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EAN : 9782494062030
256 pages
Editions Fugue (06/01/2023)
4.12/5   81 notes
Résumé :
Certains ont des amis imaginaires ; d’autres, des tyrans intérieurs. Celui de Thelma s’appelle l’Entraîneur. Il règne sur son quotidien, lui enjoint de compter les calories et lui impose une discipline de fer. Soumise à sa loi, la lycéenne épuise son entourage et flirte avec l’abîme. Mais avec l’appui de son amie Violette, une issue se dessine : du marathon ou de la séduction de son professeur de sport, quel projet déraisonnable saura la tirer des griffes de l’Entra... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
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Thelma, c'est une lycéenne, brillante élève, née au sein d'une famille aimante de la petite bourgeoisie, une adolescente presque comme les autres si ce n'est qu'elle est anorexique et que sa vie est régentée par un tyran intérieur surnommé l'Entraîneur, un mirage qui la soumet à ses strictes lois du matin au soir.

« Thelma elle-même a été la spectatrice complaisante d'un putsch sur son cerveau. Un tiers s'est emparé des manettes. Par curiosité, pour voir, le peuple a ouvert les grilles. Une force insaisissable s'est mise à traquer tous ses faits et gestes. Ne craque pas, n'avale pas cette merde, ne les écoute pas, cours plus vite, encore cinquante squats, ne t'arrête pas si tôt, dépasse la douleur, bats-toi pour ton futur, ne gâche pas tout. Un despote éclairé, un Entraîneur dur mais juste oeuvre à son avenir. Un brillant avenir ! C'est un homme. Une femme ne déploierait pas pour elle une telle dévotion, et Thelma serait moins sensible à son aura. Et puis, d'une voix et d'une volonté féminine, elle pourrait bien ne plus se dissocier. Les exigences de l'Entraîneur régissent, depuis dix-huit mois, la vie de Thelma. de manière aussi imperceptible qu'inexorable, le nombre de lois à respecter s'est accru. Aucune contrainte, prise isolément, n'apparaît insurmontable ; aucun refus n'est recevable. (…) Elle peine à mesurer sa transformation physique, car elle ne la ressent pas. Intellectuellement, elle en accepte les preuves matérielles, un chiffre sur une balance ou une taille de vêtement, mais en elle quelque chose d'irréductible, de têtu, d'inaccessible à la raison, refuse de s'approprier ce que démentent aussi catégoriquement ses sens. »

J'ai peu lu sur l'anorexie mentale, je n'ai aucune connaissance autre que ce que l'on peut voir passer dans des reportages, mais tout au long de cette lecture prenante et saisissante, j'ai trouvé que Caroline Bouffault avait le talent de rendre intelligible les rouages de cette maladie sans en donner une vision désespérée, ni chercher à tout surexpliquer ni tout sur-psychologiser. Elle garde le mystère sur les origines de l'anorexie que tout le monde veut expliquer, des parents aux experts médicaux.

Par contre, le récit se fait organique et physique grâce à une écriture très sensorielle qui sait dire le corps qui souffre, la psyché qui lutte ou abandonne lorsqu'il est plus facile de se laisser guider par l'Entraîneur et de se reposer. Tout l'enjeu de ce roman initiatique est de suivre Thelma au plus près de son quotidien pour découvrir si et comment elle pourrait se défaire de l'Entraîneur, Thelma concevant lees projets fous de courir un marathon ou de séduire son professeur d'EPS, autant de voies imaginées possibles pour sortir de l'anorexie.

Thelma est un personnage marquant, à la densité d'être exceptionnelle. Sa présence solaire, son énergique détermination et son intelligence vive électrisent le récit. D'autant plus que Caroline Bouffault fait le choix de la présenter avant tout comme une adolescente plutôt qu'entièrement caractérisée par son anorexie qui n'apparaît plus que comme un accélérateur de particules dans cette période charnière qu'est l'adolescence : rapport au corps, amitié forte, éveil à la sexualité, construction d'une identité encore incertaine, regard des autres et insertion dans un groupe social. L'autrice excelle à décrire la grâce, la rage et la désinvolture de l'adolescence à travers la lutte acharnée de Thelma contre elle-même et le monde entier. Avec une certaine drôlerie aussi, juste la touche qu'il faut pour désamorcer pertinemment la tragédie de la maladie. Avec crudité aussi, l'adolescence, ce n'est pas toujours simple surtout avec l'anorexie en amplificateur des émotions.

Thelma est le soleil de ce récit héliocentrique. L'autrice s'en écarte parfois pour sonder l'impact de sa maladie sur sa famille, tellement désemparée qu'elle est prête à abandonner tout sens commun. Ces passages sont attendus tant la trajectoire de Thelma s'entrechoque avec son entourage, mais ils sont assez convenus et banals, notamment l'adultère très cliché d'un des parents qui n'apporte rien à l'intrigue, ni en termes d'avancée, de résolution ou de densité romanesque. Dès que le récit revient sur Thelma ou sa formidable amie Violette qui, elle, ne juge jamais son amie, ne lui parle jamais d'anorexie, ne la sermonne pas ou ne lui ordonne rien, on retrouve toute la singularité du regard de Caroline Bouffault empli de sensibilité et d'empathie pour nous baigner dans ces voix adolescentes.
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Tu es cette petite brindille, qui attire les regards, entre fascination et répulsion, depuis que tu as décidé de prendre le contrôle sur ce corps que tu méprises. Les restrictions de plus en plus sévères ont fait de toi cette silhouette fantomatique qui semble cependant animée d'une énergie dévorante.

Vous les subissez vous aussi, ces regard, accusateurs, quelle mère est-on si l'on n'est pas capable de nourrir son enfant. de la provocation au dépit, les repas familiaux sont devenus des épreuves.

Alors vous, monsieur, un peu débarqué de ce combat, vous allez chercher ailleurs la preuve que vous existez encore.

Le drame familial qu'est l'irruption d'une anorexie mentale, ou d'un quelconque autre trouble du comportement alimentaire est très bien saisi dans ce roman, qui donnera parole aux différents protagonistes, permettant au lecteur de s'immiscer dans l'intimité de chaque personnage.

Un événement particulier autour duquel se construit l'intrigue permet au récit de se distinguer de ce qui pourrait être un reportage scientifique.

Beaucoup d'humanité, sans jugement, pour ce sujet difficile. Thelma ne peut manquer de séduire nombre de lecteurs.


256 pages Fugue 6 janvier 2023

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Le bon et le mauvais entraîneur

Thelma est anorexique et il semble bien que son entourage soit impuissant à la sortir de cette spirale infernale. Pour son premier roman, Caroline Bouffault a choisi un sujet délicat, mais réussit, avec justesse et humour à embarquer son lecteur.

C'est une famille sans histoire, ou presque. le père est prof de math, la mère dirige une entreprise de meubles. Leurs deux filles suivent leur parcours scolaire sans difficulté majeure. Billie a six ans, alors que Thelma se frotte aux tourments de l'adolescence. Personne ne sait trop pourquoi, mais elle souffre d'anorexie. À quinze ans, cela fait déjà de longs mois qu'elle refuse de se nourrir correctement et qu'elle soumet son corps au supplice que lui impose son Entraîneur (c'est ainsi qu'elle nomme cette voix qui la met au supplice et définit les lois qu'elle doit respecter et qui sont de plus en plus dures.
Maintenant qu'elle pèse à peine 41 kilos, son entourage commence à s'affoler. Elle se rend chaque semaine chez le médecin pour vérifier sa courbe de poids, est suivie par un psy et ses parents essaient de l'encourager de leur mieux. Mais rien n'y fait. Tout au contraire, des dissensions vont se faire jour au sein de la famille. Si sa soeur ne comprend pas pourquoi Thelma n'est pas «normale», son père préfère minimiser et sa mère devient irritable. Toute sortie au restaurant est vécue comme une épreuve.
Violette, sa meilleure amie, croit avoir trouvé un bon plan. Il faut qu'elle couche avec un garçon pour ne plus figurer sur la liste des filles hors-catégorie dans le palmarès des plus baisables qui circule en classe. Et pour faire bonne mesure, un adulte serait le partenaire idéal.
Comme le prof de sport semble apprécier Thelma, c'est sur lui qu'elle décide de miser. Mais le chemin est long, d'autant qu'il n'est pas question pour l'enseignant de se compromettre avec l'une de ses élèves. Ce qui va toutefois changer la donne, c'est le désarroi des parents. Quand Violette leur explique que Thelma n'est pas insensible aux charmes de ce bel athlète, ils vont tout simplement lui demander son aide. «Ce ne serait pas la première fois qu'une approche originale réussirait là où échouent les thérapies classiques. Il a lu que la question de la confiance en soi est centrale dans l'anorexie. Quel meilleur traitement que le sport en compétition pour gagner en assurance? En toute humilité, Guillaume est assez sûr de son coup.» Réussira-t-il dans son entreprise? C'est tout l'enjeu de la seconde partie du livre.
Caroline Bouffault affiche une belle maîtrise pour un premier roman. D'une écriture qui sonne toujours juste, empathique avec une pointe d'humour, elle réussit à nous faire partager le combat de Thelma. Sans doute parce qu'il s'appuie sur du vécu. Saluons donc tout à la fois la primo-romancière et les éditions Fugue, dont c'est l'un des premiers ouvrages publiés.


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Merci à Babelio pour cette masse critique ainsi qu'aux Éditions Fugue de m'avoir permis de découvrir ce premier roman.
J'adore les premiers romans et découvrir de nouveaux auteurs. Ce roman est paru dans une toute nouvelle maison d'édition et je pense suivre leur future sortie de roman.
Thelma est une adolescente de quatorze ans, jusqu'à présent, elle reflétait la joie de vivre et depuis peu, elle est plus renfermée. Elle souffre d'anorexie et elle a un entraîneur avec qui elle en parle.
Est-ce bien de faire cela ou de manger ainsi ?
Pleins de questions que se pose Thelma et personne avec qui partager ses doutes, ses ambitions, son combat de la vie.
Comme les jeunes de son âge, Thelma a une amie qui s'appelle Violette et qui la soutient sans jamais la juger, ni parler de son anorexie. C'est ce que Thelma apprécie chez elle. Ses parents essaient de la comprendre mais insistent un peu de trop. Ils sont inquiets.
Le vendredi, avec le prof de gymnastique, les élèves pratiquent le rugby. Ces séances font du bien à Thelma, tant psychologiquement que physiquement.
En dehors, elle est suivie par un psychologue et un médecin car il ne faut pas qu'elle descende au-dessous d'un certain poids.
Bien que le sujet traité soit assez grave, il y a beaucoup de dérision et de joie de vivre dans ce livre.
Thelma s'en sortira-t-elle ?
Un premier roman très bien construit avec un style fluide et des chapitres courts qui permettent une lecture rapide.
Le personnage de Thelma est très attachante et celle-ci fait preuve de ténacité. C'est une adolescente avec des problèmes de son âge. Elle est énergique, lucide, combattive et déterminée. Elle mène un beau combat contre l'entraîneur.
Un roman qui nous fait réfléchir sur notre existence, nos doutes, nos combats et la ténacité pour réussir et nous procurer un vrai désir de vivre.
Une auteure à suivre.
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« Thelma » l'adolescence aux abois. Moment clé de l'existence, l'évidence des métamorphoses.
Thelma est une jeune fille, complexe du homard, quinze ans et demi, entre février et juillet, le vertige de la quête de soi.
L'incipit donne le ton, résolument doux, comme une voix qui conte ce qui va advenir.
« Deux litres et demi en trois quarts d'heure, la crue menace. Des gouttelettes se forment sous les aisselles et sur la poitrine plate de Thelma. »
Elle est dans cette orée, entre désir et crainte, consciente de ses faiblesses. Une bataille entre elle et l'Entraîneur qui lui somme dans une voix venue de son corps de tout bousculer et de fondre comme la neige. Poids plume, résister et courir plus vite et plus loin encore.
Elle frappe chez son psychiatre. le ventre gorgé d'eau, un kilo de plus, un mensonge de plus sur la balance. Faire semblant d'aller mieux, du moins pas plus mal. le masque, malgré les confidences et les inquiétudes du docteur.
« Le travail scolaire, c'est important, Thelma, mais moins que ta santé. » « Elle doit frôler les quarante et un. Presque quarante. Un jour, peut-être, son poids commencera par trois. »
Thelma côté ville et lycée est vive et enjouée. Volontaire et énergique, un brun crâneuse avec les autres, mais sous l'écorce, une fragilité qui fissure son mental. Elle est sur le fil tendu, telle une funambule en quête d'équilibre.
De mimétisme vêtue, se fondre dans une apparence consensuelle. Et pourtant ! Elle est sur le radeau de Géricault en proie à une bataille intérieure. Un défi, devenir transparente, son alter-ego en quelque sorte, le témoin de ses torpeurs, un signe visible pour ses parents qui vivent aussi des turbulences d'adultes et de finitude de l'amour.
Thelma a une amie intime Violette. Sa complice et sa confidente, celle qui pousse Thelma dans le dos car elle pressent l'alarme dans le regard de son amie. Un appel au secours silencieux et pudique. Elle soutient Thelma, intuitive et pragmatique, Violette va aider son amie. Sans même que les ordres ou conseils soient donnés. Dans une connivence, une concorde amicale. Bâtir des solutions dans les murs même du lycée.
Monter un plan digne de jeunes filles de leur âge, un semblant de normalité. Thelma est amoureuse de son professeur de sport, le remplaçant, jeune et beau. Elle devient l'emblème même d'une jeune femme dévorée de désirs et d'illusions. Thelma est peu entourée chez elle, souvent seule. Sa mère entrepreneuse, et dont le métier est plus important que tout. Un père, inquiet qui se doute que sa fille va de plus en plus mal mais dont la pudeur clos l'entraide et l'affection démontrée. Thelma aime le sport plus que tout. Courir, se surpasser. Elle se trompe de voie. Son but est de maigrir encore et encore. L'Entraîneur, en elle est un mirage et la voix sourde de ses propres démons. Elle imagine son pouvoir sur elle. Discipline de fer, grignoter, vêtements amples. le défi cornélien, imprévisible et risqué.
Thelma flirte sur la ligne jaune. Mais Guillaume Faroy son professeur d'EPS, lucide et intuitif va lui proposer un vrai marathon. L'initier à la liberté, au lâcher-prise, à la gloire d'une renaissance.
« Faroy redevient le prof d'EPS qui exige l'attention de tous, et elle, l'élève docile et motivée…C'est l'heure. »
Thelma finira t-elle sa course ?
Ce récit sensible, d'une haute intelligence, dont la profondeur magnifique, olympienne est un plaisir de lecture infini. Ce premier roman de Caroline Bouffault qui dépasse largement ses grands frères, est une mise en abîme psychologique d'une famille et de ses tourments, ses secrets et lassitudes. Thelma, souveraine et délicate et dont le corps pleure à sa place est une course en plein vol, un hymne à la vraie jeunesse avec ses écueils et ses pertes de vitesse, ses douleurs et inquiétudes et la soif de reconnaissance infinie. On a une empathie stupéfiante pour Thelma. On a envie de la serrer fort dans nos bras. le pouvoir immense de ce livre qui semble réalité. La beauté douloureuse d'une trame pourtant ensoleillée, dévore notre contemporanéité, tant sa justesse peut frapper à notre porte.
Salvateur et bienfaisant, un livre de salut. À lire et à offrir sans modération. Publié par les majeures Éditions Fugue . En librairie le 6 janvier 2023.
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critiques presse (2)
MadmoizellePresse
17 mars 2023
La grande réussite de ce roman solaire est de parvenir à évoquer de manière si juste l’anorexie, sans chercher à tout prix à en expliquer les racines, ni à réduire son héroïne au statut de malade.
Lire la critique sur le site : MadmoizellePresse
LeMonde
23 janvier 2023
Depuis des mois, Thelma ne mange pas, ou à peine, calculant les conséquences potentielles de chaque aliment sur son poids. Mais, derrière sa frêle carcasse, sous sa peau pâle, l’adolescente dissimule un puissant appétit de vivre. Tel est le paradoxe au centre du premier roman de Caroline Bouffault, qui emprunte à l’héroïne son énergie narquoise, son charme un peu bravache.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
140. Il a lu que la question de la confiance en soi est centrale dans l'anorexie.
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13. Elle peine à mesurer sa transformation physique, car elle ne la ressent pas.
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(Les premières pages du livre)
Février
Montée des eaux
Deux litres et demi en trois quarts d’heure, la crue menace. Des gouttelettes se forment sous les aisselles et sur la poitrine plate de Thelma. La contraction de ses muscles lui rosit le front et les joues, tant mieux, ça lui donnera bonne mine. Pour économiser ses pas, elle coupe à travers le terre-plein, pose les pieds le plus souplement possible sur la pelouse puis le bitume du parking – ni secousse ni mouvement brusque. Elle sonne en face de la plaque du généraliste, attend la vibration du déverrouillage, pousse le panneau de verre dépoli. L’enclume qui distend son bas-ventre irradie dans son abdomen et envahit le haut de ses cuisses. Les rates et les appendices explosent, les vessies peut-être aussi. En habituée, elle ne se présente plus à l’accueil. Biscotte la salue avec une information de mauvais augure, installe-toi Thelma, le docteur Meunier a pris un peu de retard.
Consternation. C’est combien, un peu ? Son ventre est au supplice, sa marge minuscule. Sur la droite du couloir, à trois mètres à peine, un panneau cuivré flèche les « Commodités ». Elle résiste. Dans la salle d’attente vide, elle s’assied, croise les jambes et passe ses doigts contre son legging, par-dessous, pour souder ses lèvres l’une contre l’autre à travers le tissu. Normalement, cela diffère l’envie d’uriner, mais dès qu’elle retire sa main, la pesanteur réapparaît. Se changer les idées. Son portable ne dispose plus que de cinq pour cent de batterie. Elle attrape Grazia sur le présentoir en plexiglas. Quelqu’un a rempli le test « Quelle amoureuse êtes-vous ? » au stylo vert, à côté de ses réponses de la semaine dernière. Ils n’ont rien coché de commun, mais comme elle avait calculé son compte pour tomber sur « Amante fusionnelle », difficile de tirer des conclusions. Elle se demande qui est l’autre. Peut-être quelqu’un de son lycée, un alter ego en liberté surveillée.
Tout en elle sue. Son corps cherche à se débarrasser de l’excès de liquide par tous les moyens. Combien de litres peut-on perdre par la transpiration ? Est-ce que le poids de l’eau reste sur la peau ? Quelle proportion s’évapore ?
Elle ne veut pas qu’ils se méfient. Surtout qu’ils n’ont pas de raison de se méfier ! Elle va de mieux en mieux.
Elle appuie plus fort sur son entrejambe. Elle aurait dû apporter un carnet pour réfléchir à la dissert. Le prof avait l’air si fier de son sujet. Un personnage de roman doit-il être admirable pour intéresser le lecteur ? À côté de Thelma, Violette a mimé le suicide par balle, Thelma a promis de l’aider pour le plan, elles s’appelleront ce soir. Dans trois minutes, elle se pisse dessus. Est-ce que le docteur la pousse dans ses retranchements ? Ce serait tellement dommage qu’il soupçonne quoi que ce soit. Elle qui fait tout ça pour eux !
Eux : les adultes qu’il faudra remercier le jour où. Parents, médecin, gynéco, psychiatre. Guérir, c’est aussi pour elle, bien sûr. Elle le sait – évidemment. Elle est en bonne voie. L’horizon s’éclaircit, ses tripes ne mentent pas. C’est pour ça que si la balance affiche deux kilos de moins qu’attendu, la claque sera terrible ; et tellement injuste, après ses efforts des dernières semaines ! On s’inquiétera. On renforcera la traque. On ne la croira plus. Et si on ne la croit plus, elle n’y croira plus non plus. L’élan s’arrêtera net, la vraie vie s’éloignera un peu plus. On prendra des mois, peut-être des années dans la vue.
Elle ne peut pas s’offrir, pour le moment, le confort de la vérité. Elle doit arranger la réalité pour placer toutes les chances de son côté, le temps de rattraper le chiffre officiel. Le problème n’est pas l’évolution, mais l’étalon de départ.
Avec le printemps, les températures deviennent plus clémentes. L’an dernier, à la même saison, elle compensait l’adoucissement de la météo par un durcissement de son programme d’exercice physique. Les calories que son corps ne brûlerait pas pour se maintenir à trente-sept degrés devaient être dépensées autrement, deux kilomètres de course en plus, une série supplémentaire d’abdos. Un an plus tard, la méthode lui apparaît barbare – preuve qu’elle en a fini avec les stratégies tordues.
Il n’y a qu’à la voir à la cantine ! Ce midi, alors que personne n’exigeait rien d’elle, Thelma a demandé du sucre à sa voisine. Violette, volant par-dessus les tables, aurait récupéré le sachet de sucre comme on rafle une pépite. Mais sa meilleure amie était assise trop loin pour entendre. Moins bon public, Solène a englouti son liégeois sans décoller une fesse, et Thelma a dû aller se servir elle-même dans la queue du self. Pas grave. L’essentiel était qu’un témoin, même récalcitrant, la voie déchirer le sachet et répandre quelques grains sur son Activia 0 %. Seule, elle n’y serait pas arrivée.

Cette transpiration intempestive l’inquiète. Il faudrait reprendre quelques gorgées à la fontaine à eau, compenser. Elle n’a pas de récipient sur elle, c’est Biscotte, la secrétaire au visage cramé par les U.V. qui distribue les gobelets. Thelma se lève, sonde le contenu du bac à jouets. Pas de dînette. Elle saisit la coque poussiéreuse d’un voilier Playmobil, s’approche de la fontaine, remplit sa coupe de fortune, porte le plastique à ses lèvres : l’équivalent d’un demi-verre à moutarde, pas plus, de quoi rétablir l’équilibre. Elle se rassied, soulagée, honteuse et vaguement inquiète : si elle allait se coller une gastro ? Autrefois, elle se serait félicitée d’une bonne diarrhée, mais elle n’en est plus à espérer se vider par les moyens les plus gore. C’est bon signe. Elle repose le bateau à l’envers, comme faisait sa mère avec les jouets de bain de Billie. Elle se remet à serrer et desserrer son sexe à intervalles réguliers pour provoquer la décharge électrique qui atténue l’envie.

Le docteur raccompagne une dame âgée à la porte. Thelma se lève, l’abdomen gonflé comme un bébé somalien sur les posters d’Opération Bol de Riz.
Le médecin ne remarque rien. Comme d’habitude, il est obsédé par l’écran digital sous les chaussettes de Thelma.
— Quarante-trois. Ça ne bouge pas beaucoup. Tu prends tes vitamines ?
— Oui.
Non. Elle en a décortiqué la composition. L’excipient qui enrobe les gélules finit en ose, du sucre en embuscade. Elle a trouvé ça mesquin de la part de Meunier, une trahison un peu minable. De toute façon, elle ne lui fait pas confiance, il est à la solde de ses parents et ne se donne même pas la peine de prétendre le contraire.
— Et le fer ?
— Aussi.
Comme si elle avait le choix. Une fois par mois, une prise de sang contrôle son taux de ferritine. Sa mère a prévenu : c’est ça ou de la viande rouge. Du coup, c’est ça. Quelques gouttes tombent dans sa culotte. Elle demande si elle peut y aller, une tonne de devoirs pour demain et une dissert à commencer.
— Ça carbure toujours, au lycée ?
— Oui, ça va.
— Le travail scolaire, c’est important, Thelma, mais moins que ta santé.
— …
— Bien. À mercredi prochain, même heure ?
Elle a envie de vomir tellement son ventre la fait souffrir, elle transporte une boule de feu sous sa peau. Elle n’arrivera jamais jusque chez elle. La secrétaire lui ouvre la porte avec une lenteur qui confine au sadisme. La route qui borde le parking du cabinet est passante, avec l’arrêt de bus qui dessert un lotissement récent, la boulangerie et le bureau de tabac juste à côté.
Le jet rebondit sur le goudron entre ses jambes. Elle n’en finit pas de se vider, accroupie, fesses à l’air, exposée, ridicule. Une dame s’écrie C’est quand même malheureux ! et dans la voix pointue, Thelma croit reconnaître la mère d’une copine de Billie. Elle garde la tête baissée, les yeux par terre, sur la rigole qui s’élargit autour d’un pneu de voiture et mouille ses baskets. Sa honte lui coule le long du nez. La dame est partie.
Quinze ans et demi, et pisser sur des parkings.
Terminé.
Mercredi prochain, elle expliquera les deux kilos usurpés, cette dette qu’elle traîne depuis des mois comme un boulet. Elle se fera engueuler, mais on repartira sur des bases saines.
Elle calcule. Avec tout ce qu’elle vient d’évacuer, elle doit frôler les quarante et un. Presque quarante. Un jour, peut-être, son poids commencera par un trois. Le chiffre provoque une chair de poule délicieuse, comme un film d’horreur qu’on voudrait mettre sur pause, mais qui vous happe jusqu’au générique.

Le remplaçant
— On ne prend pas racine dans le vestiaire, svp !
Le vendredi matin, « à la fraîche », monsieur Faroy attend ses élèves à huit heures sur le terrain multisports. Il est arrivé en cours d’année, quand Marchand est partie en congé maternité. Jusque-là, en cours d’EPS, la seconde C frappait mollement des volants de badminton dans un gymnase surchauffé. Avec le rugby mixte, on a changé de division. Les exhortations viriles du prof galvanisent Thelma : « Allez les chochottes, on se met en jambes, roulade dans la boue, c’est bon pour vos pores ! » Dès les premières minutes d’échauffement, elle jubile. Les filles se rebiffent, les garçons se bidonnent, Thelma exulte. Elle ne petit-déjeuner pas le vendredi pour ne pas s’alourdir d’un ramequin de muesli. Faroy l’aime bien, c’est sensible. Il l’encourage à profusion, dans son style martial. À chaque touche, il lui fait l’ascenseur, à elle toujours. Il se place dans son dos, à son signal elle saute, les grandes mains du prof la soulèvent sans effort, et elle s’envole au-dessus du terrain. Il ne râle pas si elle rate le ballon.
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Proposition

En cours d'EPS,Thelma met un point d'honneur à ne laisser transparaître aucune émotion négative. Aucune émotion tout court.Supprimer les crochets du soir par le gymnase lui libère du temps pour les devoirs, et ça tombe bien,les DM pleuvent,à croire que les profs se sont passé la consigne .Mais Thelma a beau faire le maximum pour éviter un tête- à -tête ,Faroy cherche manifestement à le provoquer.
C'est :《 Tiens,Thelma,tu rassembles les bâtons du relay?》
Ou: 《Thelma ,tu me rapportes le chronomètre ?》
Elle s'acquitte des tâches qu'il lui assigne en gardant ses distances.Qu'il lui épargne, pitié, une question sur son état de santé !
Sa vigilance la sauve trois semaines durant.Elle tombe dans un traquenard le dernier mardi d'avril,quand il l'expédie à l'autre bout de la piste de sprint pour récupérer une haie abandonnée. Toute la classe a déjà pris le chemin des vestiaires lorsqu'elle revient au niveau de Faroy avec la barrière. ( Page 125).
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Certes, il ne connaît pas grand-chose à la pathologie de Thelma. Mais à en juger par la démarche de ses parents, ceux qui s’y connaissent ne parviennent pas à régler le problème. Est-ce qu'on est venu le chercher, oui ou non? Ce ne serait pas la première fois qu’une approche originale réussirait là où échouent les thérapies classiques. Il a lu que la question de la confiance en soi est centrale dans l’anorexie. Quel meilleur traitement que le sport en compétition pour gagner en assurance? En toute humilité, Guillaume est assez sûr de son coup. p. 140
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VLEEL 301 Rencontre littéraire avec Caroline Bouffault, Olivier Ciechelski et Cécile Tlili
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