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Critique de Dez54


Les structures sociales de l'économie, du sociologue français Pierre Bourdieu est un essai à la frontière entre économie et sociologie qui s'intéresse aux liens entre ces deux disciplines au travers du prisme du marché de la construction de maisons individuelles.


Dans cet ouvrage, le sociologue tend à démonter une vision universitaire et libérale du marché de l'immobilier où des individus libres feraient des choix efficients et rationnels et maximiseraient leurs avantages. Plus que cela encore, il semble que l'auteur pour lequel l'Économie est une discipline sociale comme une autre souhaite replacer les sciences économiques dans L Histoire alors même que celle-ci a pris une certaine indépendance et prééminence vis à vis des autres domaines.


De fait, il profite également de cette étude sur la maison individuelle pour disséquer les mécanismes de pouvoir au sein des entreprises (à travers leurs positionnement et évolution dans le secteur du BTP) et les administrations (que ce soit dans les « hautes sphères » où les commissions orientent les politiques publiques ou dans le quotidien où des administrés se retrouvent confrontés des fonctionnaires territoriaux pour des délivrances de permis de construire). Enfin, l'auteur décrit au travers de ses études et rencontres une certaine désillusion (que l'auteur appelle « misère petite bourgeoise ») d'une société de plus en plus matérialiste mais dont les rêves (le mythe et l'image d'Epinal autour du pavillon de banlieue) se fissurent au contact de la réalité.


Disons-le dès à présent, c'est son principal défaut, l'ouvrage, même s'il est paru en 2000 est sensiblement daté. La plupart des études et enquêtes sont faites entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1980 dans des conditions sociales et économiques très différentes de celles que nous connaissons actuellement (politiques du logement, niveaux des taux d'intérêts, composition sociale de la société française, (in)attention portée à l'écologie et la facture énergétique etc.) dans un domaine où bien des choses ont changés.

Pour autant, si les données d'époque sont souvent obsolètes, les « mécanismes » restent eux toujours d'actualité et l'auteur développe plusieurs idées intéressantes :

-La première est le refus de la primauté de l'économie sur les autres sciences sociales. Pour l'auteur l'économie (les sciences économiques), telle qu'on la conçoit dans le monde occidental moderne, n'est pas ahistorique ni universelle même si elle est revendiquée comme telle. Elle est le résultat d'un processus historique et d'un rapport de force entre différentes couches sociales.

-Dans le secteur de l'immobilier, la maison individuelle n'est pas vue par ses acquéreurs comme un bien « fonctionnel » dont il s'agirait de maximiser le rapport qualité/prix. C'est également et avant tout un objet symbolique, une extension de l'individu et de ses valeurs affichées.

-Du côté des entreprises (de promotion et de construction dans le cas présent), elles sont généralement perçues par les économistes (des ultra-libéraux aux marxistes) comme des acteurs économiques rationnels qui cherchent à maximiser leurs profits et se développer. Mais Pierre Bourdieu met l'accent sur le fait que les intérêts des différents individus et sous-groupes qui la composent passent généralement avant celle de l'entreprise prise dans son ensemble, favorisant ainsi l'inertie.
-De même du coté de l'appareil bureaucratique de l'état (au sens large), Bourdieu note une tendance des institutions, services et organismes administratifs à « persévérer dans l'être » et à défendre non pas forcément l'intérêt général, ni même une idéologie mais également (et avant tout) la raison d'être du service d'état lui-même.


On retrouve à la fin de chaque chapitre un certain nombre d'entretiens que le sociologue a mené avec ses enquêtés (particuliers ayant acheté une maison, entrepreneurs, professionnels du bâtiment, vendeurs immobiliers, secrétaire etc.).


Pour conclure, j'ai trouvé le livre intéressant et instructif. Il rappelle notamment les limites, vite oubliées, de la logique de marché et des sciences économiques et redonne aux acteurs et structures économiques une « épaisseur » sociale. Pour autant, je doute qu'il soit idéal pour qui veut découvrir Bourdieu car son thème central est sans doute moins accrocheur que d'autres écrits (médias, domination masculine, reproduction sociale), qu'il souffre d'un début plutôt austère (le style très académique de l'introduction et du premier chapitre y joue sans doute une bonne part) et que la plupart des données étudiés datent d'une quarantaine d'années. À réserver plutôt à ceux qui ont déjà lu Bourdieu ou à des personnes ayant déjà quelques bases en économie et qui trouveront là un biais original pour penser l'économie.
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