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Citations sur Le village (12)

Seigneur Dieu, quel pays ! De la terre noire à une profondeur d'un mètre, et de quelle qualité ! Et jamais un lustre ne s'écoule sans amener une famine. La ville est renommée par toute la Russie pour son commerce de blé mais, quant à manger du pain à satiété, il n'y a peut-être qu'une centaine de personnes, dans toute la localité, qui puissent se payer ce luxe. Et la foire, cette foire ? Des mendiants, des idiots, des aveugles, des estropiés, laids à faire peur, à donner des nausées, par bataillons entiers !
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Bounine s'est fait remarquer en Russie par la pureté et la correction de sa langue, quelque peu sèche, et surtout par ses excellentes traductions du Caïn de Byron et du Chant de Hyawata de Longfellow, ainsi que par ses poésies, discrètes et agréables, qui révélaient en lui un bon artiste-paysagiste. Parmi ses oeuvres en prose, ce n'est guère que le Village qui fit sensation dans le monde slave. Lorsqu' après la guerre du Japon, si malheureuse pour la Russie, on entendit les coups de tonnerre annonciateurs de la première révolution russe, par tout le pays déferla une vague de dévastation des propriétés. Dès ce moment, Bounine, de ses yeux clairvoyants, vit le revers de la médaille : le peuple ne lui apparut pas avec une auréole au front ni sous les traits d'un porte-Dieu, mais comme un être emporté dans une débauche d'anarchie révolutionnaire. De cette impression naquit le Village (1909)
Il ne faut chercher pourtant dans cette oeuvre ni tendances, ni indignation, ni enseignement, ni désir de convaincre : Bounine est avant tout un artiste, et son tableau du Village n'est pas le fruit d'une inquiétude, ni du désir de jeter l'alarme, mais la constatation impartiale de ce qu'il a vu et senti à cette époque de la vie du peuple russe. On se tromperait cependant beaucoup si l'on voulait établir les caractéristiques du peuple russe tout entier d'après le Village de Bounine ; c'est la même erreur que commettraient des étrangers qui jugeraient du caractère de tout le peuple français d'après le beau roman d'Alphonse de Chateaubriand La Brière, où l'on trouve une peinture de la grossièreté et même de la sauvagerie de la population de ce petit coin de France..
(De Hofmann et Kulmann)


Je mettrai un bémol sur cette comparaison avec Chateaubriand !
Oui l'option que prenait le peuple ne paraissait pas à Bounine de nature à calmer les esprits, manipulé qu'il était par des idéologues sans merci, écartelé, pris dans la nasse avec les ouvriers comme si cela avait quelque chose à voir, les problèmes étaient bien distincts, mais les révolutionnaires se chargeaient d'y voir unicité et place au soulèvement général et pour certains par la violence.

Et s'il fallait faire une parenthèse avec la France et écouter les sirènes de Romain Rolland, intellectuel en vue, grand guignol, démagogue, peuple du monde entier unissez-vous dans son appel à la révolte internationale, que fallait-il de plus pour entretenir l'illusion ?

La paysannerie russe représentait alors 85% de la population, les provinces étaient gagnées par la famine, depuis la libération du servage, certains s'enrichirent, d'autres étaient encore plus dans la misère. C'était de la brasse coulée ! C'est sur ce terreau que vont s'échafauder les plans les plus fous, les plus audacieux des révolutionnaires qui déjà étaient gagnés par des luttes fratricides, lavage de cerveau, intimidations, manipulations. Des révolutionnaires socialistes en appelaient à la violence seule capable de vaincre et de renverser le régime tsariste, dans le sang en quelque sorte. Ajoutez-y un peu d'Antéchrist et on avait tous les ingrédients pour un cocktail explosif.

La situation sociale, il est vrai était arrivée à un point insoutenable, presqu' à un point de non retour. Un embrasement potentiel gagnait les esprits. La situation 1905-1910 était quasiment insurrectionnelle. C'est dans ce chaos invraisemblable qui n'est pas sans rappeler dans une moindre mesure évidemment nos situations d'aujourd'hui en occident, mais ça chemine ..En langage trivial, c'est toujours facile de foutre le bordel qui généralement en finalité profite à la réaction.

Et nous arrivons à notre Ivan Bounine qui ne l'oublions pas tout de même était de famille propriétaire foncier. Nous sommes en 1909 avec son Village? C'est ainsi qu'il va dresser un portrait impitoyable de la paysannerie de l'époque qu'il connaît bien, avec une lucidité remarquable, mais jamais ne mettant de l'huile sur le feu dans un sens ou dans l'autre de l'échiquier politique.

Pour illustrer ou corroborer ces propos, pas mieux que de lire nos grands littéraires étonnants de vérité et de lucidité, avant que ne s'installent pour 3/4 de siècle les écrivains de la honte soviétique.

La Matinée d'un seigneur, Léon Tolstoï Editions Climats 1999, oeuvre écrite en 1852, avant la libération du servage.127 pages. Il avait peut-être la naïveté de son inexpérience, mais avait-il la naïveté de ses objections face à la misère paysanne ?

Le Village, Ivan Bounine Editions Bartillat 2011, oeuvre écrite en 1909, 268 pages

Bounine ou la lecture de son oeuvre prend tout son sens aujourd'hui, car il y en a marre de toutes ces idéologies pernicieuses et subversives.

Il a été couronné au Nobel littérature avant guerre dans un contexte très particulier. Il s'agissait de faire entendre une voix libre et de consacrer un auteur de premier plan qui vivait dans la dure condition de l'exil.
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Le travail et la tranquilité manquaient perpétuellement au Gris. Sa mine justifiait le sobriquet qu'on lui avait donné: une face cendrée; maigre de partout; de taille moyenne; les épaules tombantes; une demi-pelisse courte, haillonneuse, crasseuse; des bottes de feutre déformées et rapiécées avec de la ficelle; et que dire du bonnet! Assis dans son isba, ne se débarrassant jamais de cette couffure, n'abandonnant jamais sa pipe, méditant soucieux, il avait l'air d'attendre, d'attendre toujours on ne sait quoi!
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Dans le voisinage, personne ne possédait trois chevaux et une voiture de ce genre. Les propriétaires des environs étaient des gueux, tellement gueux qu’il leur arrivait de rester trois jours sans pain ; ils avaient vendu jusqu’aux appliques d’or et d’argent de leur icônes ; un carreau était-il cassé, un toit menaçait-il de ruine, tout manquait pour les réparer ; les malheureux bouchaient les croisées avec des oreillers et disposaient, quand il pleuvait, des planches et des seaux sur les parquets : l’eau tombait des plafonds comme à travers un tamis…

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Ce n’était pas, semblait-il, sa maladie qui le déprimait ainsi, mais bien plutôt le spectacle de l’immense misère, de la grande laideur qui, depuis des siècles, pesaient sur cette ville et sur toute la région. Seigneur Dieu, quel pays !


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Sur le pacage dépouillé, se carrait brutalement une église grossièrement peinturlurée. Derrière cet édifice, brillait au soleil une petite mare glaiseuse, dominée par une digue de fumier; l'eau était opaque, jaune; là se tenait un troupeau de vaches qui, à tout instant, lâchaient leur bouse dans ce bain; et un moujik nu s'y savonnait la tête. Lui aussi s'était avancé dans l'eau jusqu'à la ceinture; sur sa poitrine étincelait une petite croix de cuivre, son cou et son visage étaient noir de hâle, et son corps d'une blancheur, d'une pâleur frappantes.
- Débride-le voir un peu, dit Tikhon Illiitch, poussant on cheval dans la mare, d'où montait l'odeur du troupeau.
Le moujik jeta son savon marbré de bleu sur le bord de l'eau, où les tas de bouse faisaient des taches noires, et, la tête toute grise de mousse, se couvrant par un geste de pudeur, s'empressa d'obéir. Le cheval tendit avidement le cou vers la mare, mais le liquide était si chaud et si repoussant que l'animal releva aussitôt la tête et se détourna. Tikhon Illiitch sifflait pour l'engager à boire, et cependant, dodelinant de la casquette :
- Eh ben, elle est jolie, votre eau! Vous buvez ça?
- Ah! mais, chez vous, est-ce qu'é' s'rait sucrée, par hasard? -- répliqua aimablement et gaiement le moujik - Ca fait mille ans qu'on en boit! Et p'is, l'eau, c'est rien, -- c'est plutôt l'pain qui manque...
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Vers le soir, Ivanouchka se leva et partit, sans se préoccuper du temps qu'il faisait, sans céder aux instantes prières qu'on lui adressait d'attendre jusqu'au matin... Et il prit un rhume qui lui coûta la vie, -- et, vers l'Epiphanie, trépassa dans la cabane de son fils. Celui-ci l'engageait à recevoir le viatique. Ivanouchka n'accepta point : il déclara que, quand on avait communié, on en mourrait, et il était décidé "à n' pas s' laisser faire". Durant des journées entières, il resta étendu sans connaissance; mais, même en son délire, il priait sa bru de répondre qu'il était sorti si la Mort venait frapper à la porte. Une fois, la nuit, il reprit ses sens, rassembla ses forces, descendit du poêle et s'agenouilla devant l'icone qu'éclairait une veilleuse. Il poussait de profonds soupirs, marmonnait de longues oraisons, répétant : "Seigneur, Petit-Père, pardonne moi mes péchés...". Puis, se mit à réfléchir, se tut longtemps, prosterné, la tête appuyée sur le plancher. Et tout à coup se redressa et dit fortement : "Non point, je n'cède point!" Mais au matin il vit que sa bru roulait de la pâte de farine et allumait un grand feu, dans le four...
- Ca s'rait-i' pour m'enterrer? -- demanda-t-il d'une voix qui trembla.
La bru se taisait. De nouveau il rassembla ses forces, de nouveau descendit du poêle, passa dans l'entrée : c'était bien ça, -- contre le mur se dressait un immense cercueil peint en violet avec des croix blanches à huit pointes. Alors il se rappela ce qui était arrivé, trente ans auparavant, à un voisin, le vieux Loukiane : Loukiane était tombé malade; on avait acheté le cercueil, -- c'était aussi un beau cercueil, qui avait couté cher, -- on avait rapporté de la ville de la farine, de l'eau-de-vie, du poisson salé; et Loukiane, va-t'en voir, avait guéri. Que faire du cercueil? Comment justifier la dépense? Loukiane, après cela, pensant cinq ans, entendit les malédictions des siens, subit leur reproches qui finirent par l'envoyer dans l'autre monde, mourant de faim, mangé de vermine et de crasse... Ivanouchka, s'étant rappelé ces choses, baissa la tête et rentra soumis dans l'isba. Et, la nuit, allongé sur le dos, sans connaissance, il se mit, d'une voix tremblotante, plaintive, à chantonner, de plus en plus bas, et tout à coup agita les genoux, fit un hoquet, gonfla sa poitrine d'un large soupir et, avec de l'écume sur ses lèvres entr'ouvertes, se figea...
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INCIPIT
Le bisaïeul des Krassov, surnommé le Tsigane parmi la domesticité, avait été traqué en chasse à courre, avec des lévriers, par le capitaine de cavalerie Dournovo. Le Tsigane avait enlevé la maîtresse de cet homme, son seigneur. Dournovo ordonna de conduire le Tsigane dans un champ, hors le village, et de le faire assoir sur un tertre. Puis, en personne, le propriétaire sortit avec sa meute et cria : " Taïaut!" Le Tsigane, qui était resté jusque-là immobile, hébété, se mit à fuir. Or, il est mauvais de fuir devant des lévriers.
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Autour des puits ouverts dans la glace de l'étang, dont s'abreuvait Dournovka, sur cette eau saumâtre, d'un sombre vert bouteille, durant des journées entières se tenaient courbées, leurs jupes retroussées au-dessus des genoux nus et bleus de froid, en chaussons mouillés, la tête enveloppée d'un gros châle, les femmes du village.
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Il se leva vivement, prit, derrière la glace, un gros livre à reliure de missel, de ses mains tremblantes mit ses lunettes et, avec des larmes dans la voix, hâtivement, comme s'il craignait d'être interrompu, il se mit à lire :
- Je pleure et sanglote quand je songe à la mort et que je vois, dans le cercueil étendue, notre beauté creée à l'image de dieu, défigurée, muette, sans apparence...
En vérité l'homme est vanité, la vie n'est qu'une ombre et un songe. Car c'est en vain que s'agite toute créature de la terre, comme le dit l'Ecriture : quand nous aurons conquis le monde, nous descendrons dans le cercueil où se trouvent assemblés les rois et les mendiants...
- Les rois et les mendiants! -- redit avec une ferveur désolée Tikhon Iliich et il hocha la tête.
- Notre vie est manquée, frérot! J'ai eu chez moi, tu comprends, une cuisinière, elle était muette, je lui avait fait cadeau, à c'te bête, d'un beau fichu : et elle le portait, elle l'usait, mais à revers... Tu comprends? Par bêtise et par avarice. Ca lui aurait fait gros cœur de l' porter du bon côté tout les jours; elle attendait un jour de fête; et quand l'jour de fête est venu,elle n'avait plus qu'une loque dans les mains... Eh ben, c'est comme moi... c'est ma vie, ça... Vrai de vrai!
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