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Critique de Enroute


Dans un essai très dense, Bourdieu condamne un système médiatique basé exclusivement sur la mesure de l'audimat, c'est-à-dire soumettant l'information à la loi du marché. Ce ne serait pas si grave si la télévision ne se présentait comme impartiale et objective et ne prenait une part si importante dans le champ journalistique, allant jusqu'à étouffer les pratiques journalistiques de la presse écrite et consacrant par sa très grande diffusion des personnalités non nécessairement reconnues par leurs pairs. C'est que plus un médium diffuse et plus il est amené à rechercher le consensus, c'est-à-dire à écarter les sujets clivants et à favoriser les "omnibus", des sujets qui n'apportent rien tels que les faits divers. Ajoutons à cela que le monde journalistique est soumis comme le reste de la société à la pression de l'urgence, il s'ensuit qu'il ne cherche pas le vrai, mais bien plutôt le rapide. Les "fast-thinkers" favorisent donc les idées reçues, celle qui ne demandent pas de temps pour être acquises. Pour parachever le tableau déjà bien noir, les journalistes, pas toujours très cultivés, vivent dans un microcosme socio-professionnel qui leur fait voir le monde à travers des "lunettes" qui leur révèle une réalité qu'ils imposent sous une forme d'objectivité comme la réalité. La pression concurrentielle et la crainte de rater des "scoops" enjoignent les lignes éditoriales à se copier les unes les autres et à ne différencier l'information que sur des vétilles invisibles au spectateur, contribuant à une information plate, vide, "omnibus", qui ne dit rien. Pire, les journalistes sont accusés ainsi de "créer" la réalité par le choix qu'ils font d'accorder du sérieux à telle ou telle personne qui se prend au sérieux. Ah, il faut encore ajouter que les débats sont souvent faussés, soit par le fait que les "invités" se connaissent et entretiennent des débats sans enjeux, soit au contraire vivent dans des mondes parallèles qui rendent le débat insensé. Alors pourquoi avec tant de médiocrité l'audience augmente-t-elle ? Et bien parce que la télévision joue sur les matières de ce qui dans le journalisme écrit est cantonné à la presse à scandale : les potins, l'exhibitionnisme, le sexe, le crime... d'où les sujets omnibus des faits divers, d'où... et la boucle est bouclée. Cette saturation de vide intellectuel ferme donc l'accès à une forme de pensée instruite et c'est ce qui rend la télévision menaçante pour les productions culturelles, mais plus encore, pour les démocraties, car tant que l'on ne parle de rien, on n'apporte pas au citoyen les outils pour acquérir l'autonomie, l'érudition et l'esprit critique dont il a besoin pour exprimer son opinion politique.

Au final, c'est l'outil même de la télévision qui est critiqué comme un fait social auquel participent consciemment ou malgré eux, ceux qui font la télé et ceux qui la regardent. Bourdieu ne semble pas enclin à admettre la possibilité d'une télévision de qualité, car c'est la télé en elle-même qui est problématique. On pense à internet qui n'est pas très différent dans son positionnement "neutre et objectif" et dont on sait que... En résumé : lisons des livres.
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