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Critique de LaBiblidOnee


"Le besoin spirituel le plus élémentaire du peuple russe est la nécessité de la souffrance", disait Dostoïevski. En très peu de pages, « le train zéro » nous offre un concentré de l'âme russe. Dès son titre, il nous intrigue : Désigne-t-il le train par lequel tout commence, ou bien un train qui compte pour rien ? Qu'en serait-il alors des vies qui y sont rattachées ?
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Dans une gare perdue au fin fond de la Russie, un lieu que l'on croirait créé pour les exilés et les punis, vit Don Domino. Très tôt orphelin de parents dits « traîtres à la Patrie », on lui confiera pourtant les clés de cette gare du bout du monde, afin d'en assurer le bon fonctionnement. Sa mission principale : permettre chaque nuit le passage du mystérieux « train zéro », dont personne ne sait ni ce qu'il contient, ni sa destination. Pour cela, une véritable ville est construite autour avec sa scierie, son bar, ses mécaniciens, ses prostituées… Et ses habitants comme Don Domino, qui semblent avoir été posés là comme des playmobiles au gré des dirigeants du pays, pour vivre la vie qu'on leur a attribuée. Les ordres sont donnés, on obéit, au nom de la Patrie. Et l'on est fier de se voir confier un rôle, même si on ne le comprend pas tout à fait (ce train sert-il vraiment à quelque chose d'autre qu'à occuper et asservir une poignée de gens encombrants ?), qu'il ne nous comble pas tout à fait, et qu'il menace de nous abrutir, sinon de nous tuer à la tâche. Promotion ou punition ? C'est en vivant avec les personnages que nous nous forgerons notre opinion. Plus exactement, c'est grâce à une narration au plus proche des pensées et souvenirs de Don Domino que nous tenterons de reconstituer ce qui se trame ou s'est tramé dans cette gare. Car aujourd'hui, elle semble avoir été désertée par tous sauf lui…
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Les bribes de temporalité éparses nous font rapidement comprendre que, comme nous, les habitants sont rongés par la curiosité ; Une fois passée la satisfaction de s'être vu attribuer un travail et un toit, la rudesse d'une vie de peu de plaisirs autres que le bar et l'amour finit par questionner le sens de cette vie : certains se demandent où va ce train, si la vie y est meilleure, ou s'ils contribuent à quelque chose d'inavouable ou au contraire de merveilleux, puisque secret. Est-ce que ça a du sens de se contenter d'obéir aveuglément sans savoir de quel tout nous faisons partie ? Pour Don Domino au départ, son existence a du sens puisqu'on lui a donné un rôle à tenir. Mais à l'usure, est-ce suffisant ? Presque tous, les uns après les autres et comme une contagion, deviendront finalement obsédés par la question de savoir ce que contient ce train et où il va. Ils sont de plus en plus nombreux à songer à suivre les rails jusqu'au bout pour avoir enfin le fin mot de l'histoire. Ne pas savoir les rend fous, mais le fait de savoir les délivrera-t-il du mal ou, au contraire, celui-ci finira-t-il de dévaster leurs âmes brûlées par le froid ?
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On retrouve en cela la problématique toute chrétienne de l'obéissance aveugle à un ordre donné, de la curiosité, du savoir et de la souffrance. Finalement, Don Domino et les autres ne sont ni plus ni moins que Eve, devant le fruit défendu. Et de la même manière que l'on se demande où va ce train et le sens de cette mission, on se demande également où va le monde et quel est le sens de nos vies, de nos actes, de nos obligations et de nos devoirs. Un train qui file devant les personnages comme la flèche du temps de leur vie qui défile, faite de larmes et de sang quand ça déraille, mais que quelques épiphanies rendent la plupart du temps supportables. Qu'y a-t-il au bout : le paradis ou l'enfer ? Y a-t-il seulement quelque chose ou rien ? A-t-on vraiment besoin de savoir qu'il y a quelque chose derrière tout ça, un sens extérieur plus grand que nous ? Ou n'est-on pas plus heureux sans savoir ? Ne peut-on pas décider comme Don Domino que, peu importe ce qu'il y a après, le véritable sens de nos vies est de les vivre, tout simplement ?
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Ce minuscule et captivant roman transcende ces questions pour nous plonger dans une ambiance ouvrière de houille, de chou, de stupre et de labeur qui, à elle seule, vous happera pour ne plus vous lâcher jusqu'à la fin. Eclaté en temporalités multiples au gré des pensées et souvenirs de Don Domino, le récit est brillamment recousu par les rails du train zéro, qui les relie de son inlassable passage comme un éternel recommencement. Gare ! La Lison de Zola n'a qu'à bien se tenir !
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