Citations sur L'enfant mascara (12)
Jour de pluie. La fermeture éclair de mon imper fait des free games. Elle fend par endroit, se découd vertèbres par vertèbres à partir du coccyx. Je suis dû pour un nouveau manteau. Mais mes parents adoptifs sont pauvres. Rocky et moi, on leur coûte un bras. C'est ça qu’ils nous disent pour maximiser notre culpabilité de respirer. En fait, papa s'acharne plus sur moi que sur Rocky. Mon frère porte bien son nom : il est viril comme un petit boxeur prépubère, et mon père s'enorgueillit de la rudesse macho de son plus jeune. Il lui achète bien plus de surprises qu'à moi, l'efféminé agaçant de son clan. Avec moi, son budget humanitaire est à sec.
De toute façon, hier soir, j'ai pris une décision. Je ne suis pas gai. Je suis une femme dans le mauvais corps. Je suis captif à l'intérieur. On s'est trompé en me fabricant.
C'est aujourd'hui que je porte ma première jupe. Ça m'est arrivé d'en porter à la maison, dans ma chambre, ou même devant ma mère, mais à l'école, ce sera une primeur.
Je me sens prêt.
Non.
Je me sens prête.
Voilà. C'est dit.
Je m'appelle Leticia Queen, et je me sens prête.
Demain, tu me tireras deux balles dans la tête, à bout portant et ça me tuera. Tu auras mal pris mon amour, j'imagine.
Tu peux prendre ce qui suit comme le journal de mon amour pour toi. Ou l'objet de ta haine pour moi. A ta guise. Tu es libre.
Moi, je suis mort(e). Je ne suis qu'un(e) amoureux(euse) résolument mort(e).
Ta mère, Kendra, est massive, mais ça convient. Ton père est fort. Un bœuf, qu'on dit. Il peut la soulever à bout d bras. Il a une force criminelle. Il a fait de la prison pour avoir frappé ta mère, tout le monde le sait. Tu viens d'une lignée de durs à cuire. Ça ne te rend la couenne que plus désirable. Je suis ainsi fait : turgescent de désir pour l'illicite, l'interdit. A ton bras, je vivrais le mal par procuration.
L'été dernier, ton père a remporté le prix Budweiser de l'homme le plus fort. Il s'agit d'une course lors de laquelle l'homme doit porter sa femme sur son épaule, comme si elle était un sac de patates, ou un sac rempli d'autre chose. Des pois chiches, par exemple. Ou des fèves. Peu importe. Le premier à franchir la ligne d'arrivée sans avoir échappé sa femme remporte l'équivalent du poids de sa conjointe en bière. C'est ton père qui a remporté la course. Et comme ta mère est massive, il a gagné beaucoup de canettes de bière.
À vrai dire, quand j'y pense bien, je me dis que l'école était pas prête à avoir un élève aussi à l'aise avec son homosexualité. Ou sinon : sa transsexualité. Larry était tellement assumé, tellement entier. Je l'enviais. Parce que pas une fois, cet enfant-là s'est censuré.
Je ne suis pas maquillée comme si c'était l'Halloween. Il n'y a rien de criard sur moi. C'est un maquillage subtil et équilibré, mon affaire ; Tracy m'a donné des cours. Un maquillage qui permet à Leticia d'émerger de moi. Leticia, depuis ce matin, prend toute la place. Larry est totalement effacé sous le vernis. Moi, mon vernis est plus honnête que ce qu'il y a en dessous.
Les cours d'éducation physique sont d'une tragédie pour elle. Notre professeur ne comprend pas pourquoi elle renonce à faire ses jumping Jack. À chaque saut, sa poitrine volumineuse part dans tous les sens. Ses seins remuent longuement et ça la gène. [...] Les filles maigres ont des seins qui rebondissent avec plus de décence. [...] De nous deux, je suis clairement la plus belle. Mais je voudrais quand même être Averi car elle a trois choses que je n'aurais jamais : des parents aimants, de l'argent à profusion et un vrai vagin entre les jambes.
Aujourd'hui, j'ai bientôt quinze ans, je suis fauché et je déteste mon père.
J'attends que la DPJ vienne à ma rescousse, me retire des mains sales de mon père, et me confirme que je vaux quelques chose.
Le premier jour de ma nouvelle vie sera une autre fois.