-respiratoires, absence d'interaction sociale et d'échanges.
J'aurais dû les trouver repoussantes mais j'ai eu, au contraire, de l'empathie pour ces
zombies, ces rescapés qui se retrouvent propulser dans un monde qui n'est plus le leur, qui ne veut plus d'eux et les rejette.
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Le récit débute lorsqu'une première femme revient à la vie alors qu'elle était enterrée depuis trois jours dans le caveau familial.
« La façon dont la septuagénaire est parvenue à s'extraire de son cercueil, puis à refouler la terre qui l'ensevelissait reste un mystère. On ne peut toutefois s'empêcher de songer à son calvaire si elle avait été inhumée dans un caveau lourdement fermé de marbre. »
Et puis, d'autres morts se mettent à sortir de leur tombe et ce qui au départ était vécu comme un miracle devient très vite un problème majeur. Et puis, ce sont des milliers de morts qui reviennent à la vie.
Que faire des tous ces morts-vivants qui mangent comme quatre, qui se décomposent et encombrent les hôpitaux par la nécessité de soins ?
« Elle pensa au calvaire que serait maintenant la vie de sa patiente. Elle serait mise à l'écart, utilisée à des fins scientifiques comme un vulgaire rat de laboratoire, pour servir de méprisables ambitions personnelles. »
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Dès les premières pages, puisant dans les faits réels que l'on reconnaît sans mal, Bouffanges installe une atmosphère remarquablement addictive, teintée d'un humour ironique et noir.
Dans une succession de chapitres courts et rythmés, Bouffanges mélange avec fluidité, tranches de vie, faits divers relayés par différents médias, rapports scientifiques, réunions de service entre médecins, réunions de crise au gouvernement, … mettant en scène tous les acteurs de ce drame, politiciens, syndicalistes, médecins, religieux, familles des défunts, réseaux sociaux, …
Chacun y va de ses idées pour régler ce regrettable problème qui devient très vite une crise humanitaire, sanitaire, économique et politique.
Bouffanges se livre ainsi à une reconstitution de cette crise majeure en tenant compte des pensées, des réactions, des prises de décisions de toutes les parties prenantes. L'auteur se joue des prétentions, de l'hypocrisie, de l'arrivisme, du manque d'humanité de tout ce petit monde.
Leurs paroles m'ont fait sourire, d'un sourire un peu désabusé tellement elles ont été dites et redites lors de discours ou d'émissions télévisées, tellement ces mots sont creux, ne laissant parler que l'égo et la suffisance de ces hommes avides de belles paroles et de bons mots.
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« L'homme est capable du meilleur comme du pire, mais c'est vraiment dans le pire qu'il est le meilleur. »
Corbin
Dans ce récit, les hommes, pour assouvir leurs ambitions mesquines, sont capables des pires travers. Ils font preuve d'intolérance, de médiocrité, d'hypocrisie, d'indécence, de malhonnêteté, d'immoralité face à ces personnes vulnérables, mutiques qui n'ont pas les mots pour se défendre, allant jusqu'à les déshumaniser, violer leurs droits car plus tout à fait humaines.
La fin m'a plu, comme si, parfois, le destin se mêlait du sort des hommes et renvoyait l'ascenseur !
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En rendant hommage à « À tous les morts-vivants de Méditerranée », l'auteur aborde les questions relatives aux crises migratoires, au statut des réfugiés, à leur protection et leur intégration dans la société.
Il interroge également sur les notions de responsabilités individuelles et collectives, de même que leurs implications tant éthiques que morales.
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Pour conclure, Bouffanges propose, avec ce récit court et sans temps mort, une lecture originale qui renouvelle le mythe des
zombies. Elle échappe au cliché des morts vivants pour embrasser des problématiques sociétales d'aujourd'hui.
En refermant ce livre, je me suis demandée si, en définitive, les
zombies n'étaient pas nous-mêmes, des individus de plus en plus égocentriques, individualistes, ultra-connectés mais incapable de voir la détresse et la misère devant nos yeux.
Ce très bon roman est à découvrir. Pour ma part, je ne manquerai pas de poursuivre avec
Calamity Zombie.
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Un grand merci à tous mes ami.es, NicolaK, Yaena, Elea, Bernard, Patrick qui ont su trouver les mots pour me faire venir dans leur univers.