Ce court ouvrage salué du prix de Flore en 2002 est à distinguer, davantage pour la forme que pour le fond. Il s'agit en effet d'une autobiographie distanciée, le titre le dit assez : "Rapport sur moi". Grégoire Bouillier continuera dans cette veine avec ces deux épais volumes intitulés "Le dossier M."
Etrange univers que celui de l'auteur qui utilise beaucoup les procédés de retour en arrière ou de saut en avant, non par goût du complexe, mais bien comme outil indispensable à ce qu'il veut nous faire comprendre, à savoir qu'il est possible de mettre en résonance, soit linguistique, soit par similarité, les évènements de la vie.
Ainsi est-il attentif à la coïncidence des dates, aux circonstances particulières des rencontres, aux mots qui désignent les choses avec insistance, toujours les mêmes au fil du temps.
Cette technique narrative n'est pas uniquement esthétique, encore qu'il soit bien possible que G. Bouillier cherche à introduire de l'art dans sa vie. L'autobiographie est en réalité l'occasion d'un travail de fond sur les relations des évènements et de leur sens. Tout fait signe. Les coïncidences n'en sont plus mais s'inscrivent dans une sorte de "fatum" que l'auteur modèle à postériori en s'appuyant sur des similitudes ténues, des correspondances subtiles. Mentalité magique ou psychanalyse lacanienne ?
Je recommande vivement ce livre qui apporte la preuve que pour faire de la vraie littérature, point n'est besoin de sensationnel, ou de sujets à la mode, le quotidien y suffit. Bouillier y excelle.
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Le narrateur, fait un résumé de sa vie dans un ordre chrono-illogique mais assez rafraichissant, un peu dans l'ordre d'arrivée de ses pensées. J'ose espérer que c'est une fiction sinon il a eu une initiation sexuelle un peu malsaine, du genre familiale.
Nous avons à faire à un anti-héros, ses parents sont échangistes, sa mère est suicidaire, son frère est gay. Il découvrira toutes ces facettes de sa famille par surprise.
Rythmé de courts paragraphes, ce livre est comme la confession qu'un ami nous ferait un soir de pluie au fond d'un bar glauque après plusieurs verres. Il nous relate ses expériences d'enfant et ses déboires, ce qu'il a fait pour s'améliorer et comment ses efforts se sont soldés par des échecs inattendus.
Références et liens cocasses et intéressants, roman drôle et choquant qui se lit d'une traite et qui déroute tellement il est criant de vérité.
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Le psychiatre rédige une ordonnance, qu’il tend à mon père. Puis il cherche des yeux son manteau en poils de chameau. C’est alors que son regard tombe sur moi. Il me fixe et, pour la première fois de ma vie, j’ai l’impression que quelque un me voit. Son regard me dit que j’existe. J’ai cessé d’être transparent. Tout à coup j’ai un corps. Une âme. Il m’a vu. Il a vu. Il a compris. Il sait. Il va le leur dire. Il va leur dire que ça suffit les horreurs. Peut-être même va-t-il m’emmener tout à l’heure avec lui, le temps que les choses s’arrangent à la maison, et c’en sera fini pour moi d’être une serpillière posée dans un coin.
C'est dans cette ambiance chaleureuse que je passais mon adolescence. Chaque instant était une boule de violence qui trônait au milieu du salon : il fallait raser les murs pour ne pas risquer de la toucher et qu'elle explose.
On crut que je ne passerais pas une journée de plus lorsque je condescendis à absorber le lait d'une chèvre que l'on avait trouvée presque par hasard dans les environs de la maternité. C'est à cet animal à la réputation de sale caractère que je dois d'avoir survécu.
Neuf mois plus tard Laurence m'annonçait notre rupture. il avait fallu qu(elle devienne mère pour se décider ;"Je peux te quitter puisque maintenant que nous avons fait un enfant , je sais que je ne te perdrai jamais", me dit-elle au téléphone.
Si jamais je suis intelligent, c'est en trompant mon monde que je le suis devenu : que ne devais-je étudier les apparences pour leur donner un sens que j'avais perdu. C'est ainsi que je sus très tôt que le vraisemblable ne se confond pas avec la vérité, ni le réel avec sa représentation, ce qui m'éloigna rapidement de mon époque.
Il y a un an, une soirée spéciale a été organisée autour du roman "Le coeur ne cède pas" de Grégoire Bouillier (éditions Flammarion, prix André Malraux 2022) qui avait reçu une bourse d'écriture du CNL. Découvrez l'entretien enregistré avec l'auteur.
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