Passionnée par les récits de vies et autres témoignages, notamment sur la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, il y avait pour moi une évidence à lire le récit autobiographique de
Rochus Misch, présenté comme "le" garde du corps d'Hitler.
Après avoir lu assez rapidement les 254 pages de ce livre rédigé avec le concours de
Nicolas Bourcier, journaliste au journal le Monde, je dois dire que s'il est correctement écrit sur la forme, j'ai été quelque peu déçue par le fond. J'ai d'ailleurs apprécié les quelques pages de préface de ce journaliste qui précise les conditions dans lesquelles il a été amené à s'intéresser à l'auteur et comment il l'a accompagné dans son récit.
Certes, ce récit donne à voir comment un jeune homme d'une vingtaine d'année, pas particulièrement sensible aux thèses nazies ni membre du parti, mais néanmoins désireux de trouver un emploi bien rémunéré lui garantissant une certaine protection (à savoir la garantie d'avoir à court terme un emploi dans l'administration) s'est trouvé enrôlé dans le commando des gardes du corps de l'homme à la tête du 3e Reich allemand. Et comment il a vécu, de près, ces cinq années aux côtés de ce leader détesté par le monde entier.
Déçue disais-je, car on s'aperçoit assez vite que
Rochus Misch n'est qu'un garde du corps parmi tant d'autres, un uniforme parmi d'autres et non "le garde du corps d'Hitler" (je trouve qu'il y a là tromperie sur la marchandise de la part de l'éditeur). Il n'avait pas vraiment un rôle de protection (pas vraiment formé au maniement des armes, pas vraiment militaire ni ayant les capacités physiques de défendre) mais bien plutôt un rôle de factotum faisant essentiellement de la présence pour répondre aux besoins éventuels du Führer et des gens proches qui gravitaient autour de lui : à savoir, passer des appels, transmettre du courrier, faire des courses, voire exceptionnellement assister à des réunions... Somme toute un tout petit rouage de l'organisation administrative de la chancellerie du Reich.
Déçue disais-je, car si on entre assez bien dans le vécu assez fade du quotidien de la chancellerie, on y apprend pas vraiment grand chose. Sinon, peut-être, l'extrême organisation ruisselante (du haut vers le bas) et l'extrême discipline des Allemands affectés à diverses tâches qui semblent totalement se désintéresser du pourquoi du comment : ces gens-là ne parlent jamais entre eux de ce qu'ils observent, de ce qu'ils entendent, de ce qu'ils craignent, ni de ce qu'ils pensent des événements extérieurs qu'ils sont amenés à vivre de l'intérieur. Engagement entier ? Conditionnement ? Ignorance réelle ? Crainte de se faire dénoncer ? Déni ? ou volonté de transformer la réalité de la part de l'auteur ? On a vraiment le sentiment, à le lire, qu'ils n'étaient aucunement affectés, de quelque façon que ce soit, par cette guerre totale qui touchait pourtant de nombreux pays et de nombreux peuples.
Déçue disais-je, car l'auteur donne à voir une vision quasi caricaturale de Hitler qui semble gérer ses "troupes" en bon père de famille, certes distant mais apparemment pas le névrosé pathologique qu'on connaît. Il semble connaître le nom des gens qui le servent ; il semble se souvenir de leur situation personnelle et être à l'écoute des besoins éventuels. Là encore, on a quelques doutes sur la véracité des faits tels que racontés par l'intéressé (surtout quand on les croise avec d'autres témoignages).
Déçue disais-je, car on en apprend très peu sur les aspects stratégiques de la guerre et sur les volontés des uns et des autres de mener à bien "la solution finale" (par contre, on sait tout sur les divers déplacements en train ou en avion d'Hitler - ouf ! et sur ses multiples résidences). C'est clair, selon l'auteur, ce n'est qu'à la fin de la guerre et au cours de sa captivité de plusieurs années en Russie qu'il apprendra la réalité de la Shoah. Si c'est avéré, on comprend comment les choses ont été cloisonnées de façon systémique afin que les personnes impliquées dans la réalité de la vie d'Hitler ne puissent être informées et comprendre ce qui se déroulait à l'extérieur. Pour ma part, j'en doute et je penche vers la volonté délibérée de l'auteur soit de ne pas avoir voulu entendre ni voir, soit celle d'oublier après-coup très opportunément tous les aspects "gênants" de son récit.
Déçue disais-je, car si la relation entre Hitler et Eva Braun est évoquée succinctement, on reste quand même largement sur sa faim.
Déçue disais-je, car alors même que l'intéressé est présenté comme étant l'un des derniers témoins présents dans le bunker d'Hitler au moment de sa mort et de celle d'Eva Braun, en fait on s'aperçoit qu'il n'a quasiment rien vu ni entendu. On a donc des doutes légitimes - doutes d'ailleurs partagés longtemps par les Alliés dont les Russes qui ont été amenés à envahir le bunker - sur la réalité des personnes retrouvées mortes (on sait, et c'est confirmé dans le livre que Hitler avait plusieurs sosies prêts à le remplacer au pied levé).
Je trouve néanmoins qu'il est important que ce livre existe, tant pour l'intéressé et ses descendants que pour l'opinion publique. Il donne à voir un aspect des choses, selon le point de vue particulier de l'intéressé qui, faut-il le rappeler, a été très jeune formaté pour obéir, ne pas avoir une pensée propre, ni critiquer la figure d'autorité. Il est important de lire d'autres témoignages de personnes peut-être plus impliquées et plus lucides pour se faire une opinion de ce qui a réellement été.
Il donne par ailleurs à voir (c'est intéressant), dans le cadre de notices biographiques présentes en annexes sur plusieurs pages, la façon dont certaines figures nazies ont été amenées à créer et à organiser les structures d'appareil, à prendre des fonctions, ont été emprisonnées, jugées ou mortes ou comment elles se sont, après-guerre, réinsérées dans la société.
Pour information,
Rochus Misch est décédé en 2013 à quatre-vingt-seize ans.