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J'avoue avoir eu peur de la généalogie sur plusieurs générations, en ouverture du roman « Les maquisards » d'Hemley Boum, avec des mentions « géniteur » et « père », peur qui s'est vite évanouie à la lecture.
Parce qu'en fait, ce qui est présenté avec subtilité et intelligence, ce sont les distances prises par les jeunes femmes envers les traditions et les coutumes familiales et/ou sociétales. Officiellement, elles doivent se marier avec l'homme choisi, mais, ou bien leur coeur les a conduites auparavant vers l'amour né de l'amitié, ou bien un viol doit être déguisé en naissance reconnue par le père et non le géniteur ou bien la mère écoeurée par la polygamie, revient ensuite auprès de son mari, avec le bébé d'un autre.
Les amours enfantines d'Esta et d'Amos, les amours adolescentes de Muulé et de Likak, fondent le roman, en nous présentant des femmes fortes, choisissant leur destin, et prêtes à tout pour se défendre. Maitresses femmes bravant les croyances obsolètes, et pourtant toujours en décalage dans leur maternité, comme si même les enfants de l'amour ne les intéressaient absolument pas, et que les problèmes étaient résolus par les grand mères ou qu'elles ne pouvaient se permettre le luxe d'aimer avec emportement l'enfant d'un autre que le mari.
L'enfance africaine déguisée de Gérard le Gall, fils d'un gros porc appelé le porc,si imbu de sa puissance de blanc qu'il ne pense pas nécessaire d'apprendre la langue et n'imagine pas un instant que les phrases tendres dites à son sujet devant lui sont en fait des insultes, fait le contrepoint dans ce Cameroun des années précédant l'Indépendance.
Le père trousse sans vergogne toutes les petites.
Et ne voit pas le bonheur de son fils à jouer en haillons dans la boue, aidé à se rhabiller par tout le village lors de son retour. Là encore la filiation n'est pas synonyme d'accord et de points de vue similaires.
Père et fils seront toujours ennemis.
Le Cameroun n'est pas véritablement une colonie, mais un codominium entre la Grande Bretagne et la France après la défaite de l'Allemagne en 1919, dont le sort est confié à la SDN puis aux Nations Unies.
La France veut justement non seulement en faire sa colonie, mais aussi garder le pouvoir, même après l'Indépendance.
Arrivent alors les maquisards, dans le pays bassa, au Sud du Cameroun proche du littoral, en premier Mpodol, Ruben Um Nyobé, une figure connue, et sans doute le seul historiquement reconnaissable, non violent ; il visite pour exposer la cause les divers endroits du pays, dont lui, à la différence de le Gall, maitrise toutes les langues.
Il rencontre dans le maquis Amos, son meilleur ami, Likak, fille d'Esta et d'un père inexistant, puisque Esta a dû se marier et avoir un enfant … pour être reconnue comme guérisseuse initiée du Ko'ô. Et enfin Muulé, parti en France pour la défendre durant la seconde guerre.
Mpodol, le porte-parole, Amos, Likak paraissent très déterminés dans leur volonté d'obtenir l'Indépendance, en fondant l'UPC, l'Union des populations du Cameroun.
« La lutte armée est sans espoir, nos partisans sont des commerçants, des paysans, des gens ordinaires, pas des guerriers. Quel choix avons-nous ? »
Muulé le dragueur ne semble pas aussi résolu, ses études en ont fait un intellectuel à qui la France promet le pouvoir, dans le but de le transformer et le faire finalement s'allier au pouvoir colonial. Ce sera pourtant lui le martyr des forces militaires françaises.
Parallèlement à cette présentation du pays bassa au moment de l'Indépendance, Hemley Boum tisse la généalogie d'un village dont l'auteur nous livre très attentivement les pensées et le destin, avec un souci du détail, de la psychologie et de la nuance.
La fable De La Fontaine «  le chêne et le roseau » si on la rapporte à la condition des paysans forestiers camerounais des années 50, habitués à la splendeur vitale des arbres, -bien que critiquée par Esta la rebelle- illustre la « force des femmes d'Afrique qui portent le monde sur leur dos » : Nous sommes des chênes, et nous ne ploierons pas.
Ce qui me semble le plus remarquable dans «  les Maquisards », réside dans la nuance des sentiments, des croyances, la tiédeur de l'instinct maternel, et, aussi, puisqu'il est question de révolution, des trahisons toujours possibles.
Rien n'est blanc, rien n'est noir.

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Ce roman évoque, à travers la lutte pour l'indépendance du Cameroun, une famille et sa vie quotidienne faite de secrets mais aussi d'amour entre les mères et leurs filles, entre les hommes et les femmes. Nous sommes à la fin des années 40.
Si le début du roman m'a paru confus, cela m'a finalement fait sens. N'hésitez pas à faire quelques recherches préalables sur l'Histoire du Cameroun et à vous référer à l'arbre généalogique en début d'ouvrage.
Tout d'abord, les femmes.
L'auteur dresse un portait extrêmement vivant des traditions camerounaises et de ceux, mais surtout de celles, qui leur donnent corps et les transmettent. Les femmes sont au premier plan. Si elles n'ont pas le pouvoir, elles sont celles qui donnent la vie et à ce titre elles sont choyées et respectées.
« Un seule chose est sûre : tu es le fils de ta mère ».
Qu'on ne s'y trompe pas pour autant : les familles sont polygames et on marie les filles par raison.
Ensuite, les colons.
Justement, il ne s'agit pas de colonialisme au sens propre. le Cameroun a été partagé entre la Grande-Bretagne et la France au lendemain de la 1ère guerre mondiale car le pays appartenait à l'Allemagne. Les 2 vainqueurs avaient pour mission par la SDN puis par l'ONU de lui donner les moyens d'accéder à son autonomie. Bien sûr, cela ne s'est pas fait dans l'égalité des peuples et les Blancs se sont arrogés un pouvoir d'esclavagistes sous prétexte de construire des routes et des écoles.
Arrivent bien évidemment les maquisards.
C'est la dimension politique du roman, son but avoué (confer le titre). L'auteur met en scène les personnalités qui ont mené cette lutte contre l'occupant (autre pays, même histoire). le travail de documentation est colossal et la force du récit réside dans sa fluidité.
En conclusions
Ce roman est plein de richesses : la vie dans les villages, les personnages bien campés, l'entrelacs entre la romance (jamais bleuette) et le dur combat de ceux qui veulent redonner son unité et son indépendance au Cameroun, la force des descriptions des sentiments, l'intensité du récit, les intrigues.
C'est une belle découverte.
Les rencontres parisiennes – Décembre 2016
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Les maquisards, d'Hemley Boum publié aux éditions de la Cheminante en 2015 est un roman historique. L'écrivaine camerounaise maîtrise parfaitement les modalités du roman.
Si ses 385 pages racontent en effet plusieurs histoires d'amour : celle de Likak et de Muulé, celle d'Amos et de Esta…et pourraient répondre aux attentes des amateurs d'intrigues à rebondissements, de secrets douloureux, de sentiments intenses, si la saga familiale se déroule sur plusieurs générations et se nourrit de mère en fille, de père en fils des obstacles toujours là pour empêcher le bonheur de s'installer dans leur vie, si, pour parfaire un modèle littéraire bien connu du grand public, le décor est exotique ( nous sommes en Afrique, dans le pays Bassa, la forêt enveloppe les villages, la vie rurale ponctue les journées) ce très beau roman est tout autre chose.
Les maquisards sont ces hommes et ces femmes qui depuis la fin de la deuxième guerre mondiale se sont battus pour obtenir le droit à disposer d'eux-mêmes. Toute la puissance de ce texte réside dans la capacité de cette auteure à brosser les portraits de ces êtres courageux au coeur d'évènements historiques qui ont marqué la lutte pour l'indépendance du Cameroun. L'oeuvre est très documentée, riche de renseignements, riche d'enseignements aussi.
Le livre est découpé en vingt chapitres, selon un ordre chronologique bouleversé. Fin 1958 (3 chapitres, puis 4 chapitres), 1948-1958 (8 chapitres), 1999 (5 chapitres). La choralité du livre pèse d'emblée sur l'issue du combat pourtant pacifique mené par Muulé et les siens. le premier chapitre le montre en prison, sous le joug des autorités coloniales françaises. de plus, comme l'auteure a cherché de toute évidence à donner chair à ses héros de l'histoire, le récit s'arrête autant de fois que nécessaire pour prendre le temps de décrire chaque personnage, quitte à revenir sur son passé, à jongler d'une page à l'autre avec des temporalités différentes. Un tableau au début du livre reprend les noms, les parentés, les liens entre chaque actant. L'auteure a probablement craint que le lecteur ne se perde dans cette galerie de personnages. L'attention est délicate, mais la consultation du tableau n'est pas nécessaire parce que chacun d'eux a une telle présence dans le livre que le risque de se perdre est vraiment ténu. du côté des Noirs : Mpodol, Muulé, Amos, Likak et d'autres ne sont pas simplement présentés psychologiquement, ils sont le fruit de coutumes, de rapports humains, ils appartiennent à une communauté qui les façonnent. Ils sont Bassa. Les renseignements ethnographiques fourmillent, passionnants, jamais anecdotiques. Face aux difficultés de la vie, aux douleurs de l'existence, de nombreuses phrases au présent de vérité générale proposent une réponse que chaque lecteur peut probablement faire sienne. Face à eux, d'autres portraits, tout aussi soignés, tout aussi fouillés, ceux des Blancs, Pierre le Gall, parangon du colonisateur raciste et borné, atrocement dangereux pour les populations qu'il maltraite sans vergogne, son fils, Christian, son exact opposé, physiquement, mentalement, la soeur Marie Bernard, véritable pont entre ces deux mondes. Noir et Blanc, chacun a ses failles, chacun a ses faiblesses, certains sont exceptionnels car ils sont capables d'abnégation, de grandeur d'âme. Ceux-là sont des héros, des figures tutélaires. le combat à mener est un combat pour la dignité, celles des Bassa, celle des Camerounais, et avec eux celle des Africains, mais aussi celle de tous ceux qui revendiquent l'égalité entre tous les humains. L'épisode des combats qui verra mourir Mpodol et ses amis est en ce sens très signifiant : des vainqueurs Blancs injurient les cadavres des vaincus devant Christian effaré face à tant d'ignominie.
Ce roman fictionnalise certes des épisodes de l'Histoire du Cameroun. Toute lecture l'installe dans un présent qui échappe à la seule volonté de reconstituer un simple puzzle évènementiel. Il est une oeuvre littéraire qui, si elle joue avec la chronologie, ne perd jamais de vue que le présent de 1999 comme celui de 2015 ne peut gommer les épisodes de ce passé récent. Elle a le mérite, après d'autres écrivains, comme Achille Mbembe, de donner corps, de donner vie à des figures majeures de l'Indépendance camerounaise. L'écriture de Hemley Boum a la vigueur du mot soigneusement choisi, de la syntaxe limpide, du refus de l'emphase ou des effets stylistiques. Les premières pages montrent Mpodol fuyant au coeur de la forêt:
L'aube parut sans crier gare. L'instant précédent, la forêt était obscure, avant même qu'il n'en prenne conscience, les couleurs lui sautaient au visage. Kaki sombre des feuilles pourrissantes couvrant le sol, châtain mordoré de celles à peine vieillies, brun noir des troncs centenaires, vert d'eau des jeunes pousses, absinthe des plantes en contact avec la lumière, trouble de celles qui poussent dans l'ombre, rouge orgueilleux des immortelles amarantes, arc-en-ciel écrasé des orchidées épiphytes. La rosée matinale achevait de laver la végétation des miasmes de la nuit. (p.20-21)
Les poèmes, à la fin du livre, sont magnifiques, empreints d'une sensibilité douloureuse qui ne peut que toucher au plus profond de lui-même chacun des lecteurs sans doute parce que les mots de Likak trouvent un écho en eux. Ils sont rédigés à la première personne du singulier comme s'ils avaient été écrits par Likak, ce qui est peu vraisemblable, puisqu'elle n'a pas pu faire d'études. Hemley Boum se fait la porte-parole des sans voix et joue des instances narratives pour ne pas leur voler ce qu'ils ont à dire. On sent son admiration, sa fascination pour ses personnages qu'elle ne se résout pas à enfermer dans une simple fiction romanesque.
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C'est le quotidien des héros de l'indépendance Camerounaise qui est retracé dans ce livre, dans ce roman qui mêle faits historiques et romance. Moi qui ne connaissait pas du tout ces évènements, c'est une belle surprise, au sens littéraire du terme, parce que les faits eux, sont beaucoup moins glorieux. Je dis "les héros" parce que le récit n'est pas du tout linéaire, toutes les histoires se chevauchent, se recoupent, et nous permettent d'entrevoir un panel important de personnages (merci le petit arbre généalogique / diagramme en 2ème page). En fait, c'est une saga familiale, à travers L Histoire camerounaise post coloniale, on s'attache à ces personnages, hauts en couleurs, au destin tragiques, à ces femmes et ces hommes fiers, aimants, drôles, fous.. et la structure du récit permet de ne pas se lasser, ou de pas tomber dans une certaine lenteur ou lourdeur.
Après un début un peut lent, j'ai eu peur de me perdre et de m'ennuyer, mais tout démarre d'un seul coup, et les personnages nous guident dans leur vies. Une petite dédicace à Likak, qui porte le roman sur les épaules, comme les femmes de son village portent le monde.
Ca donne envie d'aller plus loin, et c'est à ça que je reconnais souvent un bon livre.
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Ce livre raconte l'histoire d'une famille pendant la lutte pour l'indépendance du Cameroun.

Personnellement, je ne connaissait rien de cette lutte et pas beaucoup plus du Cameroun. Ca a donc été l'occasion de découvrir plein de choses. le livre raconte surtout la période avant 1958 (l'indépendance a été obtenue en 1960), et l'ambiance de résistance qui se crée peu à peu. La plupart des évènements "digne des livres d'histoire" (faits, combats, morts, lois et conséquences) n'est que brievement survolé en fin d'ouvrage. J'apprécie particulièrement cette construction qui s'appuie nettement sur le pourquoi et comment, sur l'évolution d'opinion du peuple, sur tous ce qui se passe dans l'ombre ou dans le maquis. du coup, j'ai dû aller chercher des informations supplémentaire sur internet ensuite pour avoir un tableau un peu plus général : on reste dans le roman, on est pas abreuvé de rappel historiques sans liens avec nos héros et c'est super. Et pas bien dur d'aller se renseigner par ailleurs une fois que l'intéret a été suscité. Et je me suis insurgée en découvrant (petite naïve que je suis) la politique française et internationale là-dedans, et malheureusement c'est pas tout à fait terminé (non, je ne peux pas vous faire de cours ou de discours enflammé sur la françafrique et ces tenants sordides, je viens tout juste d'en lire deux-trois pages wikipedia). Bref, une franche réussite côté historique.

Le côté saga familiale est très important et porte le récit : les liens entre personnages, leurs sentiments leur évolutions, les secrets et drames personnels. J'ai un peu pris peur en ouvrant le livre : la page de garde sert à présenter un arbre généalogique (mais pas que, on y trouve aussi des amis par exemple) aux multiple liens croisés qui semblent digne du pire feuilleton romantique. Je n'avais pas tellement tord : on se perd régulièrement dans les méandres des infidilités trans-générationnelles, et j'ai utilisé le diagramme à plus d'une reprise. On se prend au jeu, on s'attache aux personnages charismatique mais j'ai tout de même trouvé certaines lourdeurs dans la manières dont les liens entres les personnages principaux sont tous décrits comme atypique de manière particulièrement grandiloquente, accompagné de moult effet dramatique. On assiste ainsi à des coups de foudre formidable et à des mariage plats, sans que l'état d'esprit et les attachements des personnages n'évoluent avec le temps.

Cet aspect feuilleton romantique est accetuée par le style des dialogues : tous le monde s'exprime de façon très théatral, on a plein de déclaration solanelle et des discours construit et très précis sur les états d'âme des personnages. Chose que j'ai habituellement en horreur, mais qui, si elle se fait ici remarqué, en reste supportable.

Parce que tout cela est quand même "sauvé" par le fait que l'on est dans une culture bassa et chrétienne, et que ces réactions exacérbées suivies de loin discours permettent de mieux comprendre les personnages et leur environnement. On sent plusieurs influences plus ou moins contradictoire - notamment au niveau des moeurs - et ancrées à différents niveaux du pint de vue individuel et social. On touche du doigt certaines phénomènes anthropologique sans avoir l'impression de lire un coursq sur le sujet.

Le récit n'est pas linéaire. On suit globalement une poignée de personnages autour du maquis, qui à l'évocation de certaines personnes vont partir dans de grands flash-back sur leur histoire familiale. J'aime bien cette construction, même si l'on s'y perd un peu : ils débutent généralement par les souvenirs du personnages pour continuer sur un ton plus extérieur pendant plusieurs pages. La difficulté est que le retour au présent n'est pas toujours indiquée très clairement, j'aurais aimé une mise en page un peu plus claire.

Les personnages sont des héros tragiques avec des personnalités bien trempées et très définies. Je n'en suis habituellement pas fan.

Avec tout ça, on pourrait penser que j'y ai vu un livre plein de défauts. Et pourtant ! Je me suis laissé hapée par le roman, je voulait sans arret savoir la suite, je me suis attachée aux personnages, et, tout simplement, j'ai aimé. le rythme est bon, et pour moi ça compte pour beaucoup, et l'ambiance est bien présente. J'y ai retrouvé le même genre de plaisir que pour Les pilliers de la terre de Ken Follet : un roman historique épique plein de personnages forts, pas toujours très crédibles, mais terriblement attachants.

Merci à l'éditeur, La cheminante, et à Babelio pour cette belle découverte grace à l'opération Masse critique ! (J'ai décidément la main chanceuse quand je coche des livres au quasi-hasard)
Lien : http://lemoulinacritiques.bl..
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Une Histoire qui ne peut laisser indifférent. Comment des besoins fondamentaux tels que le respect de l'autre et la liberté d'être ont été bafoués par notre société occidentale qui porte une lourde responsabilité sur ce qu'il advient des iniquités dans le monde. Une histoire qui nous touche, chacun, dans notre chair. Plongés au coeur d'une noble cause. Invitation à la résistance face à toutes les ignominies.
Merci à Hemley Boum pour ce partage profond offrant une trace dans nos mémoires.
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Sans détour
Les personnages du roman de Hemley Boum sont vivants. C'est ce qui rend l'histoire elle-même, ainsi que les multiples intrigues, aussi vivantes et entraînantes. Dès la première phrase, on est comme pris dans ce fleuve puissant de mots, d'histoires, d'évocations historiques.
On pourrait présenter le roman comme l'histoire d'un héro, d'un leader au caractère et à la personnalité fort trempées, Ruben Um Nyobè, Mpodol (Porte-parole) pour ses adeptes, qui aura jusqu'à son tragique assassinat par les colons français, tout donné, tout tenté, pour s'opposer à l'oppression coloniale imposée à son pays. Oui, ce livre pourrait être tout simplement l'histoire du pourquoi et du comment du combat de celui qui dira ouvertement NON à la colonisation sous toutes ses formes, et réclamera, jusqu'aux Nations Unies, une indépendance immédiate et sans condition du Cameroun. On aurait pourtant du mal à ignorer ces compagnons de lutte si présents et si précieux du Mpodol, Amos, Muulé, Kundè … qui de génération en génération laissent leur empreinte dans ces multiples intrigues. Mais ce roman pourrait également être tout simplement l'histoire de la confrontation quotidienne entre colons et colonisés en pays bassa, ou encore, celle tragique de familles meurtries et décimées dans le combat pour la libération de Cameroun sous occupation française. Mais comment ne pas y voir aussi ces histoire d'amour aussi passionnées que passionnantes qui noue tiennent en halène et nous font parfois oublier le tragique des évènements alentour ? Comment ne pas y voir aussi l'histoire de ces femmes fortes, fortement ancrées dans leurs traditions ancestrales mais capables de se projeter vers l'avenir ? Gardiennes des traditions, garantes de la stabilité sociale et en même temps filles, belles-mères, grand-mères, épouses, tantes, belles soeurs, amantes aimantes, qui à l'image de la Lionne Esta Ngo Mbondo Ndje nous engagent parfois, sans flancher, dans un « dialogue » d'égal à égal avec l'Europe colonisatrice, souvent trop sûre de ses valeurs.
C'est que Hemley Boum aura voulu ce roman à plusieurs entrées. Les trajectoires qui se croisent, se décroisent et s'entremêlent en même temps nous donnent à vivre des personnages aux motivations et aux caractères variés, parfois contradictoires, mais très engagés. Engagés dans un combat, pour ou contre l'occupation coloniale, mais parfois aussi dans des combats beaucoup plus personnels. C'est également un roman sur l'Amour dans toute sa splendeur et dans tous ses états, avec sa magie, ses maux, ses pulsions, ses contradictions, ses dérives.
Hemley Boum y engage une déconstruction de la vision colonialiste dénigrante et avilissante de la société africaine précoloniale et de ses fondements, elle décrit ou plutôt chante une Afrique belle, profonde, hospitalière, harmonieuse et vivante.
Hemley Boum, à travers la voix d'un narrateur omniscient, parfois même à l'extrême, raconte sans détour aucun la vie et le combat de ceux qu'on appela alors « Maquisard », c'est-à-dire les opposant et résistants à l'occupation coloniale, souvent réduits dans leur lutte contre les colons à la clandestinité, autour d'un leader, Ruben Um Nyobè que Hemley Boum refuse tout de même, malgré sa place dans l'histoire, celle vraie ou racontée, de faire son personnage central. Hemley Boum retrace à la place les différentes trajectoires de ces martyrs de la lutte anticoloniale, héros d'un peuple. Elle parle de leurs combats, de leurs idéaux, de leurs peurs, de leurs espoirs, mais aussi de leurs contradictions, de leurs conflits personnels et des défaillances internes de leur systèmes. Ainsi, l'auteure mêle vie politique et vie familiale, combat idéologique et relations amoureuses, pour réussir à créer des personnages africains souvent engagés, même au péril de leur vie, mais surtout profondément humanistes. Sans tout peindre en noir ou en blanc, Hemley Boum montre à travers les relations entre des personnages tels Esta Ngo Bondo Nje et la soeur Marie-Bernard ou encore le fils mal aimé Gérard le Gall et Alexandre Nyemb dit Muulé, que dans ce contexte d'extrême violence et de confrontation il existe encore la possibilité de l'apaisement, d'un humanisme vécu et partagé, mais aussi que quelles que soient les causes engagées dans ce combat, la réalisation ou l'accomplissement de différents destins ont souvent été guidés par des forces se situant au-delà des personnes et des convictions individuelles et individualistes.
Hemley Boum engage aussi un travail de mémoire qui avant elle aura connu la plume d'illustres auteurs tels Mongo Beti, ou encore plus récemment, A. Patrice Nganang, au sujet des guerres d'indépendance du Cameroun et du rôle de l'occupant français dans l'assassinat de leaders nationalistes tels Ruben Um Nyobè.
Mais parce que l'on part du présent pour évoquer le passé, parce qu'on ne saurait parler de passé sans envisager en même temps le futur, parce que ces trois instances, comme le dirait Walter Benjamin, se tiennent, Hemley boum évoque également l'héritage de la colonisation française, la nouvelle classe de compradors locaux et leurs complicités avec les colons, source de malgouvernance et fardeau toujours porté par les peuples d'Afrique. Ce livre est donc aussi et surtout un procès fait à la colonisation française et à son lourd héritage au Cameroun. On ne doit pas chercher l'auteure elle-même trop longtemps, tant sa présence est perceptible à travers ce narrateur parfois partial à souhait et inquisiteur. Hemley Boum sait entraîner son lecteur, elle le lier, au point de ne plus lui laisser que la seule possibilité de la suivre. On échappe difficilement, en tant que lecteur, à l'empathie et même à une sorte de projection lorsque les amants Kundè et Likak sont privés, une, puis deux fois, d'un Amour puissant, pur et passionné, ou encore lorsque le sort qui s'acharne, joue à rendre Likak, encore elle, « folle », à la perdre, en lui enlevant, tour à tour, et de façon extrêmement violente, tous les êtres les plus chers à son coeur, entraînant avec eux la cause pour laquelle elle aura tant sacrifié. Oui, en ce sens, « Les maquisards » c'est aussi une tragédie, celle des Amours rendus impossibles, celle des causes et des rêves détruits, celle des générations sacrifiées sur l'autel d'une indépendance qui n'est finalement évoquée dans le roman que pour rappeler que malgré tous ces sacrifices, elle n'aura jamais véritablement été effective, peut-être est-ce là la plus grande des tragédies de ce roman historique très agréable à la lecture. Vivement que les prochains tirages le débarrassent des multiples coquilles qui bien entendu n'entament pas la qualité du texte.
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C'est la première fois que je lis un roman d'un auteur africain grâce à Babelio et à Masse Critique et ça ne sera pas la dernière fois.
Hemley Boum nous conte la lutte des indépendantistes pour un Cameroun livre sous la forme un peu d'une saga avec beaucoup de personnages très attachants, surtout Amos et Esta.
J'ai appris de nombreuses choses sur L Histoire et la culture de ce pays. La vie au village avec sa hiérarchie et son entre-aide, la solidarité dans la lutte, les relations entre les Blancs et les Noirs, ...
L'écriture d'Hemley Boum est belle, fluide, à la fin du roman il y a des poèmes qui m'ont énormément touché.
J'ai passé un bon moment auprès des Maquisards.
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Quand la fiction s'empare d'une figure mythique des indépendances à savoir Ruben Um Nyobé, leader charismatique de l'Union des Populations Camerounaises, assassiné en 1958 dans le maquis, cela donne un grand roman écrit par Hemley Boum, Les maquisards (Editions La Cheminante)...
Lien : http://gangoueus.blogspot.fr..
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Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les Maquisards est tout autant une saga familiale qu'un livre militant. le discours politique est toujours présent, parfois en toile de fond, mais les maquisards est beaucoup plus qu'un livre politique, qu'un plaidoyer pour l'indépendance. On suit en détail l'histoire de plusieurs familles, toutes engagées dans le combat pour l'indépendance du Cameroun, mais l'essentiel du récit parle de la vie au village, des relations entre les personnages, des histoires d'amour plus ou moins couronnées de succès. Il nous explique comment les traditions permettent de conserver la cohésion du village, mais aussi comment elles peuvent peser sur la vie de ceux qui pensent différemment : "Notre société n'a aucune sympathie pour ceux qui se singularisent comme tu le fais".

Certains personnages sont très marqués, comme Ruben Um Nyobè, alias Mpodol, le leader apôtre de la non-violence (à noter d'ailleurs que Ruben Um Nyobè a réellement existé et qu'il était à la pointe du combat pour l'indépendance), ou Pierre le Gall, le colon qui ne connait que la brutalité, ou encore Soeur Marie-Bernard, qui pratique la charité chrétienne au quotidien. D'autres sont plus complexes, tels Amos, Likak ou Muulé, il faut dire qu'ils sont soumis à de nombreux dilemmes. Comment réagir quand la France leur propose d'être le représentant de la région bassa ? L'auteure nous dit :
"L'occupant avait une méthode parfaitement huilée et efficace pour maintenir le peuple sous sa coupe. Il choisissait un nombre réduit d'indigènes à qui il attribuait des pouvoirs afin de maintenir ou de transformer les réseaux d'intérêts locaux. le peuple subissait le double joug des colons et de leurs propres chefs."
Comment doivent réagir ceux qui sont approchés par le pouvoir colonial ? Accepter pour essayer d'influer sur la politique camerounaise au risque de devenir complice des colons ? Refuser et devenir leur ennemi, voire leur cible, et risquer de voir un pantin accepter la place ?

Le roman parle beaucoup des relations humaines et des dilemmes que vivent les militants, car l'attitude au jour le jour ne dépend pas que des convictions politiques. Ça m'a rappelé l'attitude des Français durant l'occupation, il y a eu des héros qui se sont sacrifiés, des gens qui ont joué et souvent perdu leur vie, mais aussi des gens qui ont parfois aidé l'occupant lorsqu'il y trouvaient un intérêt. Dans les maquisards on parle aussi de sacrifice et de trahison, et cela n'a rien à voir avec les convictions. Donner un résistant aux autorités coloniales peut être un moyen de régler un problème personnel, et ce pour la plus grande joie desdites autorités.

A un certain moment le discours est un peu idéaliste :
"La défaite des braves a permis à l'occupant de répliquer l'exemple camerounais, de mettre ses sbires au pouvoir de la nouvelle Afrique « indépendante », s'en sont suivies des décennies de pauvreté, de corruption qui durent encore."
Ce n'est pas si simple, la pauvreté et la corruption ne sont pas le seul fait de la post-colonisation, et c'est beaucoup trop facile de tout mettre sur le dos de l'ancienne puissance coloniale. L'indépendance n'est pas la garantie d'un gouvernement "propre" et certains leaders du combat indépendantiste ont débarrassé leur pays de l'autorité coloniale uniquement pour en devenir les dictateurs (Robert Mugabe au Zimbabwe, Isaias Afwerki en Érythrée, Sekou Touré en Guinée ...).

Les maquisards est un livre bien écrit, agréable à lire, et qui nous dit beaucoup sur les traditions du Cameroun et sur ce qu'était le combat contre le colonialisme à la fin des années 1950.
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