Ayant déjà lu de nombreux ouvrages et articles de Bourdieu, je savais à quoi m'attendre en débutant la lecture de "Ce que parler veut dire". Une écriture assez complexe, certes, mais ô combien sociologique, presque philosophique et surtout, ô combien porteuse de réflexions. Il est impossible selon moi de lire du Bourdieu sans que notre cerveau bouillonne. D'autant plus sur un sujet tel que le langage puisque nous y sommes confrontés tous les jours. Qui parle ? Comment ? Qui ose prendre la parole ? Dans quelles circonstances ? En quelle(s) qualité(s) ? Etc. Autant d'interrogations que Bourdieu s'efforce de balayer avec des notions telles que celles d'habitus, d'éthos, de compétences linguistiques et d'espace social.
En somme, c'est un excellent ouvrage qui ne peut pas vous laisser de marbre. Bonne lecture à tous !
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Un classique qui met en perspective les enjeux socio-économiques et idéologiques du langage dont nous sommes le plus souvent inconscients. Une approche socio-linguistique intéressante mais d'un premier abord un peu complexe pour tout débutant dont je fais partie.
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Ce cumul des légitimités ouvre un champ à peu près indéfini aux stratégies de double jeu qui sont inscrites dans le prophétisme sacerdotal, permettant entre autres choses de cumuler les protections et les profits sans encourir les coûts et les risques normalement corrélatifs. Mais l'essentiel est que l'autorité s'affirme, si l'on peut dire, en s'affirmant : le fait de s'arroger les attributs ordinaires de l'autorité, à commencer par ceux qui concernent le style, comme les ellipses souveraines ou les impératifs tranchants, est une des stratégies possibles de l'usurpation du pouvoir symbolique.
Il n’y a pas de science du discours considéré en lui-même et pour lui-même ; les propriétés formelles des œuvres ne livrent leur sens que si on les rapporte d’une part aux conditions sociales de leur production – c’est-à-dire aux positions qu’occupent leurs auteurs dans le champ de production – d’autre part au marché pour lequel elles ont été produites (et qui peut n’être autre que le champ de production lui-même) et aussi, le cas échéant, aux marchés successifs sur lesquels elles ont été reçues.
J'appelle strategies de condescendance ces transgressions symboliques de la limite qui permettent d'avoir à la fois les profits de la conformité à la définition et les profits de la transgression. [...] Le consacré condescendant choisit délibérément de passer la ligne ; il a le privilège des privilèges, celui qui consiste à prendre des libertés avec son privilège. [...] Bref, un des privilèges de la consécration réside dans le fait qu'en conférant aux consacrés une essence indiscutable et indélébile, elle autorise des transgressions autrement interdite : celui qui est sûr de son identité culturelle peut jouer avec la règle du jeu culturel.
Le sens de la valeur de ses propres produits linguistiques est une dimension fondamentale du sens de la place occupée dans l'espace social : le rapport originaire aux différents marchés et l'expérience des sanctions imparties à ses propres productions sont sans doute, avec l'expérience du prix accordé au corps propre, une des médiations à travers lesquelles se constitue cette sorte de *sens de sa propre valeur sociale* qui commande le rapport pratique aux différents marchés (timidité, aisance, etc.) et, plus généralement, toute la manière de se tenir dans le monde social.
L’action proprement politique est possible parce que les agents, qui font partie du monde social, ont une connaissance (plus ou moins adéquate) de ce monde et que l’on peut agir sur le monde social en agissant sur leur connaissance de ce monde. Cette action vise à produire et à imposer des représentations (mentales, verbales, graphiques ou théâtrales) du monde social qui soient capables d’agir sur ce monde en agissant sur la représentations que s’en font les agents. Ou, plus précisément, à faire ou à défaire les groupes – et, du même coup, les actions collectives qu’ils peuvent entreprendre pour transformer le monde social conformément à leurs intérêts – en produisant, en reproduisant ou en détruisant les représentations qui rendent visibles ces groupes pour eux-mêmes et pour les autres.
Enseignement 2016-2017 : de la littérature comme sport de combat
Titre : Introduction
Chaire du professeur Antoine Compagnon : Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie (2005-2020)
Cours du 3 janvier 2017.
Retrouvez les vidéos de ses enseignements :
https://www.college-de-france.fr/site/antoine-compagnon
Le cours de cette année répond à celui de 2014 qui portait sur la « guerre littéraire » de 1914-1918, c'est-à-dire sur l'inscription de la réalité de la guerre dans les oeuvres, et sur les différentes postures, souvent paradoxalement pacifiques, que l'expérience de la guerre a prescrites aux écrivains. Il s'agira cette année au contraire d'envisager la production littéraire comme lieu d'une conflictualité sui generis, tantôt sur le mode d'une détermination au combat d'idées, tantôt sur le mode d'une compétition pour la survie au sein de ce que Pierre Bourdieu, dans Les Règles de l'art, a décrit comme le « champ » littéraire. Il s'agit aussi de faire un sort à une figure rencontrée dans le cours de 2016 : celle du crochet de l'écrivain chiffonnier, mise en place par Baudelaire, et qui pouvait toujours se retourner en arme. À partir de Baudelaire et en remontant dans la modernité littéraire, on découvre une généalogie d'images : la plume-épée des Dialogues et entretiens philosophiques De Voltaire, ou la plume de fer par laquelle, bien avant l'apparition de l'objet industriel lui-même, Ronsard décrit son ambition de défense d'une France royale et catholique, dans la Continuation du Discours des misères de ce temps (1563).
La création littéraire se définit régulièrement par comparaison avec les sports de combat, et même plus généralement avec le sport, en tant que le sport a rapport au combat, c'est-à-dire à la compétition. Il y a, chez elle aussi, des championnats, des prix, la possibilité d'un dopage. Tout jeune écrivain, avertit Fontenelle, doit se préparer à entrer en lice ; Maurice Barrès lui-même, qui s'est beaucoup tenu à distance des accidents de la camaraderie littéraire, a l'impression de rejoindre un « match professionnel » au moment de rendre compte de son exploration de l'Égypte. Tous les grands écrivains du XIXe siècle, à peu d'exceptions près, se sont battus en duel, comme si ce moment de duel révélait la valeur agonistique latente de la littérature. La littérature, plutôt ou autant qu'au loisir (otium), n'aurait-elle pas rapport au negotium, au remue-ménage ? La pacification, la consolation comptent parmi ses opérations possibles, mais leur inverse paraît une tendance constitutive de la création et de l'existence littéraire.
L'abbé Irail, dans ses Querelles littéraires (1761), s'intéressait à la figure d'Archiloque, tout à la fois premier poète lyrique et premier poète satirique, qui fait de la poésie avec sa colère et son désir de vengeance. le génie et la querelle sont liés : il n'y a pas eu de siècle de grand talent, observe-t-il, qui ne fût un siècle de grande agitation et de grande jalousie entre les écrivains. Comme dans la théorie économique de Bernard Mandeville, il semble que, dans les arts, les vices privés servent le bien général et que le florissement d'une culture repose sur la querelle permanente de ses représentants.
Notre rapport à la littérature reconnaît implicitement une telle dimension pugilistique, proprement romantique ; c'est la règle du winner takes all. Pierre Bourdieu et Harold Bloom ont été les théoriciens de cette difficulté de survivre en littérature, et de cette dynamique réelle de la littérature, bien différente d'un glissement naturel d'âges, qui fait se heurter d'une part les gloires littéraires acquises, pour qui l'urgence est de durer, d'autre part les aspirants à la gloire, qui savent qu'ils n'acquerront le droit de durer qu'en rejetant leurs prédécesseurs dans le passé.
Sportifs, escrimeurs, prisonniers : ce sont plusieurs figures, au sens de Roland Barthes, de cette agonistique motrice de la vie littéraire entre la Restauration et le Second Empire, qui seront envisagées tout au long du cours.
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