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Racheter le temps, les poètes ne font que ça. Ils rétablissent
la continuité du temps et du salut, ils rendent
grâce à la grâce, face à l’immense panorama de crimes
que présente l’histoire du monde. Et ils le font en écrivant
ou en se contentant d’aimer muettement le surgissement
de la beauté.
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VOUS AVEZ DIT LACANIENS ?
Je lis de plus en plus de lacaniens… Ne sont-ils pas
les seuls à comprendre que nous sommes passés de la
névrose (liée au refoulement) à la perversion (avec l’absence
de surmoi individuel et collectif ) ? Cette absence
de surmoi se vérifie dorénavant partout : dans les services
publics, les commerces, dans les rues et au bureau.
Plus personne n’accepte de patienter et tout le monde
désire être assisté et servi immédiatement. Ce qui résiste
devient insupportable pour le bébé/adulte en addiction.
Nous avancerons que ce qui a été aujourd’hui étouffé,
c’est la place du transcendantal. Et par là même, l’exception,
l’interstice, la faille, la fente, la fêlure, l’hiatus, la lézarde,
la négativité… Tous ces mots désignent ce qui ne colle pas.
(Jean-Claude Lebrun : La perversion ordinaire, Champs essais).
Le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans
les Ténèbres
Tocqueville.
Phrase célèbre et de plus en plus actuelle.
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Pas un mois ne passe sans que je ne relise des pages
du Journal (Pléiade) de Claudel…
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Reçu une très belle lettre de Jean-Pierre Lemaire,
après sa lecture de mon anthologie poétique, qui se
conclue ainsi :
( …) J’ai aussi beaucoup appris de votre entretien avec
Gwen Garnier-Duguy : il montre l’ampleur des expériences
affectives, sociales, littéraires que vous avez traversées pour
en tirer un miel poétique ; et l’intégration que vous en faites
dans vos poèmes est d’autant plus remarquable.
Intégrer les données du réel dans un dispositif
chant/critique a été et demeure mon idée fixe.
Dois-je ajouter que Jean-Pierre Lemaire, avec Marcelin
Pleynet et Claude Minière, est d’après moi le meilleur
poète de notre extrême-contemporain ? J’ai eu l’occasion,
dans un numéro de NUNC, d’exprimer mon profond
attachement à sa poésie.
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BAUDELAIRE
J’ai de redoutables pulsions baudelairiennes depuis
une semaine… Allez savoir pourquoi ! Je me surprends
à réciter ceci : Le français est un animal de basse-cour, si
bien domestiqué qu’il n’ose franchir aucune palissade. Voir
ses goûts en art et en littérature. Ceci aussi : Les nations
n’ont de grands hommes que malgré elles. Et encore : Il n’y a
de gouvernement raisonnable et assuré que l’aristocratique.
Monarchie ou république basées sur la démocratie sont également
absurdes et faibles. Enfin : La croyance au progrès
est une doctrine de paresseux (j’avais placé, en 2001, cette
dernière phrase en exergue à mon livre Tacite, Flammarion
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CATHERINE MILLET
Dans l’usage du faux qui caractérise désormais notre
actualité, il est réconfortant de lire un récit qui exprime
la vérité d’un excès. Jour de souffrance (Flammarion) qui
a été publié sept ans après le succès de La vie sexuelle
de Catherine M., propose une radiographie précise et
méticuleuse du gouffre amoureux. Une femme se regarde,
sans concession, et fait face à la douleur du négatif
– ici la jalousie – et chaque mot sonde une traversée,
chaque phrase travaillée par l’introspection, cogne
contre un espace-temps mis en croix.
Tâtonnement intérieur, crise, doute, suspicion, surveillance…
la jalousie opère dans le champ de l’imaginaire
et quand les sensations vécues se murent dans
des conflits intimes et dans la logique folle des passions
tristes, quand l’hostilité envers soi-même et envers l’autre
se déploie avec acharnement et à chaque instant, nous
sommes bien en enfer.
Enfer et aussi plaisir à se couler dans les stéréotypes
de la femme trompée et humiliée. Une des forces de ce
livre est de montrer l’enchaînement implacable d’un huis
clos qui dissocie les sensations de chaque protagoniste.-
… [la suite dans l’intégrale]
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SOLLERS épinglé par Pascal Boulanger
Beaucoup d’incises en profondeur musicale dans les
lettres de Sollers à Dominique Rolin (Gallimard), ceci
par exemple : Nous ne pouvons pas entrer dans le malheur
car le malheur est une infirmité de la main dans la possibilité
du dehors. Or, nous sommes dehors ( …) Et puis,
des bassesses, des fautes de goût, des paresses, ceci par
exemple et à propos de Bernanos : Tu me dis Bernanos…
Hum…Sacré 19e début 20e, c’est vraiment la mort
tassée partout… Je regarde un peu en passant… Il fallait
vraiment que Freud vînt ( …). Si seulement Sollers avait
pris la peine de lire Bernanos et pas seulement un peu
en passant (sic), et pris la peine aussi de lire Bloy, on lui
pardonnerait tout !
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Mais aussi le retour aux sources, puisque qu’’à la fin du recueil, Pascal Boulanger confie :
C’est en 1983 que Sollers publie Femmes. Et c’est à
cette date que je lis cette mise à mort de la mort.
J’en reprends aujourd’hui la lecture, avec le même
enchantement… Plus de trente après, cette chronique
métaphysique a encore gagné en lucidité et en sagacité.
( …) regard des hommes apeurés, épuisés, dérangés à
chaque instant, féminisés, débilisés, racornis, enjupés, domestiqués,
maternisés, mammas molles… Les voilà payeurs
porteurs, chauffeurs, bricoleurs, débardeurs de la connerie
sans fin et sans faille.. Asphyxiés au bain-marie, perfusés
dans l’insignifiance, la glu de l’aménagement permanent…
Familles, je ne vous hais même pas, ce qui serait encore une
façon de vous désirer par la bande, de croire à votre secret, ce
qui ne peut plus intéresser que la naïveté homo attardée…
Les mères, les homos malgré leur rivalité apparente, ce sont
qui dirait les kapos du camp invisible, ils s’entendent ( …).
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Tous mes livres (sauf ceux qui sont dédicacés, et ils
sont nombreux) sont soulignés et annotés. Il est alors
amusant de les relire 20 ou 30 ans plus tard…
Dans Le secret de Philippe Sollers (acheté et lu
en 1992) j’avais notamment souligné ceci : droits de
l’homme en surface, virements bancaires sous la table ou
encore ceci : Ils aimeraient tellement qu’on soit là “pour”.
Qu’on existe et qu’on agisse “pour”. Qu’on pense en fonction
d’eux et “pour”. Tu dois refuser, et refuser encore. Non, non
et non. Ce que tu sais, tu es le seul à le savoir.
Je rêve de construire un livre logique qui ne serait
que citations explicites d’écrits qui auront marqué ma
propre écriture… comme, du reste, l’a fait Sollers lui-même
qui, d’après ses dires, a intégré la totalité des Poésies
de Lautréamont. Dans Tacite que je publie en 2001,
les citations implicites sont nombreuses.
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Jacques Henric - Faire la vie, entretien avec Pascal Boulanger .Jacques Henric vous présente "Faire la vie, entretien avec Pascal Boulanger" aux éditions de Corlevour. http://www.mollat.com/livres/henric-jacques-faire-vie-entretien-avec-pascal-boulanger-9782915831726.html Notes de Musique : Otis Redding - 15 My Girl