Certains silences valent mieux que toutes les confessions du monde.
Vallongue, 1945
Clara sursauta quand le bruit de la détonation, pourtant très étouffé par l'épaisseur des murs, parvint jusqu'à elle.
Clara sursauta quand le bruit de la détonation, pourtant très étouffé par l'épaisseur des murs, parvint jusqu’à elle. A tâtons, elle chercha la poire qui pendait à la tête du lit et la pressa fébrilement. La lumière du lustre inonda aussitôt sa chambre, tirant de l'obscurité un décor familier : ses deux bergères de soie ivoire et sa table juponnée, les lourds rideaux damassés, le bonheur-du-jour sur lequel elle écrivait tout son courrier.A moitié assise, Clara resta un instant aux aguets, mais le silence était retombé sur la maison. Certaine de n’avoir pas rêvé, elle enfi,la son négligé en hâte, se précipita vers la porte. C’était bien davantage qu’un pressentiment, presque une certitude quant au drame qui l'attendait, à l’horreur qu’elle allait découvrir, cette chose qu’elle redoutait tant et depuis si longtemps qu’elle avait pris l’habitude de vivre taraudée par l’angoisse. Un jour, une nuit, elle le savait, elle se trouverait devant le pire, et le moment fatidique était arrivé.
Si Charles avait parfois redouté ne plus être capable d'aimer, il était en train de découvrir avec amertume qu'il sétait trompé. Même si aucune femme ne pouvait prendre la place de Judith, une au moins se trouvait en mesure de le faire souffrir.
Toute sa vie, elle avait regardé droit devant elle, sans se perdre en vains regrets.
Il énonçait comme une évidence son droit d’être différent, et il réclamait sa liberté avec une certaine maturité !
D'abord, elle vit la silhouette de Charles debout au milieu de la pièce, rigoureusement immobile. Et presque en même temps, elle découvrit Edouard affalé sur le sous-main, le visage en sang et le regard vitreux, déjà méconnaissable. A côté de l'encrier, il y avait un révolver.
Très vite, l'une de ses priorités consista à dénicher une épouse à Édouard. Une femme qui saurait lui offrir toute la compassion dont il rêvait, qui admirerait en lui le chirurgien et devrait faire preuve d'une certaine docilité. Cette dernière qualité semblait indispensable à Clara, qui avait remarqué, au fil des ans, les accès d'autoritarisme d'Edouard. Elle s'efforçait de croire qu'il palliait ainsi son manque d'assurance, que c'était pour lui une manière de dissimuler ses complexes. En fait, elle se refusait à admettre qu'il y avait tout simplement quelque chose de méchant chez son fils aîné, voire de pervers, et qu'elle en était peut-être en partie responsable.