Les «violences urbaines » de l’autonome 2005 n’ont cessé d’abreuver la littérature savante et profane sur les banlieues françaises. Certains auteurs pour dénoncer les inégalités, d’autres pour crier au loup. Le pire s’est trouvé dans le discours politique stigmatisant relayé outrancièrement par les médias et salissant ainsi les familles des deux jeunes mineurs, Zyed et Bouna, dont la mort, survenue le 27 octobre 2005, fut l’accélérateur puis le déclencheur de cette révolte nationale.
Le livre de la journaliste Gwenael Bourdon, accompagnée par les souvenirs et les témoignages de Siyakha Traoré et Adel Benna, se propose d’examiner cette chronique judiciaire, enclenchée par les familles des victimes après la mort des deux adolescents, et de suivre avec patience et minutie une procédure qui a duré dix ans : 2005-2015.
Dans ce livre, la lecture chronologique de ces dix ans de procédure judicaire s’ordonne selon une logique inversée. L’auteure nous annonce d’emblée le verdict du 18 mai 2015 : « Dix ans d’attente pour deux relaxes » et poursuit sur les huit jours qui ont fait basculer dans la tourmente et le deuil les habitants du Chêne-Pointu. Elle termine l’ouvrage par les cinq journées d’audience et boucle ce marathon judiciaire par la reconstitution de la soirée du 27 octobre 2005.
Echappant aux interprétations parfois pathétiques des analyses sociologistes sur les « émeutes », le lecteur appréciera la grande attention portée par la journaliste à la colère mais aussi à l’émotion des habitants des quartiers populaires. Elle nous dévoile toute la tristesse collective de ce drame.
Cette chronique n’est pas une fiction, mais le récit clairvoyant et interrogatif d’un malheur annoncé. Le style concilie toujours la fidélité des discours à la clarté des faits. Certes ce travail se nourrit des faits mais aussi d’une curiosité intelligente et d’une incontestable sensibilité pour les proches et en particulier pour Muhittin Altun, le troisième adolescent, miraculé et seul témoin vivant de toute la scène.
Au fur et à mesure de la lecture du récit, Gwenael Bourdon parvient à nous convaincre d’une hypothèse inscrite en filigrane dans son ouvrage : si le 18 mai 2015 le Tribunal de Rennes a prononcé la relaxe en faveur des deux fonctionnaires de Police, il n’en reste pas moins que l’examen de la reconstitution de la course poursuite du 27 octobre 2005 (les échanges radiophoniques entre les agents de police et l’absence de preuves d’infraction sur le chantier) finit par nous convaincre du bien-fondé de la mise en accusation pour le motif de « non-assistance à personne en danger » et nous fait goûter à l’injustice ressentie par les familles.
Dans cette affaire, ils sont finalement nombreux à s’en sortir. Il y a certes les policiers, mais il ne faudrait pas oublier les hauts dirigeants politiques de l’époque. Alors que ces évènements auraient dû servir de leçon en matière de gestion de crise, la classe politique (de l’extrême droite à la gauche) pratique toujours et encore la provocation, l’humiliation et la stigmatisation des habitants des quartiers populaires.
Espérons que ce livre, très instructif, suscite une réelle prise de conscience.
[Je remercie le site Babelio et les éditions Don Quichotte, par le biais de l’opération Masse critique, de m’avoir offert la possibilité de rendre compte de cet ouvrage.]
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J'ai reçu « Zyed et Bouna» dans le cadre d'une opération Masse critique. Je tiens à remercier Babelio ainsi que les éditions Don Quichotte pour cette découverte.
Qui n'a jamais entendu parler de ces deux adolescents, électrocutés sur un site EDF à Clichy-sous-Bois. Dix ans après la mort de Zyed et Bouna, la journaliste Gwenael Bourdon décide de publier un livre avec l'aide d'Adel Benna et Siyakha Traoré, les frères endeuillés de Zyed Benna et Bouna Traoré afin de revivre ce drame qui avait déclenché trois semaines d'émeutes en banlieue parisienne.
27 octobre 2005 : Zyed, 17 ans, et Bouna, 15 ans, meurent électrocutés à Clichy-sous-Bois.
18 mai 2005 : les deux policiers poursuivis pour « non-assistance à personne en danger » sont relaxés.
Après nous avoir racontés leur histoire, ce récit nous permet de suivre cet interminable procès qui a duré dix ans.
Dès le début du livre, on nous annonce le verdict du 18 mai 2015 : les deux policiers sont relaxés. puis nous raconte ce qu'il c'est passé durant la semaine du 27 octobre 2005 dans cette banlieue parisienne. Enfin, le récit se termine par les cinq jours d'audience. Cinq jours de reconstitutions, de témoignages, dont celui de Muhittin, seul rescapé de cette tragédie. On lira et relira plusieurs fois cette phrase « En même temps, s'ils entrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau. » dite par un policier ce soir la. Ce récit réussit a nous convaincre que les deux policiers savaient ce qu'ils se passaient et qu'ils ont décidé de ne pas porter secours a ces deux jeunes. On ressent avec la famille cette injustice quand le verdict tombe.
Zyed et Bouna est un récit poignant, et dramatique. L'auteure réussit a nous transmettre la colère et la tristesse que toutes ces familles, amis et habitants de ces quartiers ont ressenti. Cette souffrance qu'ils ont ressenti quand la politique et les médias ont décidé de s'en mêler et de ne pas toujours raconté la vérité. Pendant des années ils ont du revivre ce drame, le raconter, le reconstituer pour que justice ne soit pas faite. Ce livre m'a beaucoup touché, merci pour cette découverte.
https://www.youtube.com/watch?v=Ca06_KKw63g Je met en lien cette vidéo qui est un hommage a Zyed et Bouna, avec la participations de plusieurs chanteurs. Un magnifique hommage et une pensée pour Muhittin.
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Adel est resté là, frémissant de rage, avec au cœur l'impression qu'on avait accordé ce procès à sa famille, cette famille d'immigrés et anciens habitants de Clichy-sous-Bois, que pour mieux la punir d'avoir porté plainte.
"En fait, le lendemain, il (Muhittin) a dit à ses parents qu'il avait besoin de prendre l'air. Il est sorti, mais il est pas resté au quartier. Il a marché, marché, marché, et au bout d'un moment, tout seul, il est allé juste devant le commissariat de Livry. Et là il s'est mis à crier qu'il était revenu, qu'ils pouvaient venir, qu'il voulait mourir. Il a pleuré, les policiers savaient pas quoi faire. Pour finir, il a fait prévenir les grands de la cité. C'est eux qui sont venus le chercher pour le ramener chez lui" (propos recueillis par l'auteure)
Le jour a fini par se lever. L'aube répand sur Clichy une lumière aussi grise que les carcasses tordues des voitures brûlées.
"La nuit a été tumultueuse, bruyante. Certains se sont relevés pour vérifier par la fenêtre que la voiture ne flambait pas."