Ne pas être algérienne. Ne pas être française. C'est une force contre les autres. Je suis indéfinie. C'est une guerre contre le monde. Je deviens inclassable. Je ne suis pas assez typée. "Tu n'es pas une Arabe comme les autres." Je suis trop typée. "Tu n'es pas française." Je n'ai pas peur de moi. Ma force contre la haine. Mon silence est un combat. J'écrirai aussi pour ça. J'écrirai en français en portant un nom arabe. Ce sera une désertion. Mais quel camp devrais-je choisir ? Quelle partie de moi brûler ?
Longtemps je crois porter une faute. Je viens de la guerre. Je viens d'un mariage contesté. Je porte la souffrance de ma famille algérienne. Je porte le refus de ma famille française. Je porte ces transmissions-là. La violence ne me quitte plus. Elle m'habite. Elle vient de moi. Elle vient du peuple algérien qui envahit. Elle vient du peuple français qui renie.
Cette langue qui s'échappe comme du sable est une douleur. Elle laisse ses marques, des mots, et s’efface. Elle ne prend pas sur moi. Elle me rejette. Elle me sépare des autres. Elle rompt l'origine. C'est une absence. Je suis impuissante. Je reste une étrangère. Je suis invalide. Ma terre se dérobe.
Je ne sais pas si je suis chez moi, ici, en France. Je ne le saurai jamais d'ailleurs. Ni à Rennes, ni à Saint-Malo, ni à Paris. Je ne sais pas si je suis chez moi en Algérie. Je ne le vérifierai jamais. Ce sentiment. Cette évidence. Je me suis toujours sentie clandestine au contrôle des passeports. Pas en règle. M'attendant toujours à être expulsée du rang des passagers, tenue par deux policiers, encadrée, puis conduite dans une petite pièce. Qui êtes-vous ? D'où venez-vous ? Où allez-vous ? J'ai toujours eu l'impression d'avoir un secret. D'avoir une double vie. D'abriter quelqu'un d'autre que moi. Que ma partie visible. De changer de visage. Selon le pays. Selon le policier. Selon les gens que je rencontre.
L'Algérie n'est pas dans ma langue. Elle est dans mon corps. L'Algérie n'est pas dans mes mots. Elle est à l'intérieur de moi. L'Algérie n'est pas dans ce qui sort. Elle est dans ce qui dévore. Elle est physique. Dans ce que je ne contrôle pas. Dans mes exigences. Dans ma volonté. Dans ma force. L'Algérie est dans mon désir fou d'être aimée.
Ces enfants qui n'ont jamais été des enfants. Parce que c'est difficile de vivre avec le sentiment de ne pas avoir été aimé tout de suite, par tout le monde. Ça se sent vite. C'est animal. Et ça change la vision du monde après. Ça poursuit. Ça brûle le corps. Le feu du regard des autres. Sur ma peau. Sur mon visage. C'est difficile de s'aimer après. De ne pas haïr le monde. De ne pas vouloir s'en éloigner.
Tous les matins je vérifie mon identité. J'ai quatre problèmes. Française ? Algérienne ? Fille ? Garçon ?
C’est moi que tu imiteras en France. C’est de moi que tu tiendras ça. Cette ronde sexuelle. Cette façon d’aller vers l’autre. De provoquer. De demander. De chercher. Toi tu ne viens jamais vers moi. Tu attends mon signe. Tu me subis. Je te traverse. Et je danse comme un homme. Je t’apprends à marcher comme Steve McQueen. Je t’apprends à jouer. Je t’apprends à nager le crawl sans t’étouffer. À te servir de la mer. Un, deux. Une nage à deux temps. Intérieur, extérieur, ta vie à deux temps. Toi, moi, toi, moi. Je suis en toi, Amine. Tu es pénétré.
Tu as les cheveux longs, noirs et bouclés. Tu pleures pour un rien. Tu gémis. On t’appelle la fontaine. Tu fais des crises de nerfs. Je te monte à la tête. Ta peau est si blanche, si fine. Tu veilles sous la peau d’une fille. Je t’apprends les forces du corps. Je t’aime comme un homme. Je t’aime comme si tu étais une fille. Tu fondes le mensonge de toute ma vie. Le monde entier se trompera sur moi.
Tous les matins je vérifie mon identité. J'ai quatre problèmes. Française ? Algérienne ? Fille ? Garçon ?
Écrire rapportera cette séparation. Auteur français ? Auteur maghrébin ? Certains choisiront pour moi. Contre moi. Ce sera encore une violence.