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Critique de berni_29


Nicolas Bouvier est davantage connu pour ses récits de voyage. J'avais adoré L'usage du monde dans lequel celui-ci m'avait touché par son art du voyage, sans doute j'y avais puisé des ailes pour me donner envie de temps en temps de m'envoler.
Le dehors et le dedans : Poèmes est un recueil de poèmes que l'écrivain-voyageur a rédigé entre 1953 et 1977, au hasard de ses folles pérégrinations dans le monde.
La poésie de Nicolas Bouvier est vagabonde, aérienne, musicale. Elle dit l'immensité du monde, son intensité, ses blessures, les rencontres d'un voyageur éperdu, infatigable, qui se perd forcément en chemin...
Chaque mot est une saveur, une note, une ivresse...
Sa poésie est éprise du bruissement de la vie, des élytres d'insectes, un bordel près d'une gare, quelqu'un chante au loin, le grincement des roues d'une charrette sur le sol glacé, un poulet qu'on égorge dans une cour et des rires d'enfant tout autour.
Les rivages sont lointains, les Balkans, l'Azerbaïdjan, l'Afghanistan, l'Inde, Ceylan, le Japon,... Des villes suspendues à ces destinations s'offrent à nous : Solarpur, Lahore, Tabriz, Mahabad, Kyoto...
Chaque lieu traversé fait entendre sa voix, son âme. La clameur des villes, les grimaces des gamins dans une rue, les moulins à prières, les grandes feuilles de bananiers qui protègent du soleil et du vent, trois notes d'un shamisen, le rire d'une prostituée dans la nuit, l'odeur d'une soupe de navets ou de gâteaux parfumés au citron...
La poésie de Nicolas Bouvier n'est pas lisse, elle dit les aspérités du voyage, les incertitudes, les angoisses, la dysenterie, la nuit trop épaisse pour imaginer trouver une fissure et s'y engouffrer.
Et ce sont brusquement des enfants silencieux, qui travaillent ou bien iront dans peu de temps à la guerre, le rire de la prostituée devient un cri lointain aigu sous les coups de la maffia locale, le riz a gelé dans une grange qu'il faudra jeter demain.
Et l'on revient du voyage, peut-être autant démuni qu'avant le départ, mais en ayant cherché un peu le sens, sachant qu'il y a peut-être quelqu'un qui attend au bord du chemin.
Le récit est partagé presque de manière binaire : le dehors, s'attachant aux contrées lointaines et le dedans, celle des sentiers intérieurs ; deux parties séparées, couturées par la citation du poète tchèque Vladimir Holan « Voici le moment où le lac gèle à partir de ses rives et l'homme à partir de son coeur. », une citation à propos qui jette une passerelle entre ses deux parties, les faisant dès lors dialoguer entre elles.
Entre le dehors et le dedans, la frontière est parfois ténue, comme celle d'une fenêtre entre deux paysages, celui du monde, de sa beauté et de ses mystères et l'autre territoire peut-être aussi immense et encore plus impénétrable, celui de nos contrées intérieures.
Entre le dehors et le dedans, parfois il y a une fenêtre qui sépare deux visages.
Voyager au bastingage des mots, comme au-devant d'un rêve qui s'éloigne dans les frimas du matin...
C'est comme une porte qui bat dans le vent, quelqu'un a parfois la bonne idée de poser un pied dans l'entrebâillement, laisser entrer des rires d'enfants, le bruissement des essaims d'abeilles, le regard d'une femme, trois notes de clarinette... C'est peut-être cela, la poésie.
La poésie de Nicolas Bouvier me touche autant que ses récits. Elle ressemble à des photographies, elle est l'instantané des émotions. Elle laisse entendre les tourments du voyageur, de sa vie, la promesse du bonheur...
Pourquoi la poésie peut-elle dire autre chose que le récit d'un voyage ? Ou plutôt, comment ?
En quoi vient-elle faire alliance, dire les choses par d'autres chemins, dire l'indicible, donner sens ? Être une alchimie qui révèle autre chose...
Voir, sentir, toucher, faire l'amour, le corps seul qui se souvient plus tard, a peur, prend des coups au ventre, gémit... L'enveloppe corporelle est peut-être cette seule frontière qui nous relie au reste du monde. Elle est poreuse, incertaine, imaginaire, un territoire idéal pour convoquer la poésie...
La frontière entre le dehors et le dedans est parfois comme un déchirement, une vibration, une forme d'apesanteur, une respiration suspendue devant ce qui est étranger et ramène à l'intime, un écho entre deux mondes.
Il y a ici la fulgurance, les éblouissements que seule peut-être sait dire la poésie.
La poésie est un merveilleux antidote contre la solitude, le confinement et la mort.
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