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Critique de SoniaFontaine


Les maquisards, d'Hemley Boum publié aux éditions de la Cheminante en 2015 est un roman historique. L'écrivaine camerounaise maîtrise parfaitement les modalités du roman.
Si ses 385 pages racontent en effet plusieurs histoires d'amour : celle de Likak et de Muulé, celle d'Amos et de Esta…et pourraient répondre aux attentes des amateurs d'intrigues à rebondissements, de secrets douloureux, de sentiments intenses, si la saga familiale se déroule sur plusieurs générations et se nourrit de mère en fille, de père en fils des obstacles toujours là pour empêcher le bonheur de s'installer dans leur vie, si, pour parfaire un modèle littéraire bien connu du grand public, le décor est exotique ( nous sommes en Afrique, dans le pays Bassa, la forêt enveloppe les villages, la vie rurale ponctue les journées) ce très beau roman est tout autre chose.
Les maquisards sont ces hommes et ces femmes qui depuis la fin de la deuxième guerre mondiale se sont battus pour obtenir le droit à disposer d'eux-mêmes. Toute la puissance de ce texte réside dans la capacité de cette auteure à brosser les portraits de ces êtres courageux au coeur d'évènements historiques qui ont marqué la lutte pour l'indépendance du Cameroun. L'oeuvre est très documentée, riche de renseignements, riche d'enseignements aussi.
Le livre est découpé en vingt chapitres, selon un ordre chronologique bouleversé. Fin 1958 (3 chapitres, puis 4 chapitres), 1948-1958 (8 chapitres), 1999 (5 chapitres). La choralité du livre pèse d'emblée sur l'issue du combat pourtant pacifique mené par Muulé et les siens. le premier chapitre le montre en prison, sous le joug des autorités coloniales françaises. de plus, comme l'auteure a cherché de toute évidence à donner chair à ses héros de l'histoire, le récit s'arrête autant de fois que nécessaire pour prendre le temps de décrire chaque personnage, quitte à revenir sur son passé, à jongler d'une page à l'autre avec des temporalités différentes. Un tableau au début du livre reprend les noms, les parentés, les liens entre chaque actant. L'auteure a probablement craint que le lecteur ne se perde dans cette galerie de personnages. L'attention est délicate, mais la consultation du tableau n'est pas nécessaire parce que chacun d'eux a une telle présence dans le livre que le risque de se perdre est vraiment ténu. du côté des Noirs : Mpodol, Muulé, Amos, Likak et d'autres ne sont pas simplement présentés psychologiquement, ils sont le fruit de coutumes, de rapports humains, ils appartiennent à une communauté qui les façonnent. Ils sont Bassa. Les renseignements ethnographiques fourmillent, passionnants, jamais anecdotiques. Face aux difficultés de la vie, aux douleurs de l'existence, de nombreuses phrases au présent de vérité générale proposent une réponse que chaque lecteur peut probablement faire sienne. Face à eux, d'autres portraits, tout aussi soignés, tout aussi fouillés, ceux des Blancs, Pierre le Gall, parangon du colonisateur raciste et borné, atrocement dangereux pour les populations qu'il maltraite sans vergogne, son fils, Christian, son exact opposé, physiquement, mentalement, la soeur Marie Bernard, véritable pont entre ces deux mondes. Noir et Blanc, chacun a ses failles, chacun a ses faiblesses, certains sont exceptionnels car ils sont capables d'abnégation, de grandeur d'âme. Ceux-là sont des héros, des figures tutélaires. le combat à mener est un combat pour la dignité, celles des Bassa, celle des Camerounais, et avec eux celle des Africains, mais aussi celle de tous ceux qui revendiquent l'égalité entre tous les humains. L'épisode des combats qui verra mourir Mpodol et ses amis est en ce sens très signifiant : des vainqueurs Blancs injurient les cadavres des vaincus devant Christian effaré face à tant d'ignominie.
Ce roman fictionnalise certes des épisodes de l'Histoire du Cameroun. Toute lecture l'installe dans un présent qui échappe à la seule volonté de reconstituer un simple puzzle évènementiel. Il est une oeuvre littéraire qui, si elle joue avec la chronologie, ne perd jamais de vue que le présent de 1999 comme celui de 2015 ne peut gommer les épisodes de ce passé récent. Elle a le mérite, après d'autres écrivains, comme Achille Mbembe, de donner corps, de donner vie à des figures majeures de l'Indépendance camerounaise. L'écriture de Hemley Boum a la vigueur du mot soigneusement choisi, de la syntaxe limpide, du refus de l'emphase ou des effets stylistiques. Les premières pages montrent Mpodol fuyant au coeur de la forêt:
L'aube parut sans crier gare. L'instant précédent, la forêt était obscure, avant même qu'il n'en prenne conscience, les couleurs lui sautaient au visage. Kaki sombre des feuilles pourrissantes couvrant le sol, châtain mordoré de celles à peine vieillies, brun noir des troncs centenaires, vert d'eau des jeunes pousses, absinthe des plantes en contact avec la lumière, trouble de celles qui poussent dans l'ombre, rouge orgueilleux des immortelles amarantes, arc-en-ciel écrasé des orchidées épiphytes. La rosée matinale achevait de laver la végétation des miasmes de la nuit. (p.20-21)
Les poèmes, à la fin du livre, sont magnifiques, empreints d'une sensibilité douloureuse qui ne peut que toucher au plus profond de lui-même chacun des lecteurs sans doute parce que les mots de Likak trouvent un écho en eux. Ils sont rédigés à la première personne du singulier comme s'ils avaient été écrits par Likak, ce qui est peu vraisemblable, puisqu'elle n'a pas pu faire d'études. Hemley Boum se fait la porte-parole des sans voix et joue des instances narratives pour ne pas leur voler ce qu'ils ont à dire. On sent son admiration, sa fascination pour ses personnages qu'elle ne se résout pas à enfermer dans une simple fiction romanesque.
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