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Critique de kielosa



Ivan Bounine (1870-1953) a été le tout premier écrivain russe et aussi le premier auteur en exil à recevoir le Prix Nobel littérature, en 1933. le présent ouvrage est probablement le seul journal intime des années 1918-1920 écrit par un ennemi de la Révolution russe d'octobre 1917. L'auteur méprisait les bolcheviques qui, selon lui, ruinaient sa patrie bien-aimée.

Déjà en 1903, il avait reçu l'important Prix Pouchkine. Lorsque ses amis décédaient, Anton Tchekhov en 1904 et Léon Tolstoï en 1910, Bounine restait le seul à maintenir l'héritage de "l'écriture aristocratique" dans un contexte culturel qui rejetait de plus en plus les valeurs traditionnelles. Il avait vu à Ognevka (dans la région de Toula et Oryol) la dévastation de la ferme de son frère Evguėni par des éléments irréguliers se disant communistes.

Bounine constatait que la Russie venait d'entrer dans un cycle ou un cataclysme, qui finirait dans l'abîme ou l'apocalypse. Après un adieu à Maxime Gorki et son épouse Ekaterina, Bounine et sa femme Vera Muromtseva quittèrent Moscou le 3 juin 1918. L'écrivain avait 47 ans. Leur voyage par train hospitalier fut pénible et long et il leur a fallu 13 jours pour joindre la ville portuaire d'Odessa à la Mer Noire (1138 kilomètres ferroviaires).

Bounine connaissait Odessa pour y avoir vécu avec sa 1re femme, Anna Tsakni de 1898 à 1900 et d'y avoir perdu son fils Kolya de 5 ans. Ses souvenirs de cette ville la plus dynamique après Saint-Pétersbourg étaient donc mixtes : d'une part il y avait assisté à des pogroms et d'autre part il y avait rencontré ses amis écrivains Alexandre Kouprine (1870-1938), l'auteur du célèbre roman "Le duel" (de 1904) et surtout Anton Tchekhov de qui il a écrit une biographie doublée d'un essai "Sur Tchekhov". Un véritable monument littéraire.

Comme les Soviétiques gagnaient progressivement le dessus, pendant que des ex-soldats du général Anton Dénikine (1872-1947), chef des Armées blanches, volaient et pillaient pour survivre, Bounine, la mort dans l'âme, savait que l'heure de l'exil avait sonné. La propre fille du commandement en chef, l'essayiste Marina Grey-Denikina a écrit un intéressant ouvrage à ce sujet "La campagne de glace : Russie 1918", qui récrée justement ce climat dingue.
Troupes rouges ou blanches, la violence et l'horreur étalent par ailleurs réciproques.

L'année 1920, il y a exactement un siècle, le grand Nobel, après un périple à travers le Balkan, est venu s'installer en France, qui lui a accordé la nationalité. Il a vécu jusqu'à sa mort, d'une crise cardiaque le 8 novembre 1953, au numéro 1 rue Jacques Offenbach à Paris XVI, où une belle plaque commémorative de son séjour de 33 ans orne la façade.
L'homme qui a été tellement calomnié dans son pays de naissance par ce sympathique régime de Staline et successeurs, y a actuellement 3 musées à son nom. L'ouvrage sous rubrique qui y était rigoureusement interdit pendant toutes ces années, y connaît aujourd'hui une 16ème réédition !

Après lecture de "Jours maudits", je suis encore plus persuadé qu'Ivan Bounine a été un homme d'une qualité littéraire rare. Il a cette ouverture d'esprit du grand voyageur et la discipline d'un traducteur consciencieux (il a traduit entre autres Lord Byron et Alfred de Musset et a voyagé, dès avant 1914-1918, en Égypte, aux Indes, en Turquie, Palestine etc.)
Et il a ce génie de la formulation.

Grâce aux immenses efforts de l'écrivain et professeur new-yorkais Thomas Gaiton Marullo, qui a préfacé l'ouvrage et enrichi le texte de maintes annotations, plus quelques corrections d'erreurs de Bounine dues à la distance de sa patrie, ce livre offre un intérêt historique tout à fait exceptionnel.
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