Terre indigo

Une robe pour quoi faire, grands dieux, alors qu'elle était en deuil ! Pour séduire qui, pour paraître où ? Mais à quoi pensait-il donc ? Comment pouvait-il être aussi léger ?
D'abord stupéfait, Joseph finit par se mettre en colère. Il subissait le même calvaire qu'elle et son chagrin n'était pas moindre. Seulement il fallait continuer à vivre.
- Pourquoi ? hurla-t-elle. Mon enfant est mort, il est dans la terre, tu comprends ça ? Et tu m'offres une robe ! Pourquoi pas des plumes ! Tu crois que je vais me mettre à danser ? Tu l'as laissé mourir, tout est ta faute ! Et c'est toi qui nous a conduits ici, Joseph ! En enfer !

Peu importait, pour l’état-major, les conditions de vie effroyables des combattants. Nul ne voulait reconnaître qu’on sacrifiait des hommes inutilement, que ces tranchées étaient pires que l’enfer avec la boue, les rats, les épidémies, les blessés atteints de gangrène. Les soldats étaient là pour souffrir et pour mourir, Joseph fut taxé de sensiblerie puis d’indiscipline et enfin de rébellion.

Plutôt que se lamenter, il fallait s’organiser pour vivre. Même si, ils en avaient tous conscience, il s’agissait juste de survivre dans leur cas.

Elle finit par réaliser que les prisonniers n’étaient pas qu’un troupeau de bétail et, en les regardant l’un après l’autre, elle avait découvert le regard de Pierre, ses traits virils, son air farouche. Au début, elle s’était contentée de l’observer tandis qu’il désherbait ou qu’il arrosait. Le désir était venu peu à peu. La première fois qu’il l’avait touchée, avec ses mains calleuses, elle avait cru défaillir de plaisir.

Le paquebot transatlantique Ville-de-Bordeaux approchait enfin de la côte. Ses machines tournaient au ralenti, faisant vibrer les ponts. Les passagers s'étaient massés à bâbord pour tenter d'apercevoir l'île, mais une brume persistante en noyait les contours. Pris de cette effervescence qui précède toujours l'arrivée au port, les marins hissaient les pavillons de courtoisie, préparaient les marres et les passerelles.