AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de SednaX


SednaX
09 décembre 2014
Si je devais résumer mon sentiment final en un seul mot à l'attention des potentiels futurs lecteurs (surtout pour les ados), ce serait celui-ci : ATTENTION !

*** Comme cette critique est très (trop ?) longue, j'ai déposé un résumé de celle-ci dans les commentaires juste en dessous. Si vous n'avez pas le temps ou le courage de tout lire, le résumé peut suffire. Pour plus de détails, les voici maintenant. Merci de votre attention ! ***

Ce livre aborde le délicat sujet des adolescentes tombant enceintes très jeunes, et plus particulièrement sans l'avoir souhaité. Ce qui implique nécessairement la question de l'IVG : faut-il ou non garder un enfant dans ces conditions ?

Clara a 15 ans et vit sa vie d'adolescente de manière relativement classique, c'est-à-dire avec toutes les difficultés que l'on peut rencontrer à cet âge : incompréhension des parents, changements du corps difficiles à accepter, entrée dans la sexualité et toutes les questions qui se posent à ce sujet.

C'est lors d'une soirée à laquelle elle n'avait pas été autorisée à se rendre (classique, quand on est ado ^^) qu'elle va découvrir d'une part l'exaltation du rapprochement avec un garçon, Alex, et d'autre part, malheureusement, la mauvaise expérience d'être droguée puis violée à son insu par ce même garçon. La pauvre jeune fille ne va même pas comprendre tout de suite ce qui lui est arrivé et même sa meilleure amie ne va pas oser lui dire ce qu'elle a vu, préférant "ne pas la traumatiser, ce n'était pas la peine d'en rajouter". Pourquoi pas.
Ce n'est cependant que 3 mois plus tard que Clara va comprendre l'ampleur de l'événement en comprenant qu'elle est tombée enceinte suite à ce viol.

Là où l'auteur a su tirer montrer un talent d'écriture, c'est en plaçant un contexte dans lequel bien des adolescentes pourront se reconnaître :
-des conflits permanents avec les parents (une mère tyrannique et peu aimante, même si elle le prétend, pour parler à sa fille comme elle le fait, j'estime que ce n'est pas de l'amour filial ! et un père qui préfère éviter les conflits et fait le dos rond en attendant que ça se passe) ;

-des conflits même entre les parents qui sont au bord du divorce (ils vont tenter de se rapprocher au moment de la naissance du bébé, mais cela ne va pas durer et le divorce aura bien lieu) ;

-un puissant sentiment d'incompréhension (elle trouve sa mère égoïste et celle-ci lui rend la pareille, elle fini même par perdre sa meilleure amie parce qu'elles ne se comprennent plus vraiment) ;

-un cruel manque de communication ou plutôt une très mauvaise communication (chaque personnage campe sur ses positions sans jamais vraiment écouter ce que l'autre a à dire, ce qui ne fait qu'envenimer les conflits, ce qui n'est pas rare entre des adultes et des adolescents) ;

-le questionnement bien normal de jeunes filles qui découvrent leur corps et ses changements, ainsi que le décalage avec le comportement des garçons (du moins de certains d'entre eux, car dans la réalité tous les garçons adolescents ne sont pas des Alex, et heureusement).

Mais là où j'ai envie de tirer une sonnette d'alarme, c'est dans le discours prononcé tout au long du roman à partir du moment où Clara doit faire le choix le plus difficile de sa courte vie : IVG ou accouchement ? Il y a deux éléments qu'il me semble important de relever et de signaler aux lecteurs.

1-Le discours clairement anti-IVG.
Oh oui, j'ai lu dans certaines critiques que ce livre offre un choix, sans influence, avec les « pour » et les « contre » de chaque option. Pour ma part, ce n'est pas l'impression que j'ai eue. J'ai plutôt trouvé que la jeune fille était très mal entourée, absolument TOUS les adultes sont d'affreux méchants qui veulent absolument la faire avorter sans même lui proposer toutes les alternatives, sans même lui demander ce qu'elle en pense ni ce qu'elle veut, elle.
-Cela commence avec 3 médecins successifs du planning familial, qui pensent qu'elle veut forcément avorter et ne lui proposent aucune alternative, lui faisant même comprendre qu'elle est totalement stupide de songer à autre chose. Quel tact ! Forcément, elle va se sentir blessée et commencer à se poser des questions, c'est normal.

-Puis il y a son père, quand elle se décide à lui en parler, qui tente vaguement de lui donner des arguments, de lui montrer les difficultés que cela va engendrer dans sa vie quotidienne. Mais les arguments en question sont faibles, peu détaillés. Et l'auteur s'appuie sur le fait que c'est un père "mou", sans caractère, qui laisse les choses se faire même s'il n'est pas d'accord. D'autant plus facile pour ne pas réussir à convaincre son personnage principal de changer d'avis.

-Ensuite, parlons de sa mère quand elle apprend que sa fille est enceinte de 7 mois, une mère déjà hystérique rien qu'en regardant sa fille couverte d'acné, qui lui reproche ses kilos en trop, et ne voit donc dans la situation que le pire pour elle-même ; il est évident que ce personnage n'est pas à même de convaincre qui que ce soit, pas même le lecteur, que l'IVG aurait pu être une solution bénéfique.

-Et même plus tard dans le livre, Clara va craquer en classe et avouer devant tous ses camarades et un professeur sa situation de jeune mère (l'enfant a déjà un an à ce moment de l'histoire). Cela va bien sûr déchaîner les passions dans la classe, les élèves prendront position face à cette situation inédite pour eux. Seul un garçon prendra sa défense, celui qui deviendra plus tard le mari de Clara bien sûr, le seul qui ne lui reproche pas son choix. Quant au professeur, sa seule réaction sera de venir s'en prendre à Clara à la fin du cours parce qu'elle n'avait pas le droit de dire tout cela à ses camarades, qu'elle a peut-être fait souffrir certaines filles qui ont visiblement eu recours à l'IVG pour elles-mêmes et que son choix n'avait pas à être étalé sur la place publique. C'est Clara elle-même qui est obligée de rappeler à son professeur que si l'IVG est un droit, garder son enfant en est un aussi. C'est le monde à l'envers et cela créé un personnage auquel on n'accorde aucune sympathie.

-Enfin, la gynécologue qu'elle va finalement voir sur conseil de sa mère (il était temps ?) 18 mois après avoir eu son enfant, qui va tenter de la convaincre de prendre un moyen de contraception pour éviter de retomber enceinte. Là encore, débat avec Clara, qui se défend, demandant pour quelle raison elle devrait se protéger alors qu'elle n'a pas de rapports sexuels et qu'elle ne souhaite en avoir qu'avec un garçon qu'elle aura appris à aimer. La question est bien posée et est juste, ce qui sonne faux, c'est la réponse de la gynécologue, je cite quelques extraits : "A votre âge, c'est normal que ce soit irrégulier (ndlr : la fréquence des rapports sexuels). Comme tant de jeunes, vous allez changer de partenaires, vous devez donc être prudente. [...] Vous êtes idéaliste, aussi ! Pourquoi pas, mais un idéal se partage à deux. [...] Encore faut-il que vous rencontriez votre prince charmant car entre votre idéal de vie et la réalité, le pont est étroit. Il vous faut prendre en compte aussi le désir de l'homme qui ne sera pas forcément le vôtre. [...] l'amour des coeurs a aussi besoin de l'amour des corps. [...] Vous êtes libre de mener votre vie comme vous l'entendez mais mon devoir de médecin est de vous proposer ce qu'il faut pour éviter les catastrophes ! Faites comme vous le voulez, mais ne venez pas pleurer à la fin des vacances parce que vous êtes de nouveau enceinte ! N'imaginez pas que vos idées vous protègent. Il vous faudra une très grande force de caractère pour vivre selon votre idéal !"
Ah ben bravo !!! Quel gynécologue parle comme ça à une adolescente, sérieusement ? Sans même entrer dans le détail des arguments : pauvre fille, tu te crois vraiment capable de résister à un garçon qui voudra vraiment coucher avec toi ? En effet, on n'a pas envie d'écouter quelqu'un qui nous parle comme ça …

En somme, TOUS les personnages adultes sans exception ne font que lui reprocher son choix de garder/d'avoir gardé l'enfant, avec un manque de tact et de maturité affligeante pour des adultes …
-> Ainsi, les arguments qui seraient "pour" l'avortement sont présentés sous une lumière très négative, les dévalorisants directement en les mettant dans la bouche de personnages désagréables, voire même détestables. Cette pauvre Clara n'a vraiment pas eu de chance de ne tomber que sur des cas pareils, quand même ! Et nous, pauvre lecteurs, n'avons donc rien eu à nous mettre sous la dent pour nous montrer les difficultés réelles qu'il y a à avoir un enfant à 15 ans si l'on veut quand même obtenir son bac ...

Et là où l'auteur a fait très fort, c'est qu'il y a quand même une autre adolescente qui tente de convaincre Clara de se faire avorter : sa meilleure amie Julia, qui lui avoue par la même occasion que cela lui est arrivé quelques mois plus tôt et qui lui explique en quoi la procédure est simple et rapide. Là encore, Clara se sent forcée, incomprise, comme si sa meilleure amie n'était pas capable de lui expliquer en quoi elle a fait ce choix personnellement et non pas parce qu'elle n'en voyait pas d'autre. Et plus tard dans le livre, l'auteur va faire dire à ce personnage à quel point il est douloureux (moralement et psychiquement) pour elle d'avoir eu recours à cette opération, un an après. L'adolescente regrette et se sent "vide" à cause de cette histoire, donnant ainsi plus de poids à la solution choisie par Clara : garder l'enfant. Pas mal pour pilonner encore une fois l'idée que l'IVG, c'est mal, finalement. Subtil.

Autre reproche global, moins grave, mais qui me dérange personnellement : on retrouve aussi toutes les idées très catho-conservatrices de l'auteur au fil des descriptions du modèle familial : le père qui n'est plus un homme parce qu'il ne sait pas tenir tête à sa femme (mais personne ne dit que la femme n'en est plus une parce qu'elle tyrannise toute sa famille, c'est bizarre !), comme si la virilité d'un homme tenait à sa capacité à gérer sa famille en tant que chef de famille uniquement .... thème que l'on retrouve aussi à la fin, lorsque Jérôme demande à Clara de le laisser "la protéger", puisqu'ils vont se marier, cela est nécessairement son rôle. -hum ...- Ou pire, lorsque le nouvel amant de la mère de Clara lui explique posément que c'est elle qui a étouffé sa propre fille, l'empêchant de devenir une mère à son tour. Là, on peut se dire : enfin quelqu'un qui a compris et qui va pouvoir aider la pauvre Clara. Evidemment, il fallait un homme pour remettre cette femme dure à sa place, et bien entendu, elle entend raison lorsqu'il lui fait la moral. A lui, elle ne tient pas tête, elle a trouvé son véritable homme-chef-de-famille qui la recadre. J'en lève les yeux au ciel ! J'en profite pour vous livrer une autre citation, celle-là même qui m'a convaincue que je ne ferai pas lire ce livre à des ados. le nouvel amant qui raisonne la mère de Clara : "Ecoute Karine, soit tu m'aimes et nous vivons ensemble, soit tu préfères ta fille et son fils, alors ce n'est pas la peine d'envisager de poursuivre entre nous ! Je ... je n'ai pas l'âge d'avoir un enfant de trois ans et je n'ai d'ailleurs jamais voulu en avoir ! [la mère accepte son chantage] Parfait tu es raisonnable ! Mais j'accepte cependant de recevoir Clara et Victor (ndlr : nom de l'enfant) de temps à autre un dimanche midi". Si je comprends bien, c'est donc lui qui décide quand la mère verra sa fille, s'ils vivent ensemble ? Et je vous passe le couplet sur la mère béate d'admiration qui se rend compte à quelle point elle a de la chance d'être tombée sur cet homme et qu'à son âge, un parti pareil, elle n'en retrouvera plus ! J'ai mal à mon ego de femme.

Ou encore cet autre message glissé subreptciement. Dans ce passage, où la jeune fille retrouve par hasard dans la rue son violeur, père de son enfant, elle réalise que même s'il est devenu un clochard drogué et alcoolique, et bien oui, il est le père de l'enfant, aussi détestable que soit ce constat. Et qu'elle n'a pas le droit de le cacher à son enfant, car tout enfant a besoin d'un père pour se construire. C'est, je cite, "dans l'écologie de l'être humain : avoir un père, une mère ... [...] Refuser de l'admettre, c'est amputer l'enfant d'un maillon essentiel à sa construction d'homme"

Wouahou, en lisant ce passage, j'ai vérifié la date d'édition de ce bouquin : 2011. Pourtant c'était bien avant les manifestations contre le "mariage pour tous", mais on se croirait en plein dans la polémique ! Ce passage sous-entend donc qu'un couple homosexuel n'a pas tout ce qu'il faut pour élever correctement un enfant.

Et là, je dis : que l'on soit pour ou contre l'IVG, que l'on soit pour ou contre le mariage pour les personnes de même sexe, on a le droit. Nous sommes dans un pays démocratique où chacun est libre de sa pensée. Mais essayer insidieusement de manipuler des adolescents de cette manière, en leur faisant discrètement passer un message à travers un roman qui va leur parler -car je ne le nie pas, ce roman peut plaire aux ados, je le pense sincèrement- j'appelle cela de la manipulation des esprits. Et j'en reviens à mon mot de départ : ATTENTION !

Pour terminer cette (longue) critique, je garde le pire pour la fin. le second élément à relever selon moi. Encore une fois je tiens à préciser qu'un auteur a la possibilité de faire passer ses convictions profondes à travers un roman, cela fait partie du jeu. Mais ce que je trouve absolument intolérable dans ce roman, tient à ce simple fait :
2-A aucun moment, le viol n'est considéré comme aussi grave qu'il l'est dans la réalité.

En effet, rappelez-vous, toute cette histoire part quand même d'un VIOL : une jeune fille, mineure qui plus est, droguée à son insu puis violée sans même comprendre ce qui lui arrive, le garçon fautif ayant tout planifié, parfaitement conscient de ses actes ... et JAMAIS, JAMAIS, il ne subit de sanction. Oh certes, il va devenir clochard, mais c'est parce qu'il a lui-même quitté le domicile familial pour d'obscures raisons (paraît-il qu'il était trop gâté par ses parents ... ?!?) ; mais jamais, jamais, jamais, aucun adulte n'ayant pris connaissance de l'agression de Clara, n'a parlé ni de porter plainte, ni d'entamer aucune procédure pour tenter d'aider la jeune fille à comprendre ce qui lui est arrivé et comment se libérer de ce traumatisme. Pas de police, pas de psychologue, les deux seules réactions un peu "violentes", venant du père de Clara puis plus tard de son ami Jérôme : "Je vais lui casser la figure à ce garçon". Comme si cela était la solution et de toute façon, cela n'arrive même pas ... Chacun se contente de la réponse de Clara : "C'est un minable [...] Un vrai salaud ... Donc c'est tout, il n'existe pas pour moi, d'ailleurs il n'a jamais existé". Je peux comprendre que l'adolescente réagisse de cette manière, mais pas que ses parents s'en contentent. Ni le professeur à qui elle va parler de sa situation par la suite. Ni la gynécologue qu'elle verra enfin 18 mois après l'accouchement. le viol n'est RIEN dans cette histoire, un simple prétexte pour raconter la vie d'une fille qui souhaite garder un enfant qu'elle n'avait pas désiré. Et on en revient même à l'apologie anti-IVG quand on apprend que le père violeur-clochard-toxicomane-alcolique a décidé de revenir sur le droit chemin après avoir vu son fils. Ah oui, j'allais oublier de vous dire : Clara a donc sans doute sauvé la vie de celui qui a détruit la sienne, en décidant de garder cet enfant, vous avez vu, heureusement qu'elle n'a pas avorté, ouf ! (je précise que cette dernière remarque est ironique, pour qu'il n'y ait pas de méprise ... je trouve cette morale absolument pitoyable, même si ce n'est que mon avis personnel).

En somme, je n'ai pas aimé ce livre et l'écriture n'a rien fait pour arranger les choses soi dit en passant, il n'est à mes yeux qu'un mélange d'idées fermées, contrairement à ce que d'autres disent, tentant de manipuler la pensée des lecteurs qui n'ont pas le recul pour voir par eux-mêmes la manipulation des personnages et du contexte.
Je l'avais acheté sur recommandation d'une ado de 15 ans justement, pour le mettre dans le fonds du C.D.I. dans lequel je suis documentaliste. Hé bien je ne l'y mettrai pas.
Commenter  J’apprécie          52



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}