Quel concours de circonstances a pu faire que dans ce petit village charollais (2 l'quand on parle du pays) l'on retrouve le cadavre d'une inconnue vêtue d'astrakan noyée après avoir été assommée? Rude tâche pour l'adjudant-chef Patigny, qui n'anticipe pas plus d'un coup à la fois pour mener une enquête...Heureusement pour tout le monde, le hasard fait que Soeur Blandine, qui n'est pas sans rappeler une certaine Soeur Thérèse qui officie sur nos petits écrans, vient passer quelques jours de congés en famille sur les lieux du crime. En congé, ou pas. Car le radar extra-lucide de notre conviviale nonne, qui n'est en fait qu'un sens aigu de l'observation allié à une puissante logique de déduction, se met en mode enquête, avec la ferme intention de résoudre cette énigme
Outre une intrigue bien ficelée, qui laisse persister le suspens jusqu'à la fin, l'autre charme de ce roman réside dans l'ambiance terroir, avec des dialogues qui fleurent bon nos racines paysannes (là encore le dictionnaire intégré de la liseuse est mis en échec).
C'est donc une belle découverte, et les enquêtes de Soeur Blandine pourraient désormais faire partie de projets de lecture récurrents.
On ne peut pas dire que le pittoresque fasse défaut dans ce polar qui se déroule en grande partie dans le Charolais, région où les statistiques de la délinquance ne doivent pas effleurer les sommets même si "ruralité" ne rime pas forcément avec "générosité". On y trouve au contraire quelques beaux spécimens de méchants et autres personnages hauts en couleur et forts en gueule. L'enquêtrice, déjà, sort de l'ordinaire : "Soeur" Blandine, avant de revêtir l'habit de religieuse, a appartenu à la police judiciaire ; ça aide lorsque, bien qu'en vacances, vous êtes sollicitée pour faire bénéficier la gendarmerie locale de vos talents déductifs. Dans le genre pittoresque, il y a aussi ce cadet d'une famille locale qui, jeune et sans le sou, avait émigré à Ceylan où il est mort après y avoir fait fortune. "Qu'est devenu le pactole ?" se demandent ses héritiers bourguignons et peut-être aussi d'autres légataires sri-lankais. Autre question qui tarabuste en particulier la mère supérieure de Soeur Blandine : qui est "M. Nu", vainqueur (masqué), semaine après semaine, des manches successives d'un concours de chippendales amateurs organisé par une boîte de nuit et doté d'un prix conséquent ? Ne serait-ce pas son neveu, prêtre d'une pauvre paroisse des environs, beau comme un dieu, pour qui la somme en jeu serait providentielle ? En cherchant à répondre à la première interrogation : "Qui est l'inconnue de l'écluse ?", retrouvée noyée au début de l'histoire, Soeur Blandine démêle peu à peu un écheveau où les ressorts habituels de l'âme humaine, instincts primaires ou grandes idées morales, interviennent dans le désordre.
Cet épisode est le troisième d'une série de cinq mais je ne pense pas que je lirai les autres : le monde de Philippe Bouin est trop bigarré à mon goût et me rappelle trop des lectures de jeunesse genre Bibliothèque verte qui relèvent pour moi d'un passé révolu.
Anciennement publié aux éditions Viviane Hamy (ce qui attire immanquablement ma sympathie…), Philippe Bouin s'est fait connaître par deux séries policières, Dieudonné Danglet, série historique, et les enquêtes de soeur Blandine. Ces dernières mettent en scène un petit groupe de personnages sympathiques, dont une religieuse (ex-officier de police judiciaire), aux prises avec des crimes dans la région Bourgogne-Beaujolais. Cette fois, comme le titre l'indique, une mystérieuse inconnue est trouvée morte à côté de l'écluse.
Des atmosphères provinciales à la Simenon, des histoires ancrées dans le terroir, des personnages truculents, voilà des petits romans policiers agréables à lire.
Roger-Jon Ellory : " **** le silence"